Si vous pensez que le dollar américain est en train de perdre de sa suprématie dans le monde, détrompez-vous. Le système monétaire international fonctionne toujours par l’intermédiaire de ce que l’on appelle le « cercle impérial », tributaire du billet vert dans les bons comme dans les mauvais moments – et de plus en plus souvent. Cette dépendance à l’égard du dollar a d’importantes conséquences au niveau mondial.
Les recherches menées par Gianluca Benigno, professeur d’économie à HEC Lausanne (1, 2 ), montrent que lorsque le dollar américain se renforce, par exemple à la suite d’une hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine, cela peut entraîner une baisse de l’activité économique mondiale, qui profite à son tour au dollar lui-même, renforçant ainsi son appréciation initiale.
Pour quelles raisons ?
Le dollar, en se renforçant, freine le commerce et la croissance au niveau mondial, ce qui permet au dollar américain de mieux réagir face aux devises telles que l’euro ou le yen, étant donné que les États-Unis dépendent moins du commerce mondial. Le billet vert devient ainsi plus attractif, ce qui renforce sa vigueur initiale.
Cette force auto-réalisatrice signifie que le statut de pivot du dollar se poursuit sans relâche, de même que son emprise sur l’économie mondiale. C’est important, car les décideurs et décideuses politiques, de l’Europe à la Chine, aspirent à se libérer de l’emprise du dollar. Les recherches de M. Benigno montrent qu’il est difficile de s’affranchir de ces dépendances cycliques.
« Le rôle du dollar américain est renforcé dans le contexte du système monétaire international. Ce que fait la Réserve fédérale américaine a également une portée mondiale et d’énormes ramifications », explique le professeur Gianluca Benigno.
Le dollar, en tant que monnaie dominante, bénéficie également d’effets de réseau. Les entreprises, du Vietnam à la Colombie, veulent utiliser la monnaie que tout le monde utilise. Le dollar joue un rôle important en tant que « monnaie véhiculaire » et en tant que monnaie de facturation pour les transactions n’impliquant pas d’Américains, en particulier dans les pays émergents.
Près de la moitié du commerce mondial est encore facturée en dollars américains.3 Cette monnaie représente 60 % des devises étrangères, 40 % des paiements mondiaux et 50 % de la dette internationale.
Cependant, il y a un déséquilibre en jeu – une asymétrie – puisque la proportion du PIB mondial et du commerce que représentent les États-Unis a diminué au fil du temps, et que leur économie s’est orientée vers les services, réduisant ainsi leur exposition aux développements économiques mondiaux. Cependant, l’utilisation du dollar n’a pas diminué en corrélation avec la baisse de la part des États-Unis dans le PIB mondial; au contraire, elle a augmenté.
Cela signifie que le billet vert continue d’avoir un effet considérable sur la plupart des échanges transfrontaliers et sur l’activité bancaire des économies exportatrices. Cela signifie également que l’économie nationale, les politiques monétaires et fiscales des États-Unis ont de plus en plus d’importance à un moment où les États-Unis sont moins exposés aux forces économiques et aux cycles économiques mondiaux.
D’où l’idée du « cercle impérial », proposée pour la première fois par George Soros4 . « Ce qui compte, c’est la stabilité économique mondiale », affirme le professeur Benigno. « Les appels au multilatéralisme et à l’utilisation d’autres monnaies sont difficiles à mettre en œuvre lorsque le billet vert joue un rôle aussi important. Sa domination est également le résultat de millions de décisions individuelles prises chaque jour dans le monde entier. Les États-Unis ont toujours une responsabilité mondiale ; seule une plus grande unité de la zone euro pourrait y remédier à terme. Le cercle impérial continue ».
Image © Radzh Dzhabbarov | Dreamstime.com
- The Dollar’s Imperial Circle, Ozge Akinci, Gianluca Benigno, Serra Pelin and Jonathan Turek. Federal Reserve Bank of New York Staff Reports, December 2022
- The Dollar’s Imperial Circle, Ozge Akinci, Gianluca Benigno, Serra Pelin and Jonathan Turek.
Liberty Street Economics, Federal Reserve Bank of New York, March 1, 2023 - Revisiting the international role of the US dollar, BIS Quarterly Review, December 2022
- The Danger of Reagan’s “Imperial Circle”, George Soros, Financial Times, May 23, 1984