Image générée par IA (Firefly)
De Chat GPT au traitement d’images, en passant par les traducteurs universels, les algorithmes d’intelligence artificielle (IA) sont partout et influencent plus que jamais notre rapport au monde et à la société. Dans le monde scientifique, l’AI est déjà largement utilisée depuis plusieurs années dans de nombreux domaines des sciences médicales, sociales humaines et naturelles. Qu’en est-il dans les géosciences ?
Nous faisons le point avec huit scientifiques de la FGSE, qui nous expliquent comment l’IA s’intègre dans leur recherche, la font évoluer, et pose de nouveaux défis ! Découvrez les projets de ces scientifiques ou retrouvez ci-dessous une synthèse des avantages et des limites de l’utilisation de l’IA dans leurs recherches.
« Au-delà de ses applications puissantes pour la recherche, les outils de visualisations de l’IA sont très utiles pour la communication avec le grand public ».
Guillaume Jouvet
Guillaume Jouvet dope ses modèles pour simuler et étudier l’évolution des glaciers dans le passé et dans le futur. L’IA lui permet de travailler à des échelles de temps de plus en plus grandes et à des résolutions spatiales de plus en plus fines. Il utilise également l’IA dans d’autres contextes.
L’apprentissage automatique permet à Tom Beucler de prévoir la formation de cyclones tropicaux de manière plus fiable que les modèles classiques et d’améliorer le réalisme des orages dans les modèles climatiques. En tant que chercheur impliqué dans le développement de l’intelligence artificielle, il met également en garde contre ses possibles dérives.
« Il faut prendre garde à éviter une utilisation potentiellement biaisée de l’apprentissage automatique, lorsque celui-ci n’est pas encadré par des lois scientifiques ou éthiques ».
Tom Beucler
« l’IA offre une belle opportunité de collaborations avec des scientifiques issus de différents domaines ».
Marj Tonini
Marj Tonini conçoit des modèles basés sur l’IA pour évaluer les impacts des risques naturels sur l’environnement, tels que les feux de forêt ou les glissements de terrain. En combinant des bases de données sur les risques naturels et des données environnementales grâce à des algorithmes de machine learning, elle peut cartographier l’exposition aux risques et identifier les zones les plus vulnérables. Elle perçoit également d’autres avantages à cet outil.
De nombreuses gouvernances urbaines souhaitent favoriser la mobilité douce. Comment procéder ? Quels aménagements sont-ils les plus pertinents ? Comment se comportent les cyclistes dans le trafic ? Christian Kaiser contribue à répondre à ces questions en utilisant des outils de visualisation interactifs couplés à des algorithmes de deep-learning.
« Avant cette recherche, je ne pensais pas que le machine learning puisse être très utile dans le domaine de la géophysique ».
Niklas Linde
Niklas Linde apprend à l’IA à reconnaître et générer des structures géologiques pour modéliser le sous-sol. Sceptique au départ, il a su s’approprier les algorithmes développés pour générer des images.
Céline Rozenblat étudie les villes et leur développement. Elle entrevoit un potentiel de l’IA dans ce domaine pour faire émerger des liens entre différentes composantes du fonctionnement des cités (urbanisme, relations sociales, mobilité etc). Elle reste cependant pragmatique sur l’utilisation de l’IA de manière générale.
« L’impact de l’IA dépend de la manière dont elle est utilisée. On peut l’appliquer comme une recette de cuisine, ce qui ne génère pas de nouvelle connaissance, mais on peut aussi l’utiliser pour aller au-delà des principes connus ».
Céline Rozenblat
« L’avènement actuel de l’IA est notamment dû à l’arrivée massive de données numériques et aux progrès dans l’utilisation de la puissance de calcul des ordinateurs pour les exploiter ».
Grégoire Mariéthoz
Les données sont un élément-clé de l’utilisation de l’IA. Or celles-ci ne sont pas toujours en nombre suffisant ou de qualité satisfaisante (passage de satellites à intervalles de temps éloignés ou images radars tronquées par exemple). Grégoire Mariéthoz développe des méthodes statistiques permettant de combler les lacunes des données éparses ou fragmentaires, afin d’optimiser leur exploitation.
