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La décolonisation a été sans conteste l’un des événements majeurs qui a marqué la deuxième partie du XXe siècle. Si l’on accepte que le terme décolonisation « doit être réservé à l’émancipation des peuples d’Asie et d’Afrique, ayant subi au XIXe siècle une emprise coloniale qui, dans la quasi-totalité des cas, ne s’est pas accompagnée ni n’a été suivie d’un peuplement européen significatif[1] » alors en effet, la grande majorité de la décolonisation a pris place après la Seconde Guerre mondiale.
Les causes de ce phénomène sont multiples. Premièrement, les deux grands conflits mondiaux ont fortement affecté les puissances coloniales européennes. Elles ont perdu en prestige et en moyens. Des mouvements de contestation de l’entreprise coloniale font également leur apparition dans les sociétés colonisatrices. Deuxièmement, ce sont les acteurs principaux de la Guerre froide eux-mêmes qui jouent un rôle important. D’un côté, les États-Unis suivent une politique très anticolonialiste, alors que, d’un autre côté, l’URSS suit une politique anti-impérialiste. La conjugaison des deux encourage fortement les pays colonisés à demander et à lutter pour leur indépendance. En dernier point, notons que les colonies d’Asie et d’Afrique sont en grande majorité très faiblement peuplées par des colons européens et sont donc fragiles et difficiles à maintenir[2].
Les décolonisations ont été différentes selon les pays et l’on peut recenser quatre types d’indépendance. Celles obtenues par les armes comme en Indochine, Algérie et Angola-Mozambique, celles octroyées par les puissances coloniales, celles que les nouveaux pays indépendants ont acquises par des négociations, et finalement, celles qui ont été consenties sous la pression internationale[3]. La majorité des anciennes colonies ont obtenu leur indépendance entre 1945 et la fin des années 1960. Quelques exceptions sont pourtant à noter telles que l’Angola et le Mozambique en 1975, le Zimbabwe en 1980 ou encore la Namibie en 1990[4].
Tous ces nouveaux états issus de la décolonisation, et fréquemment associés à partir des années 1950 au dit tiers-monde, deviennent de nouveaux acteurs sur la scène internationale. La Suisse, pays neutre, qui n’a jamais été une puissance coloniale, bénéficie d’une position privilégiée pour entrer en relation avec ces pays nouvellement indépendants. Favorisant une approche bilatérale facilitée par son statut spécifique, elle noue un important réseau de relations diplomatiques et consulaires. Ces relations s’articulent autour de trois axes : la solidarité, l’intérêt économique et la lutte contre l’influence communiste. Dès les années 1950, la Suisse met en place une politique d’aide publique au développement soit à travers des contributions financières, soit par un soutien technique directement[5]. Mais la Confédération a également rapidement compris l’intérêt économique que représentent ces nouveaux pays comme partenaires et comme débouchés commerciaux. La rapide reconnaissance des nouveaux états semble en attester. En dernier point, les années 1950 et 1960 ont vu une globalisation de la Guerre froide qui s’est étendue à toutes les régions du monde, et qui a influencé les relations de la Suisse avec le tiers-monde. Le gouvernement suisse tente, par sa politique étrangère, d’œuvrer afin d’éviter l’expansion du communisme dans les pays nouvellement décolonisés[6]. Bien souvent, ces trois axes s’entremêlent. L’aide au développement a été critiquée pour son utilisation politique. Il n’est pas toujours aisé de voir si cette dernière a été utilisée pour des raisons de solidarité ou si elle a été un instrument destiné à accroître l’influence suisse dans les pays à fort intérêt économique ou pour lutter contre le communisme. La solidarité et la défense des intérêts suisses ont parfois été très liés.
En ce qui concerne l’analyse de ces changements importants faite par la Confédération suisse, « les autorités fédérales ont souvent une vision où se mêlent craintes et espoirs vis-à-vis de ces nouveaux gouvernements indépendants et de l’avenir aussi bien politique qu’économique de certains de ces États[7] ». De plus, dans un article du Journal de Genève daté du 25 mai 1962, on rapporte les propos de l’intellectuel suisse et européiste Denis de Rougemont qui s’interroge « si la décolonisation ne signifie pas le déclin de l’influence mondiale de l’Europe au profit d’autres cultures ? »[8]. Il semble donc qu’il y ait un intérêt pour la question. Notons également que les années 1960 ont vu l’émergence des mouvements tiers-mondistes en Suisse qui ont influencé le débat.
