Retour du Groenland : ce que les sédiments nous apprennent sur le retrait des glaciers 

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Ian Delaney, Institut des dynamiques de la surface terrestre

Une équipe de l’UNIL s’est rendue au Groenland où elle étudie les changements dans l’érosion des glaciers, ainsi que le déversement des sédiments glaciaires dans les écosystèmes. Mal connues, l’augmentation de la fonte et l’évolution de la dynamique des glaciers causées par le changement climatique pourraient entraîner des changements conséquents dans les paysages. L’étude vise à comprendre ces mécanismes et à prédire l’évolution de ces systèmes.

Ian Delaney, maitre assistant Ambizione à Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST), et Marjolein Gevers, doctorante, tous deux rattachés à la Faculté des géosciences et de l’environnement, sont de retour du terrain. Alors que le climat se réchauffe et affecte la dynamique de la surface terrestre, ils tracent les changements dans l’érosion des glaciers et le déversement des sédiments de la calotte glaciaire du Groenland.

Depuis les 50 dernières années, la fonte des glaciers s’accélère de façon significative, et la calotte glaciaire se modifie. Quelles sont les conséquences sur le paysage ? Comment suivre ces  phénomènes et prédire leur évolution ?

En prélevant des carottes de sédiments dans les fjords et en jaugeant les rivières du Groenland, Ian Delaney et son équipe cherchent ainsi à suivre les changements récents dans l’érosion de la calotte glaciaire et le déversement des sédiments. Les couches sédimentaires au fond de l’océan sont la mémoire des siècles passés. Elles contiennent des enregistrements de l’afflux de particules de la calotte glaciaire dans la mer. Les résultats de ces précieuses données alimenteront également des modèles permettant d’évaluer l’évolution de la décharge sédimentaire en fonction du réchauffement climatique.

Sept mètres de glace libérés dans les océans

Le glissement et la fonte des glaciers entraînent le déversement de sédiments dans les écosystèmes. En glissant, les glaciers raclent et érodent le substratum rocheux, tandis que les rivières sous-glaciaires charrient ces sédiments. 

Dans les régions montagneuses comme la Suisse, les modifications du flux de sédiments provenant des glaciers peuvent avoir un impact sur leur acheminement dans les systèmes fluviaux. L’hydroélectricité est également affectée par le transport des sédiments. Un apport trop important entraîne le remplissage des réservoirs hydroélectriques et peut conduire à une usure accrue des infrastructures hydroélectriques par hydro-abrasion.

Au Groenland, les changements du flux de sédiments se produisent à une échelle beaucoup plus grande. Sept mètres de glace s’élèvent au-dessus du niveau de la mer et pourraient être libérés dans les océans du monde entier au cours du prochain millénaire. Les pertes de masse de la calotte glaciaire au cours du prochain siècle seront probablement plus importantes que celles des 12 000 dernières années. 

Les changements spectaculaires de la calotte glaciaire n’affectent pas seulement le niveau global de la mer. Ils modifient également le rejet de sédiments dû à l’érosion, ce qui a un impact sur de nombreux systèmes terrestres. Par exemple, ces changements affectent l’approvisionnement de l’environnement en nutriments, mais aussi en divers éléments chimiques qui peuvent favoriser ou entraver la croissance biologique.

Lors d’une précédente expédition au Groenland financée par le Swiss Polar Institute (SPI), Ian Delaney s’est intéressé aux systèmes fluviaux. Là aussi, l’échelle est d’une autre ampleur que dans les Alpes : le débit de la rivière Watson au Groenland peut atteindre 1400 m3/s (en comparaison, le Rhône est à 500 m3/s !). L’équipe a installé des capteurs de turbidité pour mesurer les sédiments en suspension dans la rivière, et des sismomètres pour mesurer les vibrations des sédiments transportés par les rivières. Cette technique permet d’estimer les flux d’eau et de sédiments quittant les glaciers et s’écoulant dans les rivières pendant une saison de fonte. (Photo : Marjolein Gevers – Rivière Watson à Kangerlussuaq)

Groenland : un travail de terrain exigeant

Au Groenland, l’équipe de Ian Delaney n’est pas seule, car l’évolution actuelle de la calotte glaciaire attire les scientifiques du monde entier. En plus de travailler avec les opérateurs de bateaux locaux, les tâches de terrain sont partagées avec plusieurs collaborateurs suisses et internationaux. Irina Overeem et Ethan Pierce de l’Université du Colorado, Paul Liu de l’Université d’État de Caroline du Nord, Brandee Carlson et Julia Wellner de l’Université de Houston, Andreas Vieli de l’Université de Zurich, chacun travaillant dans des domaines différents et complémentaires tels que la géomorphologie côtière et fluviale, la sédimentologie, l’histoire des calottes glaciaires, la glaciologie et la géomorphodynamique.

Pour Marjolein Gevers, la communication avec tous les membres de l’équipe est essentielle pour s’assurer que chacun a le même objectif et évalue correctement la situation et le danger potentiel de la même manière. « Il est important de continuer à parler de ce que l’on ressent de la situation sur le terrain et quand on se sent mal à l’aise. » Traverser une rivière, ou simplement s’assurer de ne pas tomber du bateau, sont des défis quotidiens qui exigent concentration et vigilance, surtout quand on est fatigué.

Mais le plus grand défi pour l’équipe de l’UNIL consiste maintenant à rassembler les observations « parcellaires » échantillonnées sur le terrain pour construire une vue d’ensemble. Ian Delaney a pour objectif de rassembler les observations provenant des carottes de sédiments afin de calibrer un modèle numérique sur la dynamique des glaciers. L’idée est d’identifier les processus et d’essayer d’évaluer comment ces processus évolueront dans un climat en réchauffement. Cela les aidera à évaluer les changements potentiels de l’érosion des glaciers au cours du prochain siècle, en fonction des scénarios climatiques futurs.

Environ 8% de l’afflux de sédiments dans les océans du monde provient de la calotte glaciaire du Groenland. La décharge de sédiments dans l’Arctique affecte l’apport de nutriments dans les océans du monde. Vu les volumes énormes de sédiments, tout changement aura des impacts.

Ian Delaney
Ici, un dispositif de carottage pénètre dans l’océan depuis le navire pour collecter des sédiments au fond de l’océan. Les échantillons ramenés du terrain fourniront des informations sur les variations temporelles du dépôt de sédiments – qui entraînent des épaisseurs différentes dans les couches de sédiments – et donc sur l’évolution de la décharge au fil des décennies. (Photo : Marjolein Gevers – depuis l’Adolf Jensen au sud du Groenland, juillet 2022)

Une question brûlante : que se passe-t-il lorsque les glaciers reculent ?

Grâce au suivi de la libération des sédiments de la calotte glaciaire au Groenland, l’équipe espère comprendre comment le système réagit à la fonte croissante des glaciers et à l’évolution de leur dynamique. « Le Groenland est un endroit unique : les changements qui s’y produisent sont massifs et ont un impact mondial, mais sont encore mal compris. », commente Ian Delaney. « À travers notre recherche, nous espérons établir des modèles qui nous aideront à comprendre et prédire ces phénomènes, pour pouvoir les anticiper ».

Lorsque les glaciers fondent, que reste-t-il, quels sont les effets secondaires ?

Ian Delaney
Perchée sur son rocher, Floreana Miesen installe une caméra à déclenchement régulier devant le glacier Leverett. C’est une façon de surveiller le changement dans la zone proglaciaire. À droite, I. Delaney et F. Miesen installent cette fois un capteur de turbidité dans le front glaciaire.

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