Morphodynamiques et transfert de sédiments dans une rivière alpine impacté par l’homme

Thèse soutenue par Maarten Bakker, le 28 août 2018, Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST)

Au cours de l’Anthropocène, les bassins versants alpins ont été affectés par les activités humaines de manière indirecte, via les changements climatiques et l’évolution des usages du sol, et directement à travers l’ingénierie des cours d’eau et la régulation des débits. Le bassin du Rhône suisse est un exemple notoire, ses tributaires alpins étant significativement impacté par le réchauffement climatique et l’exploitation hydroélectrique. Les environnements alpins s’adaptent en réponse à l’accélération du taux de livraison de sédiments non-consolidés depuis l’amont en lien avec la récession glaciaire récente et les changements climatiques en cours. Parallèlement, beaucoup de bassins versants alpins sont affectés par des prélèvements d’eau pour l’exploitation hydroélectrique. Cette pratique, commune à travers la chaine alpine, réduit drastiquement la capacité de transport des cours d’eau tout en laissant dans le lit l’entier de la masse sédimentaire, contrairement aux lacs de barrage qui tendent à stocker les matériaux et produire des déficits sédimentaires à l’aval. Combinés, les impacts des changements climatiques et des prélèvements d’eau affectent ainsi la dynamique morphologique, la capacité de stockage et la capacité de transfert des tributaires alpins vers les émissaires principaux, le Rhône dans ce cas précis.

Dans ce travail de thèse, ce sont la dynamique morphologique et les transferts sédimentaires de la Borgne d’Arolla, tributaire du Rhône, qui ont été étudiés en réponse aux effets combinés des changements climatiques et des prélèvements d’eau pour la production hydroélectrique. Le caractère intermittent et hautement régulé des écoulements permet la quantification précise des changements morphologiques à travers la télédétection du lit pendant les périodes sèches où le débit est nul, et la reconstruction du taux de livraison sédimentaire depuis les années 1970 est rendue possible par les données de purge des captages. L’évolution du lit de la Borgne depuis le début de l’exploitation hydroélectrique au début des années 1960 a été étudié à travers l’application de méthodes photogrammétriques ‘Structure from Motion’ à des images aériennes historiques. Cette méthode semi-automatique permet la production de modèles numériques de terrain historiques à haute résolution (MNTs), où la faible amplitude altitudinale des plaines alluviales alpines requière un contrôle consciencieux des résultats photogrammétriques.

Les résultats de l’étude montrent que le tronçon situé directement en aval du captage principal a subi une aggradation considérable (jusqu’à 5 mètres) depuis le début des prélèvements d’eau. L’aggradation du lit à plus large échelle n’a toutefois pas débuté jusqu’à l’initiation du retrait glaciaire à la fin des années 1980 et au cours des années particulièrement chaudes du début des années 1990 qui ont conduit à une augmentation dans le taux de livraison sédimentaire depuis l’amont. Malgré cela, les données montrent que la majeure partie des sédiments (environ 75%) ont pu être transférés à travers le tronçon d’étude. En effet, si les prélèvements d’eau ont significativement réduit la capacité de transport de la Borgne, il apparait que la capacité de transport résiduelle reste proche du taux de livraison depuis l’amont. Cet équilibre rend le système hautement sensible aux forçages internes et externes, qu’ils soient ‘naturels’ ou anthropiques. La distribution spatiale et temporelle du transport sédimentaire et les changements morphologiques au sein des tronçons étudiés varient significativement entre des séquences intermittentes d’écoulement qui correspondent à des ‘purges sédimentaires’ des captages d’eau.

Ceci souligne l’importance des conditions antérieures à la purge à l’aval du captage, notamment la morphologie des chenaux de la plaine alluviale et le stockage des sédiments en leur sein, ainsi que leurs rétroactions sur les taux de transport, pour la compréhension de l’équilibre morphologique de ces systèmes. La sensibilité du système conduit également à des réponses rapides face aux forçages externes liés aux changements climatiques et hydrologiques dans le bassin versant, notamment l’évolution des taux de livraison sédimentaire et la fréquence des purges des captages d’eau qui avait été dimensionnés par le passé sur la base de conditions climatiques plus froides. Ceci conduit à une forte augmentation de la fréquence des crues non régulées en raison de la surcharge du système de captage et de transfert des eaux, ce qui impacte significativement l’export de sédiment vers l’aval.

Dans le bassin versant à plus large échelle, l’augmentation du taux de livraison sédimentaire dû aux changements climatiques et sa propagation peuvent être perçus: (1) dans la variabilité temporelle des prélèvements de matériaux dans les carrières du bassin versant; (2) dans le volume des cônes de déjection à la confluence des tributaires avec les émissaires principaux; et (3) dans l’augmentation de la charge en suspension dans le delta du Rhône sur le lac Léman.

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