L’importance de la motivation intrinsèque dans la conception d’applications de changement de comportement

Concevoir une application mobile pour aider à provoquer des changements de comportement durables est un défi difficile à relever. De nouvelles recherches suggèrent qu’une mesure de la motivation – le score de l’indice de motivation intrinsèque (IMI) – pourrait jouer un rôle important dans ces solutions.

Les applications mobiles sont toujours plus souvent utilisées pour aider les individus à changer de comportement. Qu’il s’agisse par exemple d’améliorer sa santé et son bien-être, d’augmenter ses performances au travail, d’encourager un comportement plus responsable en tant que citoyen ou de s’efforcer de mener une vie plus durable, il existera sans doute une application dédiée pour chacun de ces objectifs.

L’impulsion du changement peut venir d’une personne dans le cadre de son développement personnel, ou d’organisations cherchant à influencer le comportement des individus. Même certains pays comme la Chine avec son système de crédits sociaux, ont expérimenté à l’échelle nationale des changements comportementaux avec des applications.

Quoi qu’il en soit, comme toute personne qui a utilisé ce type d’application le constatera, s’il est plus facile d’atteindre des résultats sur le court terme, il est souvent beaucoup plus difficile de modifier un comportement sur le long terme. Les individus peuvent être suffisamment motivés pour adopter un comportement particulier pendant une période limitée, mais ils ont du mal à le maintenir sur une période plus longue.

Néanmoins, cela n’empêche pas les développeurs d’applications de former des équipes multidisciplinaires et de dépenser des sommes considérables pour tenter d’améliorer l’efficacité de ces applications. Notamment en raison des possibles opportunités commerciales et des bénéfices en cas de succès.

Un pas dans la bonne direction

Mauro Cherubini (HEC Lausanne-UNIL, Département des systèmes d’information), et ses co-auteur·e·s Gabriela Villalobos-Zuñiga (HEC Lausanne-UNIL, Département des systèmes d’information     ), Marc-Olivier Boldi (HEC Lausanne-UNIL, Département des opérations), et Riccardo Bonazzi (HES-SO Valais), ont entrepris d’étudier l’efficacité de certains facteurs de motivation couramment utilisés dans les applications. Ils se sont plus particulièrement penchés sur l’impact des récompenses en argent et des message d’encouragement sur les niveaux d’activité physique (en fonction des objectifs quotidiens) d’un groupe de quelque 200 personnes. La période d’étude sur dix mois a été divisée en trois phases : avant, pendant et après l’application de mesures prises pour encourager l’activité physique.

Les auteurs ont émis l’hypothèse que le succès d’une fonction motivationnelle d’une application mobile serait lié à certaines théories des sciences comportementales relatives à la motivation. En particulier, la théorie de l’autodétermination et l’idée qu’un changement comportemental de longue durée est plus probable lorsque les mesures prises pour encourager l’activité physique répondent à trois besoins fondamentaux : l’autonomie, la compétence et la relation.

Théoriquement, il existe un lien entre la motivation, l’autodétermination et un changement durable de comportement. La motivation à accomplir quelque chose peut être soit extrinsèque, soit intrinsèque. Si vous êtes intrinsèquement motivé·e, vous entreprenez une activité parce que vous la trouvez intrinsèquement intéressante ou agréable. Si vous êtes motivé·e de manière extrinsèque, c’est que vous exercez cette activité pour d’autres raisons. Vous pouvez aller courir parce que vous aimez courir et que cela vous fait du bien (motivation intrinsèque) ou parce que vous voulez perdre du poids (motivation extrinsèque).

Plus la motivation intrinsèque est grande, plus un individu est susceptible d’adopter un comportement sur le long terme. De même, selon la théorie de l’autodétermination, le degré d’autonomie ou de contrôle ressenti par un individu dans le contexte d’une intervention motivationnelle, pourrait bien avoir un impact sur la motivation, et donc sur le changement de comportement. Cela laisse supposer que les gens sont plus susceptibles de continuer à courir s’ils choisissent librement de le faire, plutôt que s’ils ressentent le besoin de le faire pour une raison extérieure, ou si on le leur a suggéré ou si même on les a encouragés à le faire.

