Intelligence et leadership, le dilemme: quand des personnes au QI très élevé sont perçues comme des leaders peu, voire pas efficaces

L’intelligence générale est une caractéristique essentielle pour faire un bon leader. Dans une étude portant sur la relation entre le QI et la perception de l’efficacité d’un leader par ses équipes, John Antonakis et ses co-auteurs ont découvert que le niveau de QI optimal d’un leader dépendait de l’intelligence moyenne de son équipe. Un QI trop élevé ou trop faible peut s’avérer désastreux pour le leader.

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AntonakisJohn Antonakis est professeur en comportement organisationnel. Il s’intéresse notamment au développement du leadership, au pouvoir, à la personnalité et aux analyses causales.

Il a été prouvé que l’intelligence générale est liée à une meilleure capacité à acquérir des compétences, résoudre des problèmes et communiquer des pensées et des idées. Il n’est donc pas étonnant que le QI soit en corrélation avec l’efficacité d’un leader. Et si les personnes intelligentes font de meilleurs leaders, il paraît logique de penser qu’une plus grande intelligence signifierait un meilleur leadership.

Pourtant, l’étude récemment publiée par les chercheurs John Antonakis (Faculté des HEC de l’Université de Lausanne), Robert House (Wharton School, University of Pennsylvania) et Dean Keith Simonton (University of California, Davis) peut se révéler assez décourageante pour les personnes dotées d’un QI très élevé et aspirant à devenir un grand leader, que ce soit en entreprise ou ailleurs.

Ils y suggèrent qu’il existe un niveau de QI optimal associé à l’efficacité de leadership perçue, soit l’efficacité qu’attribue une équipe à son leader. Selon les chercheurs, pour un leader à la tête d’une équipe affichant un score de QI moyen de 100, le niveau d’intelligence optimal est de 118. Ce score relève d’une intelligence supérieure, mais pas du surdouement (à l’image de Sheldon Cooper, physicien théoricien dans la série américaine The Big Bang Theory). Une personne dont le QI est supérieur (ou inférieur) au score optimal sera perçue comme moins efficace dans son rôle de leader. On évoque là un véritable problème pour les leaders à l’intelligence très élevée, car devenir (voire se montrer) moins intelligent ne constituera pas une solution réalisable.

Toutefois, le tableau n’est pas entièrement noir. Tout d’abord, il est important de rappeler que l’étude se base principalement sur la perception de l’attitude du leader par les autres, et non sur des indicateurs objectifs de ses performances. Être très intelligent peut se révéler moins problématique si le leader place les tâches à accomplir en tête de ses priorités et accorde peu d’importance aux besoins sociaux et émotionnels de son équipe.

Une théorie vieille de 30 ans encore jamais testée

En 1985, le professeur Simonton, coauteur de l’étude, a rédigé une théorie sur l’importance de l’intelligence pour le leadership, plaidant en faveur d’une relation non linéaire, suivant une courbe en U inversé, entre l’intelligence et l’efficacité perçue du leadership. Il a illustré son point de vue de relation non linéaire (ou curviligne) par quatre paramètres importants. La supériorité intellectuelle suggère que plus une personne est intelligente, meilleure elle est à la résolution de problèmes. Toutefois, le facteur de compréhension entre également en jeu: un trop grand écart intellectuel entre un leader et son équipe entrave l’efficacité du leadership. Ensuite, on peut observer le facteur critique selon lequel les adversaires intellectuellement supérieurs peuvent discréditer le leader. Enfin, la stratification intellectuelle suggère que, selon la nature et la complexité du travail, l’intelligence moyenne d’une équipe varie. L’intelligence optimale du leader sera proportionnelle à l’intelligence moyenne de l’équipe.

On peut conclure de ces quatre éléments que le leader doit être suffisamment intelligent pour mener l’équipe et tenir ses opposants à distance, mais pas trop intelligent. Un leader d’apparence trop intellectuelle, qui présente des solutions trop sophistiquées ou utilise des méthodes de communication complexes et difficiles à comprendre, peut sembler en décalage avec le groupe. C’est pourquoi une théorie complète du QI optimal pour le leadership doit prendre en compte ces facteurs, ainsi que le type d’approche du leader, c’est-à-dire s’il est axé sur les tâches ou sur le relationnel.

Résultats de l’étude

L’équipe de recherche a testé la théorie de Simonton à partir de données venant de 379 dirigeant·e·s de sept firmes multinationales. L’efficacité de divers leaders a été évaluée par des employés de rang inférieur, égal et supérieur. Les chercheurs ont mesuré l’intelligence des leaders et ont recensé les différents traits de personnalité (extraversion, amabilité, caractère consciencieux, névrosisme et ouverture aux expériences), le genre, ainsi que l’âge, qui est un bon témoin de l’expérience acquise.

Les résultats des tests d’intelligence ont fortement confirmé l’idée selon laquelle le niveau optimal dépend des circonstances. En effet, une intelligence trop élevée ou trop faible par rapport au niveau optimal peut avoir une influence négative sur la perception de l’efficacité du leader.

On ne peut toutefois pas supposer qu’une grande intelligence nuit systématiquement à l’efficacité avérée du leader. Il faut garder à l’esprit que l’étude se préoccupe de la perception de l’efficacité et non sur des indicateurs objectifs. Si la réussite d’un leader se définit par rapport à des objectifs fortement associés aux tâches, comme c’est souvent le cas au rang de CEO, un QI supérieur au niveau optimal est certes moins avantageux, mais ne porte pas de réels préjudices. Par exemple, d’autres chercheurs ont découvert que les CEO étaient souvent très intelligents et surreprésentés parmi les meilleurs scores de QI (les 1% les plus élevés).

Les résultats de l’étude suggèrent que le rôle des divergences individuelles dans la définition de l’efficacité du leader mérite d’être exploré et rétablissent la corrélation entre QI et leadership. En outre, ils posent un dilemme intéressant pour la sélection des leaders. Aussi, l’attention d’un·e dirigeant·e à l’égard des besoins socioémotionnels de ses équipes semble favoriser l’évolution professionnelle. Cependant, selon des travaux existants, la prépondérance d’une activité axée sur les tâches est nécessaire au grade de CEO. Si la sélection et la promotion aux postes les plus élevés dépendent de la perception de l’efficacité par des employés de rang égal ou inférieur, cela peut-il nuire aux leaders dont le QI est supérieur au niveau «optimal» et qui pourraient se montrer objectivement performantes aux postes axés sur les tâches?

Quant aux Sheldon Cooper de ce monde, ils peuvent toujours être perçus comme des leaders efficaces. Il leur suffit de trouver des personnes presque aussi intelligentes qu’eux à diriger.


Lire le travail de recherche original (PDF/Abstract sur le site web de l’éditeur): Antonakis, J., House, R. J., & Simonton, D. K. (2017). Journal of Applied Psychology. Can super smart leaders suffer from to much of a good thing? The curvilinear effect of intelligence on perceived leadership behavior.


Crédit photo: roberthyrons / istockphoto