La commission de l’environnement du Conseil des États souhaite se pencher à nouveau sur la révision de la loi sur le CO2 après son échec à convaincre le National. Et il y a urgence en l’espèce si l’on veut s’accorder aux prévisions en matière climatique avancées lors de l’accord de Paris. C’est dans ce sens – celui d’une recherche de solutions complémentaires à la diminution des concentrations de CO2 d’origine humaine dans l’atmosphère – que l’European Academies Science Advisory Council (EASAC) publie le 19 février 2019 un complément important à son rapport sur les NET, les « Negative Emission Technologies » ou technologies d’émission négative de CO2, c’est-à-dire des moyens visant à capter durablement le CO2 atmosphérique.
Eclairage par Eric Verrecchia, professeur à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre
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Qu’est-ce que l’EASAC et de quel rapport s’agit-il ?
L’EASAC regroupe les académies nationales des sciences des États membres de l’UE, de la Norvège et de la Suisse. C’est une entité regroupant la voix de conseils académiques indépendants qui mobilisent les scientifiques européens dans leur domaine d’expertise pour guider la politique de l’UE dans l’intérêt de la société. L’un des derniers rapports phare que nous avons publié en février 2018 concernait en particulier les NET, les Negative Emission Technologies (disponible sur le site de l’EASAC), notion à ne pas confondre avec l’ingénierie planétaire ou Geoengineering.
Mais quelle alors est la différence entre les NET et la géo-ingénierie ?
Les NET, appelées aussi techniques CDR (pour Carbon Dioxyde Removal), reposent sur des processus qui capturent, en termes de bilan, du CO2. Ou dit autrement, la mise en place de ces processus naturels, agronomiques ou industriels, produit une certaine quantité de CO2 qui est inférieure à la quantité captée au cours du déroulement CDR. La géo-ingénierie en revanche est fondée essentiellement sur des techniques jouant sur l’albédo planétaire visant à faire baisser les températures, et donc à impact à l’échelle du globe, et dont les possibles effets secondaires, et les sommes mises en jeu, n’ont rien de comparable avec les NET. Si la géo-ingénierie nous pousse souvent à jouer les apprenti-sorciers et pose de sérieux problèmes, les approches NET devraient en revanche être rapidement évaluées le plus finement possible, soutenues, et mises en oeuvre.
Que disait en substance ce rapport ?
Rapidement, il est clairement apparu que les NET n’auront pas vocation à compenser l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre (ou GES), que ce soit par exemple les solutions technologiques de captation et d’enfouissement de CO2, la reforestation, ou encore la gestion rationnelle de l’agriculture et de l’agroforesterie. Par conséquent, s’appuyer sur des scénarios ou des projections comptant sur la contribution des NET pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, sans autre politique d’accompagnement, reste illusoire et ne doit pas constituer le fondement des approches énergétiques futures de l’Union Européenne et de ses partenaires.
Alors les NET ne serviraient-elles à rien ?
Je n’ai pas dit cela. Au contraire, elles vont aider aux transitions énergétiques et au renforcement de notre gestion des GES, et pour certaines d’entre elles, même contribuer de façon très substantielle à une amélioration de notre environnement.
C’est-à-dire ?
L’EASAC souligne dans son rapport de 2018 que l’UE et ses partenaires devraient se concentrer rapidement sur les stratégies de diminution directe des émissions. C’est un point crucial. A côté de cela, deux des approches préconisées pour les NET, rappelées dans le communiqué de presse de février 2019, consistent à augmenter les taux de carbone organique dans les sols et la biomasse forestière. Voilà une perspective qui n’est de loin pas insurmontable et qui contribuerait à améliorer notre qualité de vie. Mais, malheureusement, nous persistons à accroître la déforestation en milieu tropical et à intensifier la dégradation des sols, et ces comportements continuent d’ajouter de grandes quantités de GES. Donc il faut absolument que les autorités reprennent le contrôle de la conservation actuelle de la forêt, tout en luttant contre la dégradation des sols quelle que soit la zone climatique, de façon à restaurer le niveau de carbone organique requis dans ces sols. De plus, en général, des sols mieux pourvus en carbone organique sont plus fertiles, mieux équilibrés, et remplissent plus efficacement leurs services écosystémiques, comme la purification des eaux par exemple.
Quels sont les points forts de ce nouveau communiqué ?
Il est clair que si l’on veut inverser la croissance des émissions mondiales de GES, il devient alors de plus en plus évident qu’un recours au déploiement massif et diversifié des NET sera inévitable. Lutter efficacement contre la déforestation, amplifier le reboisement, augmenter les niveaux de carbone organique dans les sols et améliorer la gestion des zones humides demeurent les approches actuellement les plus rentables et les plus viables de captage de CO2 atmosphérique. Ces NET devraient être mises en œuvre dès maintenant en tant que solutions à la fois à faible coût et adaptées aux pays développés comme en développement. Ce ne sont pas les seules technologies qui devront être déployées. Des progrès sont en cours dans le domaine de la capture industrielle et les recherches avancent sur nombre d’autres solutions : mais les investissements « recherche et développement » restent encore aujourd’hui trop marginaux. De plus, il faut garder en tête que la capacité de ces puits ne sera probablement pleinement utilisée que dans quelques décennies. Et l’on comprend pourquoi la réduction des émissionsreste l’enjeu le plus urgent et le plus problématique…