Thèse soutenue par Nadja F. STALDER, le 10 septembre 2020, Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST)
La topographie de la Terre est déterminée par les forces tectoniques et les processus d’érosion. La tectonique des plaques contrôle la distribution et les positions des continents et crée les montagnes, les océans et les îles. Comme elle régit l’activité volcanique et la vitesse d’expansion des fonds océaniques, elle est aussi le contributeur principal de l’émission de CO2 dans l’atmosphère, ce qui détermine la température et donc le climat. De plus, la création des montagnes altère la circulation atmosphérique: le relief agit comme une barrière qui empêche le transport d’humidité d’un versant à l’autre. Le climat, en revanche, contrôle l’érosion et la sédimentation et peut donc changer le bilan de masse dans les chaînes de montagnes. Bien que prédites par des modèles numériques, ces interactions sont très rarement observées sur le terrain. Cette étude présente l’utilisation de la thermochronologie pour mieux comprendre les relations entre le climat, la tectonique et l’érosion.
Les Andes d’Amérique du Sud s’étendent sur plus de 7000 km le long de la marge de subduction chilienne, traversent plusieurs zones climatiques, du désert d’Atacama à l’Antarctique, et présentent des altitudes moyennes supérieures à 4000 m.s.m. Dans ce travail, j’utilise les Andes centrales (latitude 18-36° S) pour étudier les influences respectives du climat et de la tectonique sur l’érosion à différentes échelles spatiales (quelques km à l’étendue d’une chaîne) et temporelles (milliers à millions d’années). Les taux d’érosion sont quantifiés par la modélisation des données thermochronologiques et comparés aux histoires climatiques et tectoniques issues des observations sédimentaires.
Tout d’abord, je présente 238 nouveaux âges thermochronologiques qui sont ajoutés à 744 âges issus de la littérature. Ces âges permettent de quantifier les taux d’érosion des Andes centrales au cours des 80 derniers millions d’années. L’étude des corrélations entre l’évolution des taux d’érosion et les changements tectoniques et climatiques révèle que l’activité tectonique soutient un taux d’érosion de base qui est fortement impacté par le climat. Les taux d’érosion dans la partie Nord-Ouest des Andes centrales sont petits (< 0.2 mm/an) à cause des précipitations réduites et de la faible activité tectonique. Au contraire, les taux d’érosion dans la partie Est reflètent le début et la propagation de la déformation vers l’Est et sont augmentés par l’établissement du système de mousson sud-américaine il y a environ 10 millions d’années. Les taux d’érosion les plus élevés sont observés pendant les deux derniers millions d’années. Ils proviennent des régions qui sont tectoniquement actives et qui reçoivent des précipitations abondantes et/ou qui étaient autrefois glaciaires.
Dans la deuxième partie, je concentre mes recherches sur une zone d’étude plus petite (33-35° S). Elle présente un fort gradient Nord-Sud de précipitations dans un cadre tectonique déjà bien étudié. Suite à une expansion vers le Nord de l’influence des vents d’Ouest, les précipitations dans cette région ont augmenté pendant les périodes glaciales, ce qui a entraîné l’avancement des glaciers. Ici, j’applique un nouveau thermochronomètre, basé sur la thermoluminescence, qui permet d’obtenir des séries temporelles des taux d’érosion sur les dernières 100’000 années. Je constate que les taux d’érosion étaient élevés (40-60 mm/an) il y a plus de 40’000 ans et sont plus faibles (~4 mm/an) dans des périodes plus récentes. La diminution des taux d’érosion correspond à la fin de la dernière période glaciaire, lorsque les glaciers ont recouvert une grande partie de la Terre. Les taux d’érosion élevés pendant cette période sont alors expliqués par l’apparition d’érosion glaciaire et l’augmentation des précipitations. Cependant, la région étudiée est et a été tectoniquement active. Donc, on ne peut pas exclure que le soulèvement des roches, induit par la tectonique, soit le facteur principal contrôlant les taux d’érosion élevés observés au cours des deux derniers millions d’années. Pour vérifier si les âges thermochronologiques observés dans cette région peuvent être expliqués par l’activité tectonique, j’utilise un modèle pour prédire les âges attendus par cette activité. Le résultat montre un décalage important entre les âges observés et les âges prévus. Cela indique que l’activité tectonique ne peut pas être la raison principale des taux d’érosion élevés.
Cette étude conforte l’idée que le refroidissement global et le début des glaciations ont eu un impact prononcé sur l’ampleur de l’érosion pendant les deux derniers millions d’années dans les régions montagneuses.