Ressorti récemment du fond d’un tiroir, un fossile nous éclaire sur la sortie des eaux des mille-pattes, débutée il y a 500 millions d’années

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La conquête du milieu terrestre par les animaux, suivie de la mise en place d’écosystèmes complexes sur les continents, constitue un événement majeur dans l’histoire de la vie sur notre planète. On ne connait pourtant que peu de choses sur les adaptations morphologiques et physiologiques imposées par cette « sortie des eaux », par exemple la respiration dans l’air, car les fossiles des premiers animaux terrestres sont extrêmement rares. Cela est particulièrement vrai pour les myriapodes, le groupe comprenant les mille-pattes, pour lesquels il n’existe pratiquement aucune trace de leur origine et de leur conquête du milieu terrestre. 

Dans un article publié dans le journal Royal Society Open Science, Pierre Gueriau, post-doctorant à l’Institut des sciences de la Terre, et son équipe internationale nous éclairent à ce sujet en décrivant un fossile unique datant du Dévonien supérieur (-370 millions d’années). Découvert dans les années 70 en Belgique par le professeur Édouard Poty lors d’un camp de terrain et baptisé Ericixerxes potii, ou « roi hérisson de Poty » en l’honneur de son découvreur et en référence à ses longues et imposantes épines (‘ericius’ désignant le hérisson en latin), ce fossile récemment retrouvé au fond d’un tiroir est un étrange arthropode appartenant au groupe des euthycarcinoïdes.

Reconstitution d’Ericixerxes potii par Christian McCall. 

Les euthycarcinoïdes sont de rares arthropodes exclusivement fossiles puisque disparus pendant le Trias il y a 250 millions d’années, autant fascinants qu’énigmatiques : fascinants parce qu’ils sont considérés comme les premiers animaux capables d’incursions (au moins brèves) sur la terre ferme, dès le Cambrien il y a 500 millions d’années ! Et énigmatiques parce que pendant longtemps les paléontologues n’avaient aucune idée de leur position précise dans l’arbre généalogique des arthropodes… Jusqu’à ce qu’ils soient finalement identifiés cette année comme les ancêtres aquatiques des myriapodes.

N’ayant à sa disposition qu’un unique spécimen de ce nouveau fossile, l’équipe a utilisé la cartographie de fluorescence des rayons X au synchrotron de Stanford afin d’en extraire le maximum de données possibles. La distribution de certains métaux et du soufre a alors révélé plusieurs détails morphologiques jusqu’alors invisibles, l’arsenic et le cuivre mettant au jour sur cet arthropode d’une dizaine de centimètres une paire de cavités sphériques ventrales très certainement impliquées dans la respiration aérienne, différant clairement du système respiratoire trachéal des myriapodes modernes, et le soufre dévoilant des figures d’évaporation en eau peu profonde.

Photographie du fossile et cartographies de l’arsenic (As), mettant au jour une paire de chambres au sein du deuxième segment du post-abdomen, et du souffre (S), révélant des figures d’évaporation en eau peu profonde. L’échelle de couleurs va du blanc (faible abondance) au noir (plus forte abondance).

Ces informations viennent renforcer l’hypothèse d’un mode de vie amphibie pour les euthycarcinoïdes, et ont l’intérêt de confirmer que différentes stratégies respiratoires ont été utilisées lors de la transition aquatique-terrestre dans la lignée des myriapodes, remplacées ensuite par les systèmes trachéaux.

Pierre Gueriau et ses collègues soulignent également l’importance de l’approche méthodologique utilisée dans ce travail. Alors que la micro-tomographie à rayons X est maintenant régulièrement utilisée pour accéder virtuellement à l’anatomie interne de fossiles préservés en 3D, elle n’y parvient souvent pas dans le cas de fossiles plats tel que leur spécimen d’Ericixerxes potii. Ainsi, cet article démontre pour la première fois le potentiel de la cartographie de fluorescence des rayons X synchrotron pour la visualisation de nouveaux détails anatomiques chez les arthropodes fossiles, et vraisemblablement de nombreux autres fossiles plats.

Référence de l’article

Bailleur de fonds impliqué hors UNIL : une partie de cette recherche a été financée par le programme France – Stanford Center for Interdisciplinary Studies.

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