Rafraichissez vos connaissances en météorologie avec la chronique de Jean-Michel Fallot, géographe, MER à l’Institut de géographie et durabilité et spécialiste du climat. Régulièrement, M. Fallot fait un point synthétique sur le temps en Suisse, sur les tendances climatiques, saisonnières et sur l’histoire de la météo dans notre pays, sur inspiration de données de MétéoSuisse.
Suisse
D’après MétéoSuisse, notre pays a connu en 2018 la période d’avril à juillet en moyenne la plus chaude mesurée depuis 1864, devant celle de 2003. Mais l’année 2003 a surtout été très chaude en juin et en août. On verra ce que nous réserve le mois d’août 2018. Ces températures élevées s’accompagnent également d’une grande sécheresse, notamment dans le Nord de la Suisse où il manque l’équivalent d’environ 2 mois complets de pluie. La période d’avril à juillet 2018 est en moyenne la 4ème la plus sèche mesurée à l’échelle suisse depuis 1864 derrière celles de 1870, 1865 et 1911, mais devant celles de 1921 et 1976. La période d’avril à juillet 2018 a reçu environ 65% de la moyenne pluviométrique à long terme pour ces 4 mois. La période d’avril à juillet 1870 n’avait reçu que 46% de la normale actuelle (1981-2010) pour ces 4 mois.
Vous trouverez plus d’informations à ce sujet sur le site de MétéoSuisse.
Je vous rappelle encore que la Suisse a mesuré en moyenne nationale en 2018 :
- le mois de janvier le plus chaud depuis 1864 malgré des chutes de neige abondantes dans les Alpes,
- le 2e mois d’avril le plus chaud depuis 1864 derrière celui de 2007,
- le 5e mois de mai le plus chaud depuis 1864,
- le 4e printemps le plus chaud depuis 1864 derrière ceux de 2011, 2007 et 2017,
- le 4e mois de juin le plus chaud depuis 1864 derrière ceux de 2003, 2017 et 2002,
- probablement le 6e mois de juillet le plus chaud depuis 1864 selon un bilan encore provisoire de MétéoSuisse.
Nord de la France et Benelux
Les températures maximales ont atteint 36 à 38°C dans le Nord et Nord-Est de la France, en Belgique et aux Pays Bas les 26 et 27 juillet 2018. Lille a établi un nouveau record de chaleur absolu hier pour cette ville avec 37.6°C (devant les 36.6°C mesuré le 10 août 2003), alors que le record de chaleur absolu pour les Pays-Bas a été égalé le 26 juillet 2018 avec 38.2°C à Arcen (comme à Maastricht le 2 juillet 2015). Les températures minimales ne sont pas descendues au-dessous de 21 à 24°C durant la nuit du 26 au 27 juillet 2018 dans ces régionslà (et même 24.7°C à Gent), soit des nuits tropicales (càd des nuits avec des températures restant supérieures à 20°C selon la terminologie de MétéoSuisse).
Scandinavie
Les températures maximales ont grimpé jusqu’à 33°C dans le Nord de la Norvège vers le 70°N le 19.07.2018 (Lakselv, Berlevåg) et jusqu’à 34.6°C à Oslo et 34.2°C à Stavanger dans le Sud de la Norvège le 26 juillet 2018. La température minimale n’est pas descendue audessous de 25.2°C durant « la nuit » du 18 au 19 juillet au phare de Makkaur près de Båtsfjord dans le Nord de la Norvège vers le 70°N au bord de la mer de Barents, soit un nouveau record de chaleur pour l’Arctique. En Europe, seuls les rivages de la Méditerranée et quelques grandes villes européennes bénéficiant d’îlots de chaleurs urbains prononcés comme Paris ou Lyon peuvent enregistrer des températures minimales encore plus élevées en été.
Conséquence de cette chaleur estivale, la température de la Mer Baltique atteint 20 à 24°C, voire même 25°C dans le golfe de Finlande, soit des températures dignes de la Méditerranée en été. Les modèles climatiques prévoient le plus fort réchauffement des températures durant le 21ème siècle dans les hautes latitudes de l’hémisphère Nord consécutivement à la fonte des neiges et des glaces qui se traduira par une baisse moyenne de l’albédo (= pourcentage de rayonnement solaire réfléchi en direction de l’espace), L’albédo est très élevé au-dessus des surfaces enneigées et englacées qui renvoient une grande partie du rayonnement solaire en direction de l’espace sans réchauffer la surface de la Terre et l’atmosphère environnante, contrairement aux autres surfaces (eau, végétation, sol nu, surfaces construites, …). On peut ressentir ces effets quand on se promène au-dessus des surfaces recouvertes de neige ou de glace en montagne en été : la température de l’air est sensiblement plus basse au-dessus de ces surfaces qu’ailleurs (rocher, herbe, …) et cela découle directement de ces différences dans l’albédo. Or, la surface de la banquise dans l’Océan arctique a déjà rétréci en moyenne de 35% à la fin de l’été de 1979 à 2017 et les surfaces enneigées ont aussi sensiblement diminué dans les moyennes et hautes latitudes à l’échelle annuelle. Il en va de même pour les glaciers côtiers au Groenland et dans les montagnes des moyennes et hautes latitudes comme les Alpes où les glaciers ont reculé en moyenne de 25% depuis l’an 2000 !