Et c’est ce que l’étude de Mauro Cherubini et de ses co-auteur·e·s a montré. Les participants, répartis en quatre groupes, ont reçu des interventions différentes. Deux groupes ont été ciblés avec des récompenses : une petite récompense quotidienne fixe pour avoir atteint 10’000 pas (groupe FIX); un billet pour un tirage au sort hebdomadaire à chaque fois que l’objectif quotidien de 10’000 pas était atteint (groupe LOT). Un troisième groupe (POW) a reçu des messages d’encouragement choisis au hasard avant les activités quotidiennes, telles que « Vos amis remarqueront les changements si vous faites plus d’exercice » et « La marche réduit de moitié les effets des gènes favorisant l’obésité ». Un quatrième groupe de contrôle n’a été la cible d’aucune intervention.

La clé de l’étude, c’est que les participants ont rempli un simple questionnaire pour évaluer leur niveau de motivation intrinsèque (score de l’indice de motivation intrinsèque) avant, pendant et après l’intervention.

Importance de la motivation intrinsèque

Les résultats de l’étude ont été très instructifs pour tous les acteurs impliqués dans la conception de logiciels de changement de comportement. L’indicateur le plus significatif du changement comportemental désiré était le score IMI. Plus le score IMI est élevé, plus le nombre de pas est important. Les interventions ont perturbé la corrélation positive entre les scores IMI et les résultats comportementaux. Dans le cas de l’étude, elles l’ont fait de manière négative. En moyenne, l’introduction de récompenses et de messages d’encouragement a conduit à une diminution de l’activité physique plutôt qu’à une amélioration durable des performances.

Toutefois, cela ne signifie pas que ces types d’interventions ne pourraient pas contribuer positivement au changement de comportement. Simplement qu’elles ne l’ont pas fait dans le cas présent. En fait, les données de l’étude suggèrent qu’une approche plus adaptée à des interventions similaires pourrait être plus efficace. Au sein du groupe FIX, les personnes ayant obtenu des scores IMI initiaux plus faibles ont montré une amélioration de leur niveau d’activité physique par rapport aux personnes ayant obtenu des scores IMI plus élevés.

Pour une personne dont le score initial IMI est faible, il est facile d’imaginer comment la perspective d’une récompense en argent, même minime, pourrait compenser les effets négatifs de la perception d’un manque d’autonomie. En revanche, les personnes déjà très motivées par l’exercice physique pourraient facilement percevoir une petite récompense financière comme une incitation inutile, presque insultante, qui empiète sur leur autonomie. Ces attitudes ont été confirmées par des entretiens avec certains des participants à l’étude.

Le point essentiel, cependant, reste que la motivation est importante. De plus, le type et le niveau de motivation sont centraux. Dans la conception d’une application de changement de comportement efficace, c’est l’impact des interventions sur l’IMI qui est significatif.

Les développeurs d’applications qui cherchent à encourager un changement de comportement durable doivent se concentrer sur les scores IMI. Ils peuvent le faire, par exemple, lors de la conception, de l’expérimentation et du test bêta des applications, en recourant à un mécanisme peu coûteux qui consiste à soumettre des questionnaires simples aux participants. Ensuite, après avoir récolté les scores IMI, ils doivent surveiller les participants pour s’assurer que ces scores ne diminuent pas pendant ou après une intervention. Il pourrait même être possible d’intégrer les scores IMI dans les applications afin que les participants puissent suivre leurs propres performances.

Il convient de mentionner que Mauro Cherubini estime que les applications de changement de comportement devraient être conçues pour être utilisées sur une période limitée, afin d’encourager une plus grande motivation intrinsèque, plutôt que de créer une dépendance à une application. Cependant, les développeurs d’applications pourraient avoir d’autres idées. D’autant plus que les conclusions du Prof. Cherubini sont non seulement susceptibles de s’appliquer à un large éventail d’activités physiques, mais peut-être aussi, étant donné la grande pertinence de la théorie de l’autodétermination, à de nombreux autres aspects du comportement humain.


Papier de recherche: Cherubini, M., Villalobos-Zuñiga, G., Boldi, M-O. & Bonazzi, R. (2020). The Unexpected Downside of Paying or Sending Messages to People to Make Them Walk: Comparing Tangible Rewards and Motivational Messages to Improve Physical Activity. ACM Trans. Comput.-Hum. Interact. 27, 2, Article 8.


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