Thèse en sciences de la Terre, soutenue le 6 décembre 2024 par Bastien Ruols, rattaché à l’Institut des sciences de la Terre (ISTE) de la FGSE.
La cryosphère, qui comprend toutes les parties glacées de notre planète, joue un rôle crucial dans la régulation du climat terrestre, ce qui a des répercussions importantes sur les écosystèmes et les sociétés humaines. Le recul des glaciers et l’effondrement des plateformes de glace, par exemple, contribuent à l’élévation du niveau de la mer et menacent des centaines de millions d’êtres humains sur Terre. C’est pourquoi il est important d’étudier la cryosphère et ses changements, pour mieux les comprendre et les modéliser dans le but de prévoir les impacts climatiques futurs et d’élaborer des stratégies d’atténuation efficaces. Et pour les modéliser, nous avons besoin de grandes quantités de données récoltées sur le terrain.
La géophysique, en particulier les géoradars, sont utilisés en glaciologie depuis des décennies. Un géoradar, c’est un instrument qui émet des ondes électromagnétiques. Émises à la surface d’un glacier, ces ondes vont se propager dans la glace, jusqu’à rencontrer une interface entre deux milieux, par exemple entre la glace et la base rocheuse. À ce moment-là, elles sont réfléchies vers la surface, où nous les collectons en retour. À partir du temps de propagation entre leur émission et leur réception, il est possible de déduire la distance qu’elles ont parcourues, et donc à fortiori, l’épaisseur de glace. De plus, ces ondes sont aussi réfléchies par les rivières sous-glaciaires et autres cavités d’air, que nous sommes alors en mesure d’étudier et de localiser précisément.
Cette technologie géoradar est utilisée en glaciologie depuis des décennies. Cependant, les méthodes d’acquisition habituelles ne sont pas optimales. À la surface du glacier, en motoneige, à pied, ou en skis, elles sont laborieuses, inefficaces, et peuvent même être dangereuses dans certains cas. Dans les airs, sous un avion ou un hélicoptère, la qualité et la résolution des résultats sont limitées. Le développement d’un système d’acquisition innovant, limitant ces désavantages, paraissait donc nécessaire.
Dans le cadre de cette thèse, nous présentons le développement d’un système drone-géoradar répondant à cette problématique. Nous avons optimisé chaque composant du système ainsi que la méthode d’acquisition de données sur le terrain. Nous sommes maintenant capables de créer des modèles 3D à haute-résolution et haute-densité des glaciers que nous étudions, de manière efficace, et en toute sécurité. C’est ce que nous avons fait sur le glacier d’Otemma, en Suisse, où nous avons acquis un ensemble de données 3D sans précédent, comportant plus de 112 km de données sur une aire d’environ 350 m x 500 m.
De plus, il est possible de répéter ces acquisitions dans le temps, dans le but de comparer ces acquisitions 3D successives, et d’étudier les évolutions temporelles des glaciers en question. C’est ce que nous avons fait cette fois sur le glacier du Rhône, en Suisse, où le système a été utilisé au-dessus d’une zone d’effondrement à quatre reprises entre juillet et octobre 2022. Le but de cette étude : mieux comprendre ces mécanismes d’effondrement, qui sont voués à se multiplier et s’intensifier dans les années à venir.
Finalement, le système drone-géoradar a aussi été déployé dans le Haut-Arctic canadien, sur deux structures glaciaires très spécifiques que sont le dôme et la plate-forme de glace de l’île de Ward Hunt. Cette expédition a prouvé que le système pouvait aussi être utilisé au sein d’un environnement polaire exigeant. Les résultats portent notamment sur les structures internes et sous-glaciaires du dôme et de la plate-forme de glace, ainsi que sur leur caractérisation physique.
Cette thèse présente donc un système d’acquisitions de données géoradar innovant basé sur un drone, ainsi que les analyses scientifiques des premiers résultats. Ce système ouvre de nombreuses et vastes opportunités d’acquisitions futures, qui pourraient grandement améliorer nos connaissances globales de la cryosphère.