Sur cette base, les climatologues ont prévu que des vagues de chaleur avec des températures supérieures à 30°C devraient toucher les régions polaires en été, mais pas avant 2030 ou 2040. Or de telles valeurs sont déjà atteintes en 2018 en été dans les régions polaires de la Scandinavie, ce qui est inquiétant ! La fonte des neiges et des glaces dans les différentes régions du monde semble plus rapide que celle prévue par les modèles climatiques durant le 21ème siècle, ce qui aura aussi des incidences sur le niveau des mers.
Maghreb et Moyen Orient
La canicule touche aussi le Magreb avec un nouveau record de chaleur absolu mesuré pour l’Algérie de 51.3°C à Ouargla dans le Sahara (précédent record : 50.6°C à In Salah le 12 juillet 2002). Une température de 53.0°C a été mesurée à Ahwaz en Iran le 2 juillet 2018 (et 52.9°C dans la vallée de la Mort en Californie le 24 juillet 2018), soit à 1°C du record du monde de chaleur absolu de 54.0°C détenu conjointement par la Vallée de la Mort à Furnace Creek le 30 juin 2013 et Mitriba au Koweit le 21 juillet 2016. Des valeurs encore plus élevées avaient été mesurées ailleurs sur Terre, mais elles ne sont pas reconnues par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM).
A Timimoun dans le Sahara algérien, les températures maximales oscillent entre 46 et 50°C et les températures minimales entre 29 et 35°C depuis le 4 juillet 2018. La température minimale n’est pas descendue au-dessous de 42.6°C pendant 24 heures entre le 25 juin à 18h et le 26 juin 2018 à 18h à Quraayyat sur les côtes du Sultanat d’Oman : il s’agit d’un nouveau record mondial pour une température minimale sur 24 heures. Il faut être solide pour vivre là-bas en été !
Asie de l’Est
Des records de chaleur absolus ont également été battus au Japon (41.1°C le 23 juillet 2018 à Kumagaya à 50 km au Nord-Ouest de Tokyo devant les 41.0°C de Shimanto le 12 août 2013) et en Corée du Nord (39.7°C à Wonsan le 22 juillet 2018).
Caucase et Asie centrale
Les 3 capitales des pays du Caucase ont aussi battu leur record de chaleur absolue avec 42.7°C à Bakou, 42.4°C à Erevan et 40.5°C à Tbilisi. Il en va de même pour Kaboul en Afghanistan (40.5°C à 1790 m/mer), alors que les températures ont grimpé jusqu’à 48.6°C au Turkménistan.
Canada
Un nouveau record de chaleur absolu a également été mesuré à Montréal avec 36.6°C. Vous trouverez plus d’informations sur ces records de chaleur en Europe et dans le monde sur le site de MétéoFrance.
Selon MétéoSuisse, le jet stream polaire et la circulation d’Ouest des latitudes moyennes sont actuellement plus faibles que d’habitude sur l’Europe, ce qui favorise le maintien d’anticyclones ou dorsales anticycloniques, ainsi que de dépressions ou thalwegs stationnaires pendant plusieurs jours ou semaines aux mêmes endroits. Suivant où on se trouve, on bénéficie d’un temps chaud et sec comme c’est le cas actuellement sur une bonne partie de l’Europe avec l’anticyclone des Açores ou d’un temps frais et humide pour ceux qui ont la malchance de se situer près d’une dépression ou thalweg dépressionnaire. Le cas le plus célèbre reste l’été 2003 où l’anticyclone des Açores s’était maintenu pendant 3 mois sur une bonne partie de l’Europe.
Les conditions météorologiques globales de ces dernières semaines sont assez semblables à celles observées lors de la sécheresse d’avril à juillet 1976, mais avec des températures en moyenne plus élevées consécutivement au réchauffement global du climat selon MétéoSuisse. Ces types de situations bloquantes pourraient devenir plus fréquents dans le futur avec le changement climatique. Vous trouverez plus d’informations à ce sujet sur le site de MétéoSuisse.