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Dans une publication récente, Michael Jollands, Elias Bloch et Othmar Müntener présentent de nouvelles mesures de la diffusivité du Ti dans le quartz. Ces mesures, qui diffèrent de résultats précédents de plus de deux ordres de grandeur, permettent de réévaluer la chronologie et ont contribué à l’attribution du Prix EGU 2021 à son premier auteur.
Réécrire l’histoire d’une éruption géante
L’impressionnante formation géologique de Bishop Tuff en Californie résulte d’une éruption silicique colossale, il y a environ 800’000 ans. La coulée résultante s’étale sur plus de 1000 km2 et 150 m d’épaisseur.
Comprendre de telles éruptions volcaniques siliciques, leur origine, leur impact potentiel sur la société et l’environnement n’est pas aisée. Et pour cause : de telles éruptions ont rarement été observées à l’époque moderne. Les dépôts des éruptions préservés dans les archives géologiques sont donc nos meilleurs alliés pour décrire le passé et prévenir l’avenir. Le Bishop Tuff sert ainsi de terrain d’essai privilégié en la matière.
Michael C. Jollands, Elias Bloch, Othmar Müntener
New Ti-in-quartz diffusivities reconcile natural Ti zoning with time scales and temperatures of upper crustal magma reservoirs
Geology (2020) 48 (7): 654–657
C’est par l’étude du quartz, ce minéral qui se forme généralement dans les systèmes magmatiques siliciques et alimente ces éruptions, que les géologues tentent de retracer l’histoire de la dynamique de notre Terre. Le quartz contient l’enregistrement des processus allant de leur cristallisation initiale, en passant par leur croissance, jusqu’à leur refroidissement final à la surface terrestre. Il a la capacité de nous dévoiler l’évolution thermique, chimique et temporelle des systèmes magmatiques.
Calibrer au mieux cet outil est donc essentiel, et c’est en cela que cette nouvelle étude constitue un maillon fondamental.
Le titane : moins rapide que prévu !
Le titane (Ti) est l’un des nombreux éléments traces – en quantité infime – qui se substituent au silicium dans le quartz. La capacité de diffusion dans le minéral, qui dépend fortement de la température, est ainsi utilisée par les géologues comme un géochronomètre.
Les profils de concentration de Ti, généralement interprétés comme résultant partiellement de la cristallisation et partiellement de la diffusion, sont maintenant couramment analysés pour comprendre un large éventail de phénomènes géologiques. Cette technique a permis par exemple d’estimer le temps nécessaire à la formation de gisements de minerais porphyriques (qui offrent entre autres les « marbres antiques ») et de dater des événements métamorphiques. Elle permet aussi de déterminer pendant combien de temps et à quelles températures le quartz a cristallisé avant une éruption volcanique, lors de son séjour dans le magma de la croûte terrestre peu profonde.
Les résultats de cette nouvelle étude de Jollands et de ses collègues sont saisissants : la diffusion du Ti serait de deux à trois fois plus lente que celle déterminée dans des travaux antérieurs. Ces nouvelles mesures du Ti-in-quartz peuvent paraitre étonnantes, mais elles réconcilient de fait les échelles de temps déduites de la diffusion du Ti avec celles déterminées à l’aide des radio-isotopes et des autres chronomètres de diffusion. En revisitant cette technique, les auteurs ont ainsi aidé à établir une théorie conforme à toutes les études existantes.
Un travail primé qui dessine notre échelle du temps
Cette étude novatrice a fait l’objet de vifs débats (Comment et Reply) et a valu à son premier auteur, Michael Jollands, le Prix EGU 2021 Outstanding Early Career Scientist de la division Geochemistry, Mineralogy, Petrology and Volcanology.
Au côté d’autres études de M. Jollands, cette dernière fournit en effet à la communauté un arsenal d’outils pour délimiter l’échelle de temps des processus géologiques : de la convection et la fusion du manteau à la migration et au refroidissement du magma, en passant par les réactions métamorphiques et l’orogenèse. Ce travail a une incidence directe sur le décodage de l’histoire thermique des magmas riches en quartz, en particulier l’histoire prééruptive des éruptions siliciques explosives majeures.
Après son séjour à l’ISTE dans l’équipe d’Othmar Müntener, c’est à l’Université de Columbia (New-York) que Michael Jollands poursuit aujourd’hui ses travaux sur la chimie et la physique des cristaux et leur application à notre compréhension des échelles du temps, soutenu par une bourse du Fonds national Suisse pour la recherche (FNS).