À travers l’analyse de deux journaux libéraux suisses romands, le Journal de Genève (JDG) et la Gazette de Lausanne (GDL), nous allons tâcher de mettre en lumière quelle a été la perception de la décolonisation et des nouvelles indépendances. Nous allons tenter de répondre à un certain nombre de questions. Comment ont été traités ces événements dans cette presse spécifique ? Y-a-t-il eu des décolonisations ou des indépendances qui ont été plus, ou pas, traitées ? Quel est le discours employé ? Y-a-t-il eu une évolution du discours entre les premières décolonisations et celles qui se sont passées dans les années 1980-1990 ? Peut-on remarquer une différence de traitement selon la région ? Selon l’ancienne puissance coloniale ? Selon le type d’accession à l’indépendance ? Selon l’importance économique du nouvel état ? Nous essayerons également d’observer le discours sur la politique étrangère suisse mis en place à cet égard durant les années de la Guerre froide.
Informations sur le corpus et les ressources bibliographiques
Notre corpus de sources primaires est constitué des archives de presse de la Gazette de Lausanne et du Journal de Genève. Ces dernières sont en libre accès en ligne sous forme numérisée[9]. Dans le cadre de notre recherche, nous nous concentrerons sur les articles publiés depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux dernières archives, en 1998.
Respectivement créés en 1798 et 1826 pour relayer les idéaux et activités du Parti libéral-conservateur, la GDL et le JDG ont compté parmi les titres romands les plus influents du XXe siècle[10]. Le JDG et la GDL sont concurrents et partagent une même ligne éditoriale et un même public. Tous deux se veulent des journaux de commentaire, « plaident pour une presse politique[11] » et se font les champions du « libéralisme politique et économique, [de la] défense du fédéralisme contre la ‘centralisation bernoise’, [et de la] lutte contre le socialisme et le bolchevisme »[12].
Il est à noter qu’une série d’investissements malheureux et une gestion médiocre contraint, en 1976, la GDL à s’atteler au JDG. A partir de cette date, la GDL ne se distingue du JDG plus que par ses pages régionales.
En 1998, concurrencés par la presse d’information et en difficultés financières depuis plusieurs années, le JDG, la GDL et le Nouveau Quotidien, un autre journal de commentaire, fusionnent finalement pour fonder Le Temps[13].
Le JDG se différencie de la GDL principalement par un accent généralement plus prononcé sur la politique internationale, la GDL étant plus portée sur les informations locales. A noter également que la GDL s’écarte en partie de sa ligne traditionnellement libérale-conservatrice sous l’influence plus progressiste de Pierre Béguin, rédacteur en chef entre 1950 et 1965[14].
[1] ETEMAD, Bouda, La Possession du monde. Poids et mesures de la colonisation. Bruxelles: Editions Complexe, 2000, p. 263.
[2] Ibid., pp. 266-267.
[3] Ibid., p. 270.
[4] Ibid., p. 279.
[5] ALTERMATT, Claude, La politique étrangère de la Suisse pendant la Guerre froide, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2003, p. 77.
[6] Ibid., p. 76.
[7] BOTT, Sandra et alii., « Le rôle international de la Suisse dans la Guerre froide globale : un équilibre précaire », Relations internationales, 2015/3 (n° 163), p. 10.
[8] « Les vraies chances de l’Europe sont dans le fédéralisme », Journal de Genève, 25.05.1962, p.16.
[9] http://www.letempsarchives.ch
[10] CLAVIEN, Alain, Grandeurs et misères de la presse politique, Lausanne : Antipodes, 2010, p. 9.
[11] Ibid., p. 10.
[12] Ibid., p. 9.
[13] Ibid., p. 298.
[14] Ibid., p. 208.