Qu’elles et ils soient précurseur·ses, utilisateur·rices occasionnel·es ou inconditionnel·es de l’IA, ces scientifiques en tirent ainsi bénéfice pour doper leurs modèles, accroître leurs échelles spatiales et temporelles, améliorer et affiner leurs prévisions ou encore découvrir de nouveaux paradigmes.
Un regard extérieur est fourni par Gérald Hess qui apporte sa vision d’épistémologue et d’éthicien sur l’essor de l’intelligence artificielle dans notre quotidien.
L’intelligence artificielle : oui mais pourquoi ?
Traditionnellement, la modélisation environnementale est au cœur de nombreuses recherches en géosciences, par exemple pour anticiper les changements climatiques, comprendre la dynamique des nappes d’eau souterraines, ou le fonctionnement des cités. Les modèles classiques (i.e sans intégration de l’IA) reposent souvent sur des équations mathématiques complexes, articulées autour de multiples variables (comme la température, l’humidité, la topographie, l’altitude, l’exposition, etc.). Pour être exploités, ces modèles nécessitent une grande puissance de calcul des ordinateurs (qui se traduit également par de long temps de calculs) et sont efficaces surtout pour décrire des processus pour lesquels toutes les variables sont mesurables et identifiées. Dès lors que l’on souhaite intégrer des éléments aléatoires (non prévisibles), modéliser des zones dans lesquelles les mesures sont impossibles (pour des raisons d’accès ou d’absence d’appareils de mesure par exemple) ou élargir les échelles de temps ou d’espace, la complexité des calculs augmente et dépasse souvent les capacités des ordinateurs.
Gagner en précision et surmonter les limites de calcul
C’est ici que l’intelligence artificielle entre en scène. « Avec l’IA on peut exploiter la capacité de calcul des cartes graphiques des ordinateurs, ce qui offre la possibilité d’effectuer un nombre incroyable d’opérations en parallèle. C’est comme si on avait 10’000 2CV à la place de 6 Ferraris », explique Guillaume Jouvet. De plus le machine learning et le deep learning rendent les calculs plus efficients car ils conservent en mémoire les résultats obtenus à chaque étape (ils se basent sur les calculs déjà effectués pour en effectuer de nouveaux). En tirant ainsi parti de toute l’information contenue dans les données, le machine learning permet d’améliorer les prédictions, de faire émerger plus clairement les liens entre les variables étudiées et de réduire la complexité des modèles. Plusieurs protagonistes affirment par ailleurs qu’« avec l’IA il est beaucoup plus simple d’intégrer et tester des variables de nature différentes dans leurs modèles que dans un modèle classique ».
Marj Tonini a notamment tiré profit de ces atouts pour développer un modèle de mesure des risques d’incendie, par la suite adopté comme standard européen : « Nous avons testé les modélisations avec et sans IA pour des prédictions de risque de feux sur des zones pour lesquelles on ne dispose pas de données. Les modélisations avec IA se sont révélées significativement plus fiables que celles obtenues avec des modèles “classiques“ ».
Ainsi face aux défis de la modélisation environnementale, l’IA offre une solution novatrice en permettant d’explorer plus à fond les modèles sur des échelles spatiales et temporelles étendues, ou faire émerger des liens de cause à effet potentiellement inattendus.
L’IA, un outil puissant qui demande précaution et réflexion
L’intelligence artificielle est indéniablement une révolution technologique, mais son utilisation nécessite une approche réfléchie. Les actrices et acteurs du domaine s’accordent sur un point : il est essentiel de respecter des principes de base lors de l’utilisation de l’IA. Cela inclut la nécessité d’avoir des ensembles de données pertinents et volumineux pour entraîner les modèles, la conception d’algorithmes efficaces, et de rester cohérent avec les connaissances théoriques des processus étudiés. « Il ne faut pas utiliser l’IA “tous azimuts“. Nous devons conserver un sens critique par rapport aux données et aux modèles appliqués. Identifier clairement les problèmes et déterminer quelles données sont pertinentes pour les résoudre demeure essentiel ».
