A l’occasion de la Journée internationale de la prévention des catastrophes du 13 octobre il est opportun de parler des catastrophes et de leur place dans la société, et de tenter de soulever un certain nombre de problèmes liés à celles-ci. Ces lignes expriment une opinion destinée à ouvrir le débat de la part d’un « scientifique » qui souhaite un jour mériter vraiment de l’être.
La Décennie internationale pour la prévention des risques de catastrophes naturelles (1990-1999) est déjà loin et quel chemin avons-nous parcouru depuis ? ? Le monde a changé, il est connecté : désormais l’annonce de tout « petit événement catastrophique » ayant entraîné le décès de quelques personnes ou induit des dégâts limités peut faire le tour de la planète en moins de temps qu’il ne faut pour intervenir sur place, et ceci sans marquer les esprits plus longtemps que leurs annonces. L’effet des catastrophes est contrasté : d’une part les tremblements de terre et tsunamis associés, les inondations et cyclones, etc. tuent beaucoup dans les pays pauvres (ce n’était pas toujours le cas, Cuba protégeait par le passé mieux ses habitants que les USA) et d’autre part ont des impacts économiques considérables dans les pays riches. Cependant, la désormais l’accès à la connaissance de petits événements nous montre que la somme des impacts de ceux-ci n’est pas négligeable pour les collectivités locales. Par exemple, en quelques années, et pour la seule Suisse, l’un de nos doctorants a recensé plus de 800 phénomènes naturels dangereux ayant affecté les routes en 5 ans ; des évènements qui avaient d’ailleurs souvent pour source une activité humaine…
L’Asie devient peu à peu le centre du monde, concentrant environ 60% de la population mondiale et une grande partie de la production industrielle, mais aussi, par sa situation géographique, la plupart des victimes : à cause des tremblements de terre autour de la chaîne himalayenne et dans les zones de subduction (Japon ; Indonésie, etc.), mais aussi des typhons (Nargis a tué environ 100’000 personnes) ; les victimes se comptent souvent par dizaines de milliers : plus de 80’000 pour le tremblement de terre du Sichuan en 2008, le même chiffre au Pakistan en 2004. Ce dernier n’a été que peu relayé chez nous, car en concurrence avec Katrina qui ne fit « que » 1’300 morts, mais a coûté plus de 100 milliards de dollars. Le Pakistan a encore été touché par des inondations très meurtrières en 2010 qui ont engendré près de 2’000 morts. Il est évident que la médiatisation actuelle fausse la perception des catastrophes. Il semble que l’on s’intéresse surtout à ce que cela coûte et que l’on oublie très vite ce qui se passe dans les pays pauvres en se focalisant sans réfléchir au-delà, principalement sur les USA (et bien sûr les Antilles européennes), comme si leurs catastrophes étaient les nôtres. Elles sont les nôtres, mais les autres devraient l’être tout autant. On peut ainsi s’interroger : pourquoi a-t-on parlé plus d’Irma qui a fait plus de 110 morts, dont 70 au moins aux USA, que des 8 morts de Bondo qui en proportion sont bien plus importants pour notre société ?! Je ne veux pas introduire ici une hiérarchie, car les catastrophes sont dévastatrices pour toutes les communautés qui les vivent, mais il y a là un problème de société plus grave. Pourquoi compatir avec le capital et moins avec les populations – je caricature quelque peu ici bien sûr, mais c’est la réalité qui ressort des chiffres que j’ai mentionnés plus haut.
Qu’y a-t-il derrière tout cela ? La défense du confort occidental que nous devons absolument protéger et dont l’Amérique est un emblème ?
La gestion des risques dans nos sociétés occidentales, tout comme l’aversion de certains pour les migrants, se base sur la protection de notre confort. De la même manière que nous pouvons agir pour notre confort moral en soutenant des actions humanitaires ou environnementales en payant 2.- francs en montant dans un avion Low-cost pour partir en weekend.
La vie d’un Pakistanais vaut-elle moins que celle d’un Occidental ? C’est ce type de débat surréaliste que j’ai pu avoir à l’occasion avec des étudiants qui soulignaient que les niveaux de vie sont différents. Dès lors, pourquoi ne pas créer