Comparaison des journaux
Nous débutons notre analyse des métadonnées en comparant la longueur et le nombre d’articles contenus dans le corpus principal[Fig.1]. Une différence de tendance entre ces deux journaux ressort de cette comparaison. En effet, si le nombre d’articles consacrés au droit de vote des femmes est significativement supérieur dans le Journal de Genève (JDG), jusqu’à six fois plus élevé, la longueur des articles y est considérablement plus courte. Il n’est toutefois pas possible d’en déduire une réflexion plus poussée sur le sujet dans le journal vaudois. En effet, de nombreux articles se consacrent à d’autres sujets et ne font que mentionner le thème au détour d’une phrase. Deux éléments ressortent néanmoins de cette analyse. Premièrement, le nombre d’articles par années diminue au cours du temps, probablement dû au fait que le sujet entre dans les mœurs après l’acceptation du vote et ne soit plus un sujet d’actualité. La présence de cycles s’explique en considérant les faits historiques. La place de la femme dans la vie civile et économique s’étant considérablement accrue suite à la Première Guerre mondiale, et la première vague de votations qui s’en suivit, expliquent aisément la grande fréquence d’apparition du thème dans les journaux dans les années 1920-1930. Le climat de crise économique et la montée du fascisme expliquent le creux des années 1930-1939. Cela se répercute surtout sur la GDL avec un minimum d’un article en 1938. D’importants pics ponctuent les années qui suivent. Le premier, en 1940, est en corrélation avec la deuxième vague de votations cantonales, qui a débuté à Genève. Le JDG y consacre le plus grand nombre d’articles de son histoire. La Deuxième Guerre mondiale éclipse le sujet et ce n’est qu’à partir de 1946 que rejaillissent les pics. Notons également un important pic présent dans les deux journaux en 1959, année de la première votation fédérale ainsi que de nombreuses votations cantonales.
Particulièrement intéressant est l’absence de pic prononcé en l’an 1971, année où le droit de vote des femmes a été accordé au niveau fédéral. Cet événement, qui semblerait à priori être le point culminant de la lutte pour l’obtention du droit des femmes, ne ressort pas dans les métadonnées du corpus. Ce constat pourrait motiver un nouveau travail de recherche.
En résumé, l’analyse de tendance associée aux événements historiques montre un déclin de la médiatisation du suffrage féminin, notamment après la première vague d’acceptations. La nature de notre méthode d’analyse ainsi que le changement dans le style des articles ne nous permettent pas de tirer davantage de conclusions en ne nous basant que sur les métadonnées. Une analyse lexicale est nécessaire à la poursuite de la discussion.
Analyse du language
Nous nous intéressons à l’évolution du langage entre 1920 et 1971, date à laquelle les premières votations ont eu lieu, et ou le dernier canton obtient le droit de vote des femmes, respectivement. L’analyse se porte uniquement sur les articles contenant « suffrage féminin », « droit des femmes » et « vote des femmes » dans la GDL et le JDG. Nous comparons les classes de mots entre les différentes périodes du corpus pour faire ressortir un éventuel changement de perception sur le sujet. L’analyse a été effectuée en laissant l’algorithme ressortir au plus six différentes classes par sous-corpus.
Entre 1920 et 1940, le logiciel nous fournit quatre classes de mots, dont la première fait écho aux premiers « votes » cantonaux et « projets » concernant le suffrage féminin. Les deuxièmes et troisièmes classes font davantage référence aux enjeux politiques et aux rôles des femmes dans la « famille ». La forte présence du terme « féministe » se rapporte à la « Chronique? féministe » proposés par la GDL au milieu des années 20 qui raconte, de manière subjective, les avancées générales de la lutte pour l’égalité des sexes en politique à l’étranger, et ironise sur la lenteur de la politique suisse. Cette chronique fera l’objet d’une analyse plus précise dans la prochaine partie. La quatrième classe fait référence à des faits divers. L’évocation du suffrage féminin a donc régulièrement lieu dans une liste de courts articles. Ce sujet ressort donc plus comme un sujet annexe, auquel on accorde une courte chronique, que comme un véritable débat de société.
