Vagues de froid et changement climatique

Jean-Michel Fallot, Institut de géographie et durabilité

Rafraichissez vos connaissances en météorologie avec la chronique de Jean-Michel Fallot, géographe, MER à l’Institut de géographie et durabilité et spécialiste du climat. Régulièrement, M. Fallot fait un point synthétique sur le temps en Suisse, sur les tendances climatiques, saisonnières et sur l’histoire de la météo dans notre pays, sur inspiration de données de MétéoSuisse.

Toutes les chroniques météo (2014-2019)

Selon un premier bilan de MétéoSuisse, le mois de janvier 2019 sera en moyenne le plus froid mesuré en Suisse au-dessus de 1000 m/mer au Nord des Alpes depuis 1985. Dans le même temps, l’Amérique du Nord affronte actuellement une des vagues de froid les plus intenses avec des températures actuelles de -35 à -45°C dans certaines régions du Canada et de -30°C dans le Nord des USA comme Chicago (et des températures ressenties de -50 à -60°C à cause du vent) ! De quoi donner de l’eau au moulin aux climato-sceptiques pour remettre une fois de plus en cause le réchauffement global du climat et semer le doute dans les esprits, selon une tactique bien connue.

Plusieurs études ont toutefois montré que le réchauffement global du climat peut favoriser dans certains cas des vagues de froid intense en hiver jusque dans les latitudes moyennes. La raison est à chercher du côté des régions polaires. Ces dernières se refroidissent fortement en saison froide par manque de soleil durant la nuit polaire et cela se traduit par une accumulation d’air froid importante et la formation d’anticyclones thermiques puissants au sol. Comme la pression atmosphérique diminue plus rapidement avec l’altitude dans un air froid (que chaud), ces anticyclones thermiques disparaissent rapidement avec l’altitude et sont remplacées par des dépressions en altitude dans la haute troposphère et la stratosphère au-dessus des Pôles, mieux connues sous le nom de vortex polaire. Ces dépressions et les hautes pressions présentes en altitude au-dessus des régions tropicales (également pour des raisons thermiques vu que la pression atmosphérique diminue plus lentement avec l’altitude dans un air chaud) engendrent des vents d’Ouest puissants en altitude au-dessus des latitudes moyennes (en particulier l’Europe). En temps normal, ces vents d’Ouest isolent les régions polaires des autres régions sur Terre et maintiennent le froid en hiver dans les hautes latitudes. Ils amènent également des précipitations plus ou moins importantes sur l’Europe.

Mais le réchauffement global du climat, plus important dans l’Arctique, conduit à un affaiblissement des accumulations d’air froid et des anticyclones polaires en saison froide qui se traduit par un affaiblissement du vortex polaire en altitude et des vents d’Ouest dans les latitudes moyennes vu que la pression diminue moins rapidement avec l’altitude dans un air moins froid. Cet affaiblissement des vents d’Ouest en altitude favorise le développement d’ondes connues sous le nom d’ondes de Rossby que je vous avais déjà décrites dans une précédente chronique météo le 1er mai 2017 avec la rétrospective de l’automne 2016 et de l’hiver 2016/2017. Ces ondes permettent notamment de transférer du froid des régions polaires dans les moyennes latitudes (par l’intermédiaire de dépressions ou de thalwegs dépressionnaires et des vents du Nord-Ouest à Nord-Est) et de la chaleur des régions tropicales dans les moyennes latitudes (par l’intermédiaire d’anticyclones ou de dorsales anticycloniques et des vents du Sud-Ouest à Sud-Est). Ces ondes peuvent dans certains cas devenir prononcées et stationnaires lorsque la circulation d’Ouest s’affaiblit sensiblement et influencer ainsi fortement le temps dans les latitudes moyennes pendant plusieurs jours ou semaines avec une circulation essentiellement méridienne (Nord -> Sud ou Sud -> Nord). Suivant où on se trouve, on peut alors bénéficier d’un temps plus doux et sec que la normale (lorsqu’on est sous l’influence d’anticyclones et d’afflux d’air tropical du Sud-Ouest à Sud-Est) ou subir un temps plus froid et humide que la normale (lorsqu’on est sous l’influence de dépressions et d’afflux d’air polaire du Nord-Ouest à Nord-Est).

Ces cas se sont souvent rencontrés durant l’année 2018 où l’Europe occidentale et centrale a bénéficié d’un temps plus doux, ensoleillé et sec que la normale d’avril à octobre 2018 grâce à des ondes de Rossby bien marquées dans la circulation d’Ouest. Elles ont alors favorisé la présence fréquente d’anticyclones et d’afflux d’air tropical sur l’Europe occidentale et centrale durant cette période. Je rappelle que l’année 2018 et le semestre d’été 2018 (avril à septembre) ont été en moyenne les plus chauds enregistrés en Suisse (et en France) depuis le début des mesures en 1864. De même, les mois d’avril à octobre 2018 figurent tous parmi les 2 à 7ème mois les plus chauds mesurés depuis 1864 en Suisse. La Suisse orientale a également connu sa période de sécheresse la plus intense sur 8 mois depuis 1864 pour les mois d’avril à novembre 2018.

La circulation d’Ouest s’est rétablie en décembre 2018 amenant des précipitations bienvenues et des vents tempétueux sur l’Europe. Mais elle s’est à nouveau affaiblie depuis Noël et en janvier 2019 avec le développement d’ondes de Rossby bien marquées. L’anticyclone était toutefois centré plus à l’Ouest sur l’Atlantique Nord, ce qui a favorisé des afflux d’air polaire du Nord sur son flanc Est sur l’Europe centrale et orientale qui ont alors reçu d’abondantes chutes de neige (ainsi que la Suisse centrale et orientale). La Suisse romande et les Alpes françaises ont été moins touchées par ces afflux d’air froid et humide, car plus proches de l’anticyclone. Cette situation a persisté durant une bonne partie du mois de janvier 2019, ce qui explique ces températures moyennes basses mesurées durant ce mois en montagne au Nord des Alpes en Suisse. Par contre, le Sud des Alpes a connu en 2019 un de ses mois de janvier les plus doux (et les plus secs) depuis 1864 grâce au foehn du Nord qui a souvent soufflé consécutivement à ces afflux d’air fréquents du Nord.

Pour rappel, le mois de janvier précédent en 2018 avait été en moyenne le plus doux mesuré en Suisse depuis 1864 et cela grâce à une circulation d’Ouest bien établie qui avait amené de nombreuses précipitations (sous forme de pluie à basse altitude et de neige en altitude) et de fréquentes tempêtes. Les ondes de Rossby étaient alors peu marquées et le froid circonscrit aux régions polaires.

Les modèles climatiques prévoient que le vortex polaire et la circulation d’Ouest dans les latitudes moyennes en altitude devraient continuer à s’affaiblir dans le futur consécutivement au changement climatique, ce qui se traduira par des ondes de Rossby plus prononcées dans cette circulation et par des vagues de chaleur plus fréquentes en été dans les moyennes latitudes. Ces ondes de Rossby pourront aussi favoriser des vagues de froid dans certaines régions en hiver, mais elles devraient tout de même devenir plus rares et moins intenses dans le futur consécutivement au réchauffement global du climat. Il y aura donc toujours des hivers bien enneigés et des vagues de froid dans nos régions, mais plus aussi souvent que dans le passé.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *