COP15 : « Les mesures ne sont ni suffisantes, ni satisfaisantes »

Sabot de Vénus, une espèce menacée en Suisse (© Pascal Vittoz)

Lors de la COP15, les pays du monde entier ont conclu un accord qualifié d’historique à Montréal. Ce pacte vise notamment à protéger 30% de la planète d’ici 2030, et à débloquer 30 milliards d’aide internationale annuelle pour la biodiversité. Bonne nouvelle ? Le point de vue de deux experts de la Faculté des géosciences et de l’environnement.

Antoine Guisan, Institut des dynamiques de la surface terrestre

Antoine Guisan est chercheur à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre de la FGSE, et au Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et médecine (FBM). Il est membre du Forum Biodiversité de l’Académie des sciences.

Le pacte signé à l’issue de la COP15 contient une liste de mesures et d’objectifs, parmi lesquelles la création d’aires protégées sur 30% de la planète. Est-ce que c’est un programme réalisable ?

Sur le principe, oui. Pour rappel, la partie « Vision 2050 sur la biodiversité » contient 4 objectifs principaux, qui visent à maintenir, améliorer et restaurer l’intégrité, la résilience et la connectivité des écosystèmes, mais aussi à stopper totalement l’extinction des espèces menacées, réduire par dix le risque d’extinction pour les autres espèces, et à restaurer l’abondance des espèces natives à des niveaux sains et résilients. 

« Nous devons faire attention à ce que ces investissements aillent dans des solutions efficaces et ne servent pas, une fois de plus, à financer du « green washing ».  

Antoine Guisan, Institut des dynamiques de la surface terrestre

Ce programme est ensuite complété par 23 objectifs plus ciblés (targets), établis pour 2030. La cible numéro 3 consiste en effet à conserver de manière effective 30% d’aires terrestres, d’eaux douces, côtières et marines d’importance pour la biodiversité. 

Cependant, le texte est assez flou et permettra certainement des interprétations peu contraignantes.  Il faut savoir que, depuis la création de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 1948, de nombreux accords ont déjà été signés dans le passé pour améliorer la biodiversité. Pourtant, malgré tous ces pactes, la biodiversité n’a cessé de s’effondrer. La différence, aujourd’hui, c’est que nous atteignons un niveau de gravité vraiment très critique, qui menace notre propre survie à long-terme. On peut donc espérer que les gouvernements prennent cet accord au sérieux. 

Par ailleurs, des sommes importantes ont été théoriquement dédiées par les parties prenantes pour affronter ces défis, avec des aides (30 milliards) qui devraient être octroyées par les pays riches aux pays ayant le moins de moyens. Il faudra voir comment les états utilisent ces fonds, et si cela peut inverser la tendance. Je pense que nous devons rester très prudents à ce stade. Il faut veiller à ce que ces investissements aillent dans des solutions efficaces, et ne servent pas, une fois de plus, à financer du « green washing ».  

Les gouvernements se félicitent de cet accord. Pensez-vous que ce qui est proposé soit suffisant et satisfaisant ?

Il me semble clair que ce n’est pas le cas : elles ne sont ni suffisantes, ni satisfaisantes. Mais au moins, il semble qu’il y ait une reconnaissance plus importante que jamais de la gravité et de l’urgence de la situation de la biodiversité à l’échelle planétaire. On peut espérer que cela fera aussi réfléchir les populations des différents pays, et que la pression ira grandissante pour enrayer le déclin actuel qui est, il faut le rappeler, vraiment très inquiétant. C’est aussi le cas en Suisse, pays qui a d’ailleurs terminé dernier de classe en Europe, avec le label « lanterne rouge », c’est-à-dire avec le moins de surfaces protégées et la plus grande proportion d’espèces menacées.  

Quelles seraient selon vous les mesures complémentaires et prioritaires à prendre ? 

Des mesures de protection réellement contraignantes sont nécessaires, alors que l’accord n’en contient quasiment aucune. Il faudrait qu’un organisme ait la charge de faire respecter les objectifs, ce qui est loin d’être le cas actuellement. 

« Il faudrait mettre en place un tribunal international environnemental qui puisse juger les crimes environnementaux majeurs ».

Antoine Guisan, Institut des dynamiques de la surface terrestre

Au contraire, il existe dans le nouveau pacte une mention claire quant à la souveraineté de chaque état en la matière. Enfin, la mise au point d’une déclaration du type de celle des droits humains, mais pour la nature, me semble indiquée, tout comme l’existence un tribunal international environnemental, qui puisse juger des états, des multinationales ou des personnes pour des crimes environnementaux majeurs. Nous en semblons toutefois très loin.

Que signifie cet accord pour la Suisse ? Quel impact aura-t-il pour notre pays ?

La Suisse était présente et active à la COP15 sur la biodiversité. Cela lui donne donc une certaine responsabilité morale par rapport aux principes édictés dans l’accord. Les 4 objectifs majeurs pour 2050 et les 23 objectifs spécifiques pour 2030 pourraient s’avérer des outils importants pour mieux guider la politique suisse. Il sera probablement plus difficile désormais de nier le problème de la biodiversité et de la faire passer systématiquement après les autres problèmes. Dans le contexte des changements climatiques et de la transition nécessaire vers des énergies non-fossiles et renouvelables, notamment, cela montre clairement que les solutions à développer ne doivent pas s’inscrire en porte-à-faux avec la conservation des écosystèmes et de la biodiversité. Puisse notre parlement l’entendre et l’intégrer dans la nouvelle politique énergétique.

Pascal Vittoz, Institut des dynamiques de la surface terrestre

Pascal Vittoz est chercheur à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre de la FGSE et membre du Forum Biodiversité de l’Académie des Sciences.

En parcourant la presse, l’impression générale qui se dégage est que les gouvernements font, à chaque fois qu’ils se réunissent, un pas de géant. Dans les faits, si l’on regarde en arrière, cela donne plutôt une impression de surplace. Bien des points soulignés dans l’accord de Kunming-Montréal figurent par exemple déjà dans la Convention sur la Biodiversité de 1992.

Et l’histoire se répète. En 2002, les pays signataires de la Convention sur la biodiversité, réunis à Johannesburg, avaient décidé de réduire sensiblement l’érosion de la biodiversité d’ici à 2010. L’Europe, y compris la Suisse, s’étaient alors engagée à stopper cette érosion. Ce fut un échec tant en 2010 qu’en 2022. Cet objectif a maintenant été repoussé à 2050. 1 

De même, si l’on revient sur quelques-uns des objectifs d’Aichi, résultats de la COP10 et signés en 2010, on remarque de grandes similitudes avec l’accord de la COP15. Ce qui change, ce sont les dates pour atteindre ces objectifs. Ainsi, les échéances sont passées de 2020 à 2030 ou 2050. Et nous sommes passés de 17% à 30% de surfaces protégées. Comme peu de pays ont atteint les 17%, et en tout cas pas la Suisse (7% actuellement), difficile d’y voir un progrès et d’espérer un avenir bien meilleur.

 « Nous avons besoin d’une vision large de la protection de la biodiversité, et cela sous-entend une gestion agricole qui fait de cette protection sa priorité. »

Pascal Vittoz, Institut des dynamiques de la surface terrestre

Concernant ces 30% de zones à protéger énoncées dans l’accord, il faut être réaliste. En Europe, personne ne sait où les trouver. En Suisse, il serait possible de les situer en haute montagne. Cependant, cela ne serait guère utile, car les problèmes principaux ne se trouvent pas là, mais en plaine, autour de nous. Une vision large de la protection, est donc nécessaire, et elle sous-entend une gestion agricole ménageant la biodiversité, voire donnant la priorité à la biodiversité. La Suisse y réfléchit depuis quelques années avec une amélioration de son infrastructure écologique (mise en place d’un réseau de surfaces favorables à la biodiversité pour connecter les aires protégées). 

Toutefois, cela va faire beaucoup d’agriculteurs à convaincre, beaucoup d’argent à investir et donc beaucoup de politiciens à persuader qu’il ne suffit pas d’augmenter le budget de l’OFEV d’une poignée de millions. Entre cantons et Confédération, des centaines de millions seront nécessaires. Inversement, il faut aussi revoir les subventions néfastes à la biodiversité, qui se chiffrent en milliards chaque année (voir Gubler et al. 2020). C’était d’ailleurs l’un des objectifs d’Aichi pour 2020, mais pour lequel la Suisse n’a (presque) rien fait. Tout comme la majorité des pays, qui se donnent maintenant quelques années de plus avec le nouvel accord.

La biodiversité peut être protégée dans des surfaces exploitées par l’agriculture. En Europe, cette dernière est même souvent nécessaire pour conserver les espèces, comme celles liées aux prairies maigres. De même, la biodiversité peut être protégée dans des forêts labellisées FSC ou dans les mers avec une pêche artisanale. Mais cela nécessite d’être clair sur les objectifs visés en matière de protection, et d’assurer une gestion adaptée. Avec cet accord non-contraignant, il y a un grand risque de « green washing » en déclarant protégées des surfaces tout aussi mal utilisées qu’avant. 

Au final, le point positif de ces grands rassemblements est surtout qu’on parle de biodiversité quelques jours dans la presse.  

1 En 2010, le Forum Biodiversité avait fait le point de la situation pour la Suisse, avec la parution de l’ouvrage Evolution de la biodiversité en Suisse depuis 1900. Haupt, Berne. de Lachat et al. (2011 pour la version française).

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