Thèse en géographie, soutenue le 2 septembre 2024 par Chalmandrier Maud, rattachée à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de la FGSE.
Ces dernières années, l’opposition entre ville et nature a été remise en question par la reconnaissance de l’importance de la biodiversité en ville et la prise en compte croissante des savoirs et des discours écologiques dans les politiques d’aménagement urbain. Pourtant, l’écologie s’est historiquement développée en étudiant les espaces de « nature sauvage » réputés les plus préservés des influences humaines. Comment cette réconciliation entre ville et écologie a-t-elle eu lieu ?
A la croisée de la géographie environnementale et des Science and Technology Studies, cette recherche doctorale étudie l’émergence et le développement de la ville en tant que lieu et objet de recherche de l’écologie scientifique en Suisse : quand, où et comment la ville est-elle devenue un milieu digne d’intérêt écologique et scientifique ? La thèse s’intéresse à l’activité savante écologique en relation avec l’espace urbain, afin de comprendre ce que l’écologie fait à la ville d’une part, et ce que la ville fait à l’écologie d’autre part. La recherche porte sur un contexte géographique jamais étudié par l’histoire de l’écologie urbaine – la Suisse, pays européen multilingue et multiculturel – et s’étend sur une période historique remontant jusqu’au début du XXème siècle.
L’enquête de terrain étudie les trajectoires, les pratiques, les formes d’engagement et les ancrages institutionnels des chercheurs qui ont produit des connaissances écologiques dans et sur la ville. Plusieurs types de matériaux empiriques ont été recueillis : entretiens, observations de terrain, corpus de publications, sources documentaires, et enfin bases de données institutionnelles sur les projets de recherche financés en écologie et en écologie urbaine. L’analyse croisée des matériaux permet d’identifier des moments, des lieux, des projets et des acteurs afin de retracer les conditions d’émergence de la recherche écologique urbaine en Suisse.
La thèse explore d’abord l’évolution de l’intérêt naturaliste pour la faune et la flore en ville au XXème siècle. Elle montre que dès le début du XXème siècle, les botanistes et les ornithologues se sont intéressés à des espèces et des espaces en ville, et qu’à partir des années 1980, les savoirs et l’engagement des naturalistes ont contribué à changer le regard sur la nature urbaine en remettant en question l’idée selon laquelle les villes étaient hostiles à la vie sauvage ; ils ont accompagné l’émergence des politiques de protection de la nature urbaine. La thèse analyse ensuite comment la recherche écologique urbaine a émergé dans les marges du monde académique à partir des années 1980. Elle montre que la légitimation scientifique de l’écologie urbaine a été rendue possible par son intégration disciplinaire en tant que spécialité de l’écologie et de la biologie de la conservation.
Les résultats de recherche permettent ainsi de revisiter l’histoire de l’écologie urbaine et d’interroger le récit de la négligence historique de la ville par l’écologie. Au-delà de l’image d’une Science abstraite et détachée de tout contexte, la thèse montre d’une part comment les pratiques, les identités et les modes d’organisation des collectifs scientifiques sont transformés par leur relation à l’environnement urbain ; elle permet d’autre part de mieux comprendre comment la science influence notre perception de la ville, ainsi que les enjeux contemporains liés à l’intégration croissante de l’expertise écologique dans les politiques de nature urbaine.