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Thèse en sciences de l’environnement, soutenue le 17 février 2025 par Nazimul Islam, rattaché à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST) de la FGSE.
Les montagnes sont des « châteaux d’eau » qui fournissent de l’eau douce à des millions de personnes vivant en aval. Malgré leur importance, les régions de montagne sont pauvres en données et présentent un relief complexe qui rend difficile le transfert spatio-temporel des connaissances liées aux impacts du changement climatique sur les ressources en eau. En conséquence, nous savons très peu de choses sur les variabilités environnementales passées dans les bassins montagneux de haute altitude. Par conséquent, pour combler ce manque de données, ma thèse s’est concentrée sur les relations entre la croissance des arbres et le climat, ainsi que sur les reconstructions hydrologiques pour mieux comprendre comment le changement climatique affecte les ressources en eau dans les bassins fluviaux alpins et himalayens. Cette thèse a abordé les questions de recherche suivantes :
Q1. Comment le réchauffement climatique influence-t-il la relation entre température, précipitations et croissance des arbres dans les environnements alpins ? Est-il possible d’identifier un point de rupture dépendant de l’altitude dans le forçage climatique de la croissance des arbres dans le bassin de la rivière Turtmann ?
Q2. Pouvons-nous utiliser des informations intra-annuelles (bois initial et bois final), y compris les variations isotopiques des cernes des arbres, pour comprendre les changements saisonniers dans la croissance des arbres et la relation avec l’utilisation de l’eau dans les environnements alpins ?
Q3. L’analyse anatomique des cernes des arbres peut-elle être utilisée pour reconstruire l’histoire passée du débit d’une rivière peu instrumentée ou non jaugée de l’Himalaya oriental ?
Q4. Est-il possible de détecter l’évolution des sources d’eau pour la croissance des arbres en utilisant des compositions isotopiques stables des cernes annuels des arbres dans des bassins fluviaux de montagne peu instrumentés ?
Cette thèse a étudié à quelle altitude le signal climatique bascule d’une croissance limitée par la température à une croissance limitée par les précipitations pour le mélèze européen (Larix decidua) dans le bassin fluvial de Turtmann. Une zone de transition (c’est-à-dire un point de rupture d’altitude) a été identifiée entre 900 m et 1 800 m au-dessus du niveau moyen de la mer (m.s.l.) où ce signal climatique change, et ce point de rupture d’altitude semble augmenter avec le temps en raison des températures moyennes annuelles de plus en plus chaudes pour ce bassin alpin. Cette thèse a également développé 75 années (1946-2020) d’enregistrements isotopiques stables de l’oxygène (δ18O) et de l’hydrogène (δ2H) à partir des cernes des arbres du bassin de Turtmann. Les compositions isotopiques de δ18O et δ2H des arbres proches de la rivière alimentés par l’eau de fonte des glaces sont inférieures à celles reflétant les signaux de fonte des glaces, tandis que les arbres éloignés de la rivière reflètent les précipitations estivales et les signaux de fonte des neiges, mais ne sont pas influencés par l’eau de fonte des glaces s’écoulant du bassin d’amont et/ou libérée par le barrage. Cette étude a fourni une nouvelle compréhension scientifique selon laquelle les arbres situés à proximité de la rivière peuvent bénéficier de l’accès à l’eau de fonte des glaciers pour leur croissance, par rapport aux arbres qui n’ont pas accès à l’eau de fonte des glaciers dans un contexte de changement climatique.
Dans les bassins fluviaux de l’Himalaya, à la suite d’une revue systématique de la littérature sur l’état de l’art et les orientations futures des études hydrologiques des cernes d’arbres, un enregistrement de 182 ans (1840-2021) de débit avant la mousson de la rivière Zemu a été reconstitué dans la partie supérieure du bassin de la Teesta. Cette reconstruction a été réalisée sur la base d’une forte relation négative entre une chronologie centenaire des cernes d’espèces de sapin du Bhoutan (Abies densa) et les enregistrements de débit observés. Cette relation inverse et contre-intuitive est probablement due à la contribution supplémentaire de l’approvisionnement en eau de fonte des glaciers induit par l’augmentation de la température. Les enregistrements de reconstruction du débit de cette rivière peu instrumentée ont identifié 30 années de débit élevé (y compris la crue documentée du Sikkim de 1968 et la crue de l’Assam de 1998) et 33 années de débit faible. Cette étude a également mis en évidence une association positive entre l’enregistrement reconstitué du débit fluvial avant la mousson et le forçage climatique mondial (par exemple ENSO), qui peut réduire la pénétration de la mousson d’été indienne pendant les années ENSO, entraîner une diminution des précipitations mais maintenir une fonte des glaciers plus élevée en raison à des conditions plus chaudes et plus sèches de longue durée dans ce bassin. En outre, 72 années (1950-2021) d’enregistrements isotopiques stables résolus chaque année, développés à partir des cernes des arbres des espèces d’A. densa, ont montré une augmentation des compositions isotopiques δ18O et δ2H au cours de la période d’analyse. Les résultats suggèrent que dans la rivière Zemu (c’est-à-dire le bassin versant amont du bassin supérieur de Teesta), la fonte des neiges et les précipitations de mousson sont les principales contributions au débit du cours d’eau.
Globalement, les résultats de cette thèse montrent que le changement climatique a des conséquences significatives sur la croissance des arbres et sur la variabilité des débits des cours d’eau dans les bassins fluviaux de haute altitude alimentés par les glaciers. Ces résultats ont des implications importantes pour la gestion durable des ressources en eau douce dans les bassins fluviaux alpins et himalayens.