De nouveaux éléments sur l’extinction des dinosaures grâce à l’analyse d’isotopes du mercure

Thierry Adatte, Institut des sciences de la Terre

Météorite ? Éruption volcanique ? Le professeur Thierry Adatte enquête depuis plusieurs années sur l’extinction des dinosaures. Une question l’intrigue particulièrement : les importantes éruptions volcaniques de la transition Crétacé-Paléogène – qui marque la fin des dinosaures – sont-elles antérieures, contemporaines ou consécutives à l’impact de la fameuse météorite de Chicxulub ?

En 2019, le Prof. Thierry Adatte a mené une étude en collaboration avec la Prof. Gerta Keller révélant l’existence de couches de lave qui témoignent d’une activité volcanique concentrée dans le temps et d’une ampleur phénoménale (pulses). Situées dans la région des provinces magmatiques du Deccan en Inde, ces couches sont datées de 60’000 ans avant l’impact météoritique du Chicxulub. L’extinction du Crétacé-Paléogène serait-elle donc liée à des éruptions volcaniques massives que l’impact météoritique aurait renforcées ? Le sujet reste toujours débattu.

En octobre 2021, un article publié dans la revue Geology, apporte de nouveaux arguments en faveur de ce scénario. Thierry Adatte et ses collègues ont cette fois examiné des sédiments marins à Bidart (au sud-ouest de la France). Les couches argileuses correspondant à la transition Crétacé-Paléogène (K-Pg) y sont particulièrement bien préservées. Voici ce que T. Adatte nous révèle de cette étude.

Gerta Keller est professeure à l’Université de Princeton. En 2021, elle a reçu un Doctorat honoris causa de l’UNIL en reconnaissance pour ses contributions à la controverse sur l’extinction de masse du Crétacé-Tertiaire, en particulier pour son analyse quantitative globale de l’ampleur et du rythme de l’extinction et des changements du climat qui y sont associés.

Coulées volcaniques du Deccan, Western Ghats, environ à 200km au sud-est de Bombay (photo Thierry Adatte, UNIL)

En quoi ce site est-il favorable à votre étude ?

Le site de Bidart montre un enregistrement stratigraphique très complet de la limite Crétacé-Paléogène et une préservation des signaux exceptionnelle. Une précédente étude sur ce site avait montré des enrichissements conséquents en mercure – qu’on appelle anomalies géochimiques – pouvant témoigner d’une forte activité volcanique. Ces anomalies sont détectées dans les sédiments de la transition K-Pg, mais aussi dans ceux antérieurs à cette période.

La limite KPg enrichie en Iridium correspond à la petite couche grise (base du manche du marteau (Photo Brahimsamba Bomou, UNIL)

Quels étaient vos objectifs et comment avez-vous procédé ?

Nous voulions identifier l’origine du mercure des anomalies de Bidart avant, pendant et après la transition K-Pg. Les accumulations de mercure peuvent en effet avoir plusieurs sources : volcaniques, météoritiques, combustion de biomasse, par exemple.

Notre méthode se base sur l’analyse de la répartition des isotopes de mercure dans les différentes strates, car selon l’origine du mercure, leurs signatures sont différentes. La détermination de l’origine des anomalies par les isotopes du mercure n’est pas nouvelle en soi, mais c’est la première fois qu’elle est appliquée à la limite Crétacé-Paléogène.

Qu’avez-vous découvert ?

D’abord, la présence de mercure avant la période de transition K-Pg ne peut pas être due à une remobilisation ou un remaniement des sédiments. Pour déduire cela, nous nous basons sur la répartition de différents éléments également présents dans les strates étudiées (iridium, cuivre, zinc) qui se concentrent dans les strates correspondantes à la transition et ne sont pas présents dans les strates antérieures.

La répartition observée des différents isotopes montre un résultat clair : l’accumulation de mercure avant, pendant et après l’extinction K-Pg est d’origine volcanique. Il y avait donc une activité volcanique importante avant la transition K-Pg, qui s’est prolongée durant et au-delà de cette transition. Cette activité volcanique pourrait avoir amorcé un changement significatif du climat et le déclin des espèces du Crétacé. 

Cette étude amène-t-elle des éléments supplémentaires sur la chronologie des événements autour de l’extinction des dinosaures ?

En fait, ces données valident l’importance du volcanisme du Deccan dans l’extinction de masse du K-Pg. Elles montrent que ce volcanisme a « préparé » le chemin vers l’extinction. Une activité paroxysmale de ce volcanisme a presque coïncidé avec l’impact. Le rôle de la météorite en tant que « coup de grâce » ou « événement aléatoire » dans ce phénomène d’extinction massive reste à déterminer. Le fait que le volcanisme  prédate, coïncide et postdate la limite K-Pg, explique  aussi la lente récupération (par à-coups) de la biosphère.

Des phénomènes volcaniques de cette ampleur pourraient-ils se reproduire ? 

Oui, mais il ne faut pas oublier que ces évènements volcaniques ont duré plus de 700’000 ans avec des accélérations (pulses) d’une durée de 20-50’000 ans. Le réchauffement lié à l’activité humaine ne date que de la révolution industrielle et la 6ième extinction pourrait bien avoir lieu d’ici 200 ans, si nous n’agissons pas rapidement. Il faut souligner que les changements climatiques liés à l’activité humaine sont 250 fois plus rapides que ceux qui ont provoqué les cinq grandes extinctions de masse observés depuis 540 millions d’années.

Référence 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *