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Cet été, des jeunes chercheuses, dont Léa Rodari (étudiante de Master en sciences de l’environnement) se sont rendues sur la Mer de Glace (Chamonix, France) afin d’extraire des roches prisonnières de la glace.
Leur objectif : mesurer le temps durant lequel ces roches ont transité à travers le glacier en utilisant la datation de la surface des roches par luminescence. Ce travail de terrain marque la première étape d’une approche inédite pour quantifier directement la dynamique glaciaire.
Les glaciers ne sont pas des objets inertes. Leur masse se déplace constamment du haut vers le bas, sous l’effet de la gravité. Avec la fonte due au réchauffement climatique, on retrouve actuellement toutes sortes de débris, de matériel – voire de restes humains – en bas de la langue glaciaire. Le plus souvent, ces objets ont été enfouis bien en amont et ont été entraîné vers l’aval avec leur gangue de glace. Mais en combien de temps ont-ils effectué leur trajet et sont-ils restés enfouis dans la glace ? Actuellement, l’évaluation de la dynamique glaciaire (c.à.d la vitesse de déplacement du glacier) se base essentiellement sur des données théoriques et des modèles numériques. La prof. Georgina King et son équipe cherche à obtenir des observations directes du mouvement du glacier. Pour ce faire, elle entend déterminer la durée d’enfouissement de roches ayant été entraînées au sein du glacier, jusqu’à leur réapparition à l’air libre. Cette nouvelle approche d’étude de la dynamique glaciaire se base sur la technique de luminescence des minéraux contenus dans les roches.
L’idée du projet vient du fait que, bien qu’on connaisse beaucoup de choses sur les glaciers, on ne sait pas combien de temps est nécessaire au transport de fragments en leur sein et que jusqu’ici aucune méthode ne permettait de mesurer cela.
Les mouvements du glacier peuvent avoir des conséquences sur le régime hydrique en aval (crues soudaines p. ex.) ou sur la stabilité des marges du glacier par exemple. Il est ainsi important de comprendre la dynamique glaciaire pour mieux anticiper ces risques.
La première étape de cette recherche s’est déroulée cet été à la Mer de Glace au-dessus de Chamonix (France). Léa Rodari étudiante de Master en sciences de l’environnement et Audrey Margirier (post-doctorante à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre IDYST) ont partagé leurs expériences de terrain dans ce cadre à la fois magnifique et physiquement et techniquement exigeant.
Le premier challenge de cette expédition a été de trouver des sites intéressants au milieu de l’immensité de la langue glaciaire, recouverte de débris rocheux. Les jeunes scientifiques ont marché durant deux jours pour repérer des échantillons potentiels, puis ont récolté leurs échantillons sur les trois jours suivants. L’une des principales difficultés était de distinguer les débris rocheux tombés récemment des sommets, de ceux qui avaient réellement séjourné dans la glace. Afin de contourner cet écueil, elles ont pris l’option de concentrer leurs recherches sur des pentes raides (en bordure de crevasses ou de la rivière supraglaciaire) sur lesquelles il n’y avait pas de débris (c.à.d où il était certain que les débris avaient bien transité dans le glacier) tombés des sommets ne pouvaient pas s’accrocher. Le deuxième challenge a été d’accéder à ces échantillons prisonniers des falaises de glace.
Il arrivait que nous repérions une roche intéressante dans une pente de glace en face de nous, mais que nous ne le voyions plus du tout une fois arrivée en haut de la falaise, la paroi étant trop verticale. Il a plusieurs fois fallu descendre en rappel « à l’aveuglette »
Audrey Margirier
Les roches extraites de leur gangue de glace ont été directement emballées dans des sacs noirs opaques pour les protéger de la lumière du jour, qui interfère avec l’analyse de luminescence. Ces échantillons ont ensuite été préparés au laboratoire : on a découpé des carottes à la surface des roches, puis on a tranché ces carottes en fins disques de 1mm. Ces opérations se sont effectuées en lumière rouge afin de ne pas perturber le signal de luminescence des minéraux de la roche.
La prof. Georgina King nous explique ce qu’est la luminescence dans les roches
La luminescence est l’émission de lumière par des minéraux contenus dans les roches. La raison de cette émission de lumière est que ces minéraux, au fil du temps, ont été exposés à des radiations émises par les minéraux alentours, causant un déplacement d’électrons, qui se retrouvent piégés dans les défauts du minéral. L’exposition de ces échantillons à une lumière d’une certaine fréquence ou couleur dans le laboratoire (dans ce cas, de la lumière bleue ou infrarouge), provoque un retour de ces électrons à leur orbite originale. Ce mouvement s’accompagne d’une émission de lumière d’une autre couleur que l’on peut mesurer. La quantité de lumière émise alors correspond au temps durant lequel les échantillons sont restés enfouis dans le glacier, et donc au temps qu’il a fallu au glacier pour transporter ces roches dans la glace.
Il reste maintenant à effectuer les analyses en luminescence. Ce travail permettra de déterminer la durée d’enfouissement de la roche (temps durant lequel elle a été plongée dans l’obscurité au sein du glacier). L’équipe se réjouit d’avoir les premiers résultats afin de les comparer aux valeurs utilisées jusqu’ici.
Nous espérons que les valeurs que nous obtiendrons, correspondront aux valeurs prédites par les modèles numériques. Dans le cas contraire, nous aurons des discussions intéressantes avec les glaciologues pour identifier où se situent les différences observées.
Georgina King
Excursions et sécurité
Se rendre sur le terrain comporte des risques. Ils sont assez élevés dans le cas précis et ont nécessité des mesures adaptées qui en ont permis le bon déroulement.
La FGSE a établi une directive et un processus afin que les scientifiques se rendant sur le terrain puissent préparer leur sortie et évaluent les risques encourus (risk assesment préalable). Des ressources externes permettant de se renseigner sur la nature du terrain y sont également mentionnées (p. ex. WSL-dangers naturels pour des excursions en Suisse).
Cette recherche impliquant un travail sur un glacier, les participant·e·s doivent avoir effectué une formation préalable adéquate, surtout si elles n’ont que peu ou pas d’expérience de ce milieu afin d’acquérir les compétences requises : identification des dangers potentiels par la connaissance du milieu et de ses contraintes (manteau neigeux, repérage des crevasses, analyse et suivi de la météo, etc.), utilisation du matériel (bon usage des crampons, cordes, etc.). Dans le cas précis, le travail isolé est proscrit : préventivement, l’activité sur le glacier doit impliquer la présence simultanée plusieurs personnes, comme cette équipe de trois chercheuses.
Si les images peuvent refléter un paysage idyllique, et des activités « fun », ce travail de terrain, comme tous les autres, a nécessité une préparation très minutieuse et un entraînement préalable afin de mitiger au maximum les risques dans des conditions de terrain qui, comme les images le montrent, sont exigeantes pour les participant·e·s. Le risque reste toujours présent, y compris pour des personnes expérimentées et bien équipées et doit être une préoccupation de tous les instants, à la fois pour les autres et pour soi-même.