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Thèse en sciences de l’environnement, soutenue le 22 décembre 2023 par Sarah Koller, rattachée à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de la FGSE.
Les débats sur la croissance économique sont sous-tendus par des positions idéologiques qui se polarisent fortement. D’une part, la foi en la possibilité d’une croissance illimitée, aujourd’hui adossée à son qualificatif de « verte », est présentée comme condition essentielle au bon développement des économies ainsi qu’à la résolution des problèmes écologiques en cours. D’autre part, se font jour depuis plusieurs dizaines d’années des appels à une économie dite de l’après-croissance, présentée comme inévitable, que celle-ci soit subie ou choisie au travers d’un projet politique de décroissance. Ces appels ne semblent pas encore avoir ébranlé la foi en la nécessité de la poursuite croissanciste. Comment comprendre cette hégémonie de la croissance économique, et l’inexistence d’une véritable réflexion politique de grande échelle à son sujet ?
Depuis quelques années, les éléments de réponse à ces questions, d’ordre institutionnel, sont complétés par des travaux qui mettent en lumière des ressorts psychologiques se jouant à la frontière entre l’individu et le collectif, et opérant de manière parfois non conscientisée. Ces travaux alimentent une anthropologie économique existentielle qui cherche à révéler les motivations profondes de notre participation au système économique. Le présent travail s’inscrit dans ce projet, tout en requestionnant nos rapports anthropocentrés à notre habitat terrestre, dans une perspective écopsychologique.
Dans une démarche à la fois théorique et empirique, ce travail met en lumière les ressorts existentiels d’adhésion à deux paradigmes socio-économiques circonscrivant des positions tranchées en faveur ou défaveur de la croissance économique dans le contexte écologique actuel : le Paradigme social dominant (DSP) et le Nouveau paradigme écologique (NEP). Pour ce faire, une enquête de terrain a été menée auprès d’une vingtaine de personnes adhérant à l’un ou l’autre de ces paradigmes. Afin d’explorer le vécu existentiel de ces personnes, un cadre théorique – nommé autorégulation existentielle, a été élaboré sui generis à partir d’une littérature en psychologie existentielle expérimentale. Ce cadre intègre de manière simultanée cinq grands enjeux existentiels que sont la mortalité, l’identité, le sens, l’isolement, et la liberté. Le vécu de ces enjeux est appréhendé selon deux grandes tendances : l’une défensive, caractérisée par une attitude de fuite, et l’autre réflexive, privilégiant une attitude de confrontation. L’hypothèse explorée est celle d’une double association entre, d’une part, une tendance de vécu existentiel défensive et une adhésion plus favorable au DSP ; et d’autre part, une tendance de vécu existentiel réflexive et une adhésion plus favorable au NEP.
Le concept d’intérêt existentiel est proposé pour rendre compte de l’adhésion à l’un ou l’autre paradigme en fonction des vécus existentiels explorés. De plus, le développement d’une identité écologique forte et d’une réflexivité culturellesont conceptualisées comme des facteurs clés pouvant expliquer l’adhésion au NEP. Enfin, la thèse identifie des pistes pratiques d’accompagnement, en proposant ensuite deux projets plus concrets de recherche-action : la création d’un spectacle et la tenue d’ateliers de réflexivité culturelle. Enfin, le travail s’ouvre sur de possibles futures recherches visant à étoffer la compréhension des blocages et leviers existentiels de transition paradigmatique.