À la croisée de l’art et de la géographie : la recherche-création

Par : Laura Pierini, doctorante à l’Institut de géographie et durabilité & Christophe Mager, Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut de géographie et durabilité.

Naviguant entre l’art et les sciences sociales, la recherche-création évolue, transformant les outils créatifs en quelque chose de plus substantiel qu’un simple objet d’étude (Huyghe, 2017). Ce domaine façonne un espace où les analyses sensibles se révèlent, mettant en avant la richesse des interactions possibles entre les institutions artistiques et universitaires afin de « rechercher et de représenter les expériences sensorielles, les émotions, les atmosphères affectives et les flux de vie » (Dewsbury, 2010). 

Summer School « Comizi d’Amore revisited » à l’Institut suisse de Rome : Un tissage créatif et multidisciplinaire
Fig.1: Flyer de la Summer School

Accueillie par l’Institut suisse de Rome du 16 au 22  juillet 2023, la Summer School « Comizi d’Amore revisited » (fig. 1) a fourni un terrain propice au mélange fertile des disciplines. Initiée par une équipe des Universités et Hautes Écoles spécialisées de l’Arc lémanique1, en partenariat avec le Département d’architecture de l’Université Roma Tre et le Département d’ingénierie civile et de l’environnement de La Sapienza, cette rencontre a réuni des étudiant·e·s de niveau Master provenant de divers horizons académiques — arts visuels et sonores, géographie, développement territorial, arts de bâtir — formant ainsi un melting-pot multidisciplinaire. 

Pendant une semaine, en s’inspirant à des thématiques tirées du film documentaire de Pier Paolo Pasolini « Comizi d’amore », ils·elles furent amené·e·s à investiguer la place des corps, genres et sexualités dans la ville, à travers la recherche-création, dans des quartiers spécifiques. 

Plusieurs projets se sont distingués en exploitant et en mêlant adroitement les compétences disciplinaires des membres de leurs équipes. En employant des méthodes qualitatives, notamment les entretiens compréhensifs (Kaufmann, 2016), et en les intégrant à la réinterprétation d’éléments visuels (fig. 2) et sonores (cf vidéo Youtube), ainsi qu’à la création numérique (fig. 3), ils ont réussi à élaborer non seulement des objets restituant leur recherche, mais aussi des outils susceptibles d’être appropriés par les personnes interrogées. Ce faisant, ils illustrent la riche potentialité de conjuguer approches créatives et recherche scientifique.

Fig. 2: A. Albanese, L. Henz, J. Meyer, L. Gygax, N. Costa, Escapade | Echoes of displaced bodies.
Fig. 3: A. Brönnimann, S. Claivaz, J. Seo.  Lucha y Siesta, Women’s virtual house
L’importance de la restitution émotionnelle dans la recherche-création

Lors de cette Summer School, l’équipe encadrante de l’Institut de géographie et durabilité de la FGSE a mis l’accent sur la communication des émotions par la recherche-création, en attirant l’attention sur l’influence des environnements urbains (construits ou naturels anthropisés) sur ces émotions. La restitution d’expériences sensorielles, psychophysiologiques et émotionnelles est en effet cruciale pour comprendre et analyser en profondeur l’espace urbain et les interactions humaines qui s’y déroulent. Il appartenait ensuite aux étudiant·e·s de faire en sorte que ces émotions — qu’il s’agisse des vécus des étudiant·e·s ou de ceux des personnes rencontrées — soient véhiculées par les créations proposées, devenant elles-mêmes des « objets conversationnels ».

Les méthodologies sensibles : Intégrer les émotions au cœur de la recherche en géographie

L’immersion dans les quartiers s’est faite sous forme de promenades sensibles (Feildel et al., 2016 ; Christmann et al., 2018), conçues pour analyser l’espace à travers les émotions ressenties pendant la déambulation. Les étudiant·e·s ont ensuite retranscrit ces perceptions au moyens de diverses formes de cartographie sensible (Olmedo, 2021), mettant en lumière les nuances et les subtilités des expériences spatiales.

Ils·elles ont en cela bénéficié de l’aide de Laura Pierini, doctorante au sein de l’Institut de géographie et durabilité, qui fait appel à des méthodologies similaires dans le cadre de ses recherches. Elle explore en effet dans quelle mesure les œuvres d’art site-spécifiques, intentionnellement conçues pour un contexte particulier, contribuent à un processus d’appropriation de l’espace et à la formation d’une identité territoriale. Dans ce contexte, Laura Pierini utilise les promenades et cartographies sensibles pour examiner la réception des œuvres d’art et son impact à plusieurs échelles. Grâce à ces méthodes qualitatives et créatives, et en focalisant l’analyse sur un objet artistique, son projet vise à répondre à des questions géographiques « par » l’art (Volvey, 2021).

Un carrefour de perspectives : l’art et la géographie en dialogue

La Summer School et divers travaux en cours à l’Institut de Géographie et Durabilité démontrent une attention marquée pour la recherche à la confluence de l’art et de la géographie. Ils ne se contentent pas simplement d’ouvrir de nouvelles perspectives dans l’analyse territoriale : ils incarnent l’interrelation fructueuse entre disciplines variées et s’affirment comme un appel à un renforcement des collaborations entre institutions universitaires et hautes écoles d’art.

Bibliographie 
  1. Carla Jaboyedoff pour la HEAD et l’HES-SO de Genève, Nouno Gilbert pour l’HEM de Genève, Laurent Matthey et Simone Ranocchiari pour l’Université de Genève, Christophe Mager et Laura Pierini pour l’Université de Lausanne. ↩︎

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