Entre 1940 et 1953, la plupart des classes de mots restent les mêmes. Nous retrouvons toujours la classe concernant les votes cantonaux et droit de femmes ; la classe sur la « famille » a cependant évoluée. En effet, plusieurs termes font référence aux rôles des femmes durant la Seconde Guerre mondiale, dont leur « responsabilité » de maintenir les « tâches » ménagères et l’économie du pays en ressortent. Finalement, l’apparition d’une nouvelle classe, dans laquelle le terme « argument » prime, montre qu’il y a une prise de position. Les termes de la sixième classe, décrivant des lieux publics et faisant apparaître le personnage d’Antoinette “Quinche”, laissent supposer que des débats ont commencé à s’organiser autour du suffrage féminin. Le sujet passe donc d’un sujet annexe à un sujet à débats.
A partir des années 1950, il est difficile d’observer un changement de pensée à l’aide de cette méthode. En effet, la majorité des mots des classes en rapport au droit de vote restent les mêmes. Toutefois, nous pouvons observer une augmentation des citations des cantons comme Vaud Neuchâtel ou Genève dans les journaux jusqu’en 1960, reflétant un intérêt marquant pour la première votation fédérale de 1959.
Analyse qualitative, l’exemple de La Chronique féministe de la Gazette de Lausanne
Un point curieux ressort également des dendogrammes. La forte présence du terme féministe dans le premier dendogramme, et sa totale disparition dans les prochains soulève une interrogation. Une analyse qualitative a permis la découverte de la Chronique féministe des années 1920. Cette chronique apparaît pour la première fois au milieu de l’année 1922 et se termine en 1930. Il est intéressant de relever que la chronique féministe existait déjà sous le nom de “Chronique féminine” dont sa première parution date du 24 novembre 1912. La Gazette de Lausanne explique à ses lecteurs que « à? la demande de l’Association vaudoise pour le suffrage féminin, la rédaction de la Gazette de Lausanne a aimablement consenti à publier régulièrement une chronique féminine ». En suppléant l’adjectif féminine par féministe, le journal expose davantage la notion de lutte pour les droits de la femme par les femmes. Mais, le contenu de la chronique évolue-t-il avec son changement de nom ? La fréquence de publication évolue-t-elle ?
Les publications de la Chronique féminine sont très éparses. Les premiers articles soulignent l’avancée des droits des femmes, mais ne sont pas publiés de manière régulière. Seuls des événements importants sont relatés dans la chronique. A partir des années 1922, les publications deviennent de plus en plus abondantes jusqu’au changement du nom de la chronique. La Chronique féminine traite de la place des femmes dans la société dans un contexte de guerre et appuie sur l’importance de l’égalité politique entre hommes et femmes.
« […] L’influence combinée des femmes de tous les pays constituent une des principales forces pour prévenir la guerre […] les femmes ne pourront être pleinement responsables et ne pourront exercer d’influence efficace que lorsqu’elles auront les mêmes droits politiques que les hommes, […] le congrès international des femmes demande pour elles le suffrage politique »,
GDL, 27.06.1915
« Les femmes de partout ont compris mieux qu’elles ne l’avaient jamais encore fait jusqu’ ici l’immense part de responsabilité qu’elles ont dans la marche des événements et la mission qui leur incombe au sein de la société »,
GDL, 31.10.1915.
En ce qui concerne les publications de la Chronique féministe, elles restent bimensuelles entre 1922 et 1924. Les articles sont de petites histoires mêlant informations et anecdotes, qui permettent de dédramatiser, sans doute, l’ancien contexte de guerre, et de revenir à une vie plus normale, tout en informant les lecteurs et les lectrices des avancées des droits des femmes en Suisse et dans le monde. Même si le suffrage féminin est noyé dans les fioritures de la chronique, il apparaît de manière récurrente. De plus, la chronique est ponctuée d’articles de fonds, ce qui permet aux lecteurs et aux lectrices de se rappeler de l’importance de cette lutte et de se positionner. Cependant, la direction de pensée de la chronique est fortement dépendante de l’auteur, et peut être ressentie de manière méprisante envers les femmes. La GDL semble avoir laissé beaucoup de liberté aux auteurs. Une analyse plus détaillée sur cette chronique nous informerait peut-être de l’évolution d’abord progressiste puis conservateur d’après-guerre de la perception du suffrage féminin.
« Parce que le soleil, entre deux avères, fait flamber la gloire blonde des noisetiers que février à fleuris, […] voici le printemps qui vient. […] Combien encore jusqu’au triomphe du féminisme auquel nous travaillons avec foi ? […] Une grande injustice vient d’être commise à l’égard des femmes zurichoises. Le 18 février, les zurichois leur ont refusé le droit de faire partie des commissions d’école, d’église, d’assistance et de tutelle. »,
GDL, 5.03.1923