Grégoire Mariéthoz précise quant à lui que « le choix d’utiliser l’IA doit se poser dès la conception du modèle ». Il est important de faire un bilan du gain de temps offert par l’IA sur les calcul et l’exploitation des données, par rapport au temps nécessaire à la récolte de grandes quantités de données et à l’entraînement des algorithmes sur ces celles-ci. La décision d’intégrer l’IA ou non dans un modèle dépend autant de cette balance d’investissement en temps que des résultats escomptés.
En résumé, l’IA est un outil puissant, mais son utilisation nécessite un équilibre entre le potentiel innovant qu’elle offre et les précautions indispensables pour éviter des dérives. Les chercheur·es insistent sur « l’importance de la réflexion éthique, du respect des principes de base et du discernement continu, lors de l’intégration de l’IA dans les modèles scientifiques. C’est ainsi que nous pourrons pleinement tirer parti de cette technologie tout en minimisant les dérives potentielles ».
Repousser les frontières de la connaissance environnementale
L’IA permettrait ainsi de repousser les frontières de la connaissance environnementale. « Elle ouvre de nouveaux horizons et représente un outil qui permettra de franchir de nouveaux caps », se réjouit Guillaume Jouvet. Tom Beucler entrevoit même un potentiel renversement du processus scientifique dans certains contextes. « Plutôt que de partir d’hypothèses théoriques que l’on vérifie ensuite au moyen de données, en utilisant l’IA, on part des données pour formuler de nouvelles hypothèses, avec le potentiel de raffiner ou même de remettre en cause les modèles existants. Cette dynamique pourrait éventuellement nous faire découvrir de nouveaux processus physiques ».
De telles découvertes se concrétiseront-elles ? En tous les cas, le développement constant de nouveaux algorithmes et l’intégration de l’IA aux formations des futurs scientifiques, contribueront sans aucun doute à son essor dans la recherche en géosciences pour les années à venir.
Quelques définitions
IA : L’intelligence artificielle (IA) désigne la capacité d’une machine, d’un programme informatique ou d’un système informatique à effectuer des tâches qui nécessitent généralement l’intelligence humaine. Cela inclut des activités telles que la résolution de problèmes, l’apprentissage, la reconnaissance de motifs, la compréhension du langage naturel, la perception visuelle, et bien d’autres. L’objectif de l’intelligence artificielle est de développer des systèmes capables de prendre des décisions autonomes, d’apprendre à partir de l’expérience, et de s’adapter à des environnements changeants.
Machine learning (apprentissage automatique) : sous-catégorie de l’IA qui vise à donner aux ordinateurs la capacité d’ « apprendre » à partir des données par une approche mathématique. Ces derniers peuvent ainsi résoudre des tâches pour lesquelles ils n’ont pas été spécifiquement programmés et de prendre des décisions ou de réaliser des tâches sans intervention humaine directe.
Deep learning (apprentissage profond) : sous-catégorie de machine learning basée sur une structure en réseau neuronal à plusieurs niveaux. L’apprentissage profond a connu des avancées significatives grâce à l’augmentation de la puissance de calcul et à la disponibilité de grandes quantités de données, ce qui en fait une technique clé pour des applications telles que la vision par ordinateur, la reconnaissance vocale et la traduction automatique.
Modèle stochastique : un modèle stochastique est un modèle mathématique qui prend en compte l’incertitude ou le caractère aléatoire dans ses composants. Contrairement aux modèles déterministes qui produisent des résultats identiques pour des conditions initiales données, les modèles stochastiques intègrent des éléments de hasard dans leurs formulations. Ces modèles sont souvent utilisés pour représenter des phénomènes influencés par des variables aléatoires ou des processus aléatoires.
Dans un modèle stochastique, les résultats ne sont pas prédéterminés, mais sont plutôt caractérisés par des distributions de probabilité. Cela permet de mieux représenter des phénomènes réels qui peuvent être soumis à des variations imprévisibles ou à des fluctuations aléatoires. Les modèles stochastiques sont couramment utilisés dans divers domaines tels que la finance, la météorologie, la physique des particules, et d’autres domaines où l’incertitude et le hasard jouent un rôle significatif.