Perceptions du conflit israélo-palestinien dans la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève

Présentation du projet

Ce projet se propose d’analyser les dispositions de la presse romande vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, en particulier grâce aux archives du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne. Pour ce faire, une classification hiérarchique descendante récursive du corpus avec Iramuteq est effectuée. Les classes ciblées sont alors analysées avec des statistiques sommaires (spécificité, similitude) et une analyse de sentiments quasi-non supervisée. Plusieurs visualisations pertinentes sont générées, puis interprétées dans le cadre historique.

Contexte historique

Dès les premiers congrès à Bâle (1897), la Suisse joue le rôle d’hôte au mouvement sioniste. Les citoyens suisses juifs, relativement intégrés dans la société, ne partagent pas à cette époque l’aspiration, répandue parmi les Juifs persécutés d’Europe de l’Est, à l’indépendance territoriale1, et prennent plutôt un point de vue neutre vis-à-vis du sionisme.2 Comme à d’autres « exilés », la Suisse offre aux sionistes la possibilité de s’organiser et d’effectuer une diplomatie depuis un territoire neutre.

Avec la fin du mandat britannique en Palestine, la déclaration d’Israël et sa guerre avec les pays arabes voisins, les autorités suisses sont confrontées à la question de la reconnaissance du nouvel État qui aura finalement lieu en Janvier 1949. Les neuf mois de délai avant qu’elles ne procèdent à la reconnaissance (contre quelques jours pour l’Union Soviétique, environ sept mois pour la France et les États-Unis) signalent une approche prudente, voire sceptique de leur part. Dans un protocole issu du Département politique fédéral (précurseur du Département fédéral des affaires étrangères), ce délai est justifié par le besoin de respecter les normes internationales. En particulier, la vraisemblance d’existence de l’État d’Israël est contestée. De plus, la reconnaissance d’Israël est vue comme une prise de parti qui enfreindrait la politique de neutralité suisse. D’autre part, la Confédération bénéficie de l’ouverture des marchés dans les pays arabes comme l’Égypte, qui pourrait être remise en question avec les changements territoriaux ou politiques.

Après la guerre de 1948 s’ensuit une période d’intensification des relations politiques et économiques entre acteurs suisses et israéliens. La neutralité effective de la Suisse par rapport au conflit se heurte de plus en plus à une sympathie croissante envers Israël dans l’opinion suisse, notamment3 à partir de la crise de Suez en 1956. Des échos de cette question apparaissent dans la presse suisse, y compris romande, lors de l’affaire Serra. C’est l’affaire ayant lieu en juillet 1964 selon laquelle M. Etienne Serra, alors Chef du Protocole du Département politique fédéral, aurait tenu des propos antisémites lors d’une réception officielle de l’ambassade de Tunisie. Serra est contraint de démissionner lorsque l’affaire éclate dans les médias, en particulier dans les deux journaux étudiés. Voir aussi Dodis sur ce sujet.

L’enthousiasme croissant pour Israël atteint son apogée lors de la guerre de Six Jours (5-10 juin 1967) et la victoire écrasante d’Israël sur ses voisins.

A l’aide des archives du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne, nous étudierons la perception et le changement des lignes éditoriales vis-à-vis du conflit israélo-palestinien depuis ses prémices en 1948, jusqu’en 1967, pour voir si la description historique s’y retrouve.

Informations sur le corpus et les ressources bibliographiques

L’analyse digitale que nous effectuons se fonde sur un corpus d’articles extraits de deux journaux romands d’opinion, Le Journal de Genève et La Gazette de Lausanne. Afin d’affiner notre corpus de textes, nous nous sommes concentrés sur les périodes où le sujet israélo-palestinien était le plus traité. Nous nous sommes aidés de l’histogramme de certains mots clés (voir figure 1).

Figure 1: Histogramme des mots “Israël”, “Palestine”, “Arabe” et “Juif” de 1945 à 1968

Nous avons donc restreint le corpus aux années 1948, 1956-1957 et 1967. Ce choix est aussi justifié par certains évènements historiques — Guerre d’Indépendance, Crise de Suez et Guerre de Six Jours — importants au niveau international et impliquant la Suisse en tant qu’observateur mais aussi hôte des Nations Unies, de la Croix-Rouge, etc. Selon le livre de Jonathan Kreutner, ces dates sont aussi des marqueurs pour l’opinion suisse sur Israël.

Nous essayons de déterminer quels facteurs (neutralité, diplomatie européenne, intérêts économiques) marquent l’opinion suisse sur le conflit. On pense par exemple à la politique nationale, les accords commerciaux et stratégiques avec les pays concernés.

Remarquons que les deux journaux en question à tendance libérale ciblent essentiellement un public bourgeois, nous menant à attendre d’eux peu d’enthousiasme pour les partis de gauche traditionnellement pro-arabes ou le panarabisme nassérien. Le statut privilégié de la ville de Genève comme pôle de la diplomatie peut aussi en principe influencer le point de vue du Journal de Genève. En premier lieu, nous traitons le corpus de manière agnostique aux deux journaux, et étudions le biais dû à la ligne éditoriale dans l’analyse de sentiments.

Résumé de l’analyse effectuée

Nous effectuons une analyse digitale de notre corpus avec plusieurs techniques :

    • En découpant notre corpus en intervalle de temps (comme décrit auparavant), et en analysant les champs lexicaux sur ces intervalles.
    • En analysant avec IRaMuTeq les champs lexicaux attribués aux principaux acteurs du conflit : les qualificatifs qui leur sont attribués, le « ton » que prend la rédaction.
    • En étudiant sous forme de réseau, avec Gephi, les relations (par l’intermédiaire de la mention dans un article) entre les formes.
    • En effectuant une analyse de sentiments.