Cette publication est également disponible en : English
Thèse en géographie, soutenue le 4 décembre 2023 par Nadja Imhof, rattachée à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de la FGSE.
Ce projet de recherche examine comment les humains établissent leur relation avec les rats dans l’environnement urbain de la ville de Zurich, Suisse. Il étudie la relation interconnectée entre les humains et les êtres autres qu’humains, en se concentrant spécifiquement sur les rats norvégiens (Rattus norvegicus). En tant que généralistes, les rats s’adaptent rapidement à différents environnements, à condition que leurs besoins fondamentaux en eau, en nourriture et en abri soient satisfaits, or ceux-ci sont tous disponibles dans les environnements urbains. Leur histoire partagée avec l’humanité et leur ubiquité en tant qu’animaux urbains ont donné aux rats la réputation de nuisibles indésirables et les ont étiquetés comme des cohabitants indésirables des espaces appropriés par les humains.
En s’inspirant de la question « Comment pouvons-nous repenser la relation homme-rat dans une ville multi-espèces? », cette thèse plaide en faveur d’une réévaluation de la relation homme-rat en termes de ‘co-becoming’ plus qu’humaine. En portant attention aux êtres autres qu’humains, cette thèse propose des façons alternatives de cohabiter avec les animaux urbains, en particulier ceux considérés comme des nuisibles, et élargit ensuite la compréhension de la façon dont les humains et les rats sont affectés les uns par les autres. En remettant en question les notions d’anthropocentrisme et de perspectives dualistes dans la manière dont les rats sont placés, tués et gérés dans leur relation aux humains, cette thèse explore des coexistences entre espèces dans l’environnement urbain. Ce faisant, cette contribution fait progresser la compréhension des relations co-constituées entre les humains et les êtres autres qu’humains en développant un cadre théorique et conceptuel permettant une étude inclusive et non discriminatoire des rats et d’autres animaux urbains.
J’utilise une combinaison d’approches théoriques issues des domaines de l’écologie politique urbaine (EPU) et de la géographie animale pour aborder l’étude des rats dans les environnements urbains dans le cadre d’une recherche «plus qu’humaine». Le premier défi consiste à confronter les idées dualistes et la pensée binaire concernant les dichotomies ville-nature, nature-société et culture-environnement qui ont façonné les attitudes envers les animaux urbains considérés non appartenant au milieu urbain (Philo & Wilbert, 2000). Les approches relationnelles et plus qu’humaine encouragent un passage d’une perspective anthropocentrique à une vision plus inclusive, de sorte que les animaux urbains puissent être reconnus et étudiés indépendamment de leur utilité pour les humains. Le domaine de l’EPU a joué un rôle clé dans la critique de ces dichotomies et dans la production d’outils conceptuels permettant de naviguer dans la complexité des environnements urbains (Heynen, 2017; Keil, 2005). Avec l’influence de l’EPU, cette thèse aborde également un deuxième défi: comprendre comment les espaces habités par les rats sont produits par les processus urbains et le comportement humain, soulignant l’interconnexion des entités humaines et autres qu’humaines. Le troisième défi consiste à aborder le rôle du pouvoir d’action et de la subjectivité autres qu’humaines par le biais d’une expansion du cadre conceptuel de l’EPU. Ce travail a été réalisé en s’appuyant sur littérature des géographies animales d’une part, et en passant de perspectives anthropocentriques à des perspectives plus qu’humaines (Brighenti and Pavoni 2020; Braun 2005; Panelli 2010) d’autre part. En confrontant ces trois défis, la thèse progresse vers un cadre conceptuel au-delà de l’humain fondé sur une approche multi-espèces. Par conséquent, cette approche permet l’étude des rats urbains dans leurs multiples rôles, en mettant l’accent sur leur nature co-constituante dans la formation de l’environnement urbain et des relations humain-rat (Brighenti & Pavoni, 2020; Urbanik, 2012).
Prenant en compte les nombreux écueils des approches anthropocentriques, cette thèse propose une méthodologie alternative et novatrice pour étudier les enchevêtrements multiespèces. Ainsi, elle contribue aux approches de recherche plus qu’humaines en mettant en évidence les conséquences méthodologiques des défis épistémologiques liés à la réalisation de recherches sur les animaux. Étant donné que les animaux remettent en question les épistémologies humaines, une question méthodologique cruciale entourant la recherche sur les animaux plus qu’humains se pose : comment conceptualiser les voix de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer eux-mêmes ? Le domaine de la géographie animale offre une approche précieuse en reconnaissant les animaux en tant qu’acteurs actifs qui exercent une influence et sont également influencés (Urbanik, 2012).
Les données empiriques de cette thèse ont été collectées sur une période de deux ans dans la ville de Zurich, en adoptant une approche mixte fondée sur une ethnographie multiespèces. Les principales méthodes utilisées comprenaient l’observation participante ainsi que des entretiens formels et informels menés auprès d’une diversité d’acteurs : conseillers en lutte antiparasitaire urbaine, responsables de la lutte antiparasitaire, travailleurs de laboratoire, membres du corps enseignant universitaire, militants pour le bien-être animal et habitants de la ville de Zurich. Celles-ci se voyaient complétées par des notes de terrain et de la photographie. Les méthodes sélectionnées visent à reconnaître et à respecter les voix inaudibles et les traces des êtres autres qu’humaines, et à la création d’un espace propice à l’émergence de leurs histoires (Dooren & Rose, 2012). À travers ces données, j’analyse le « devenir avec » (Haraway, 2008) des rats, des humains et des êtres autres qu’humains, et explore les considérations éthiques d’une coexistence multi-espèces.
En examinant la fabrication, l’élimination et le « devenir avec » des rats à Zurich, cette thèse fait ainsi progresser la compréhension de la relation homme-rat et, en particulier, de la façon dont cette relation a été façonnée par les interactions socio-culturelles et spatiales. En remettant en question de manière critique les frontières et catégories fixes concernant la perception des rats et des endroits où ils devraient être, cette thèse oeuvre en faveur d’une coexistence multi-espèces plus juste entre les rats, les humains et les autres espèces autres qu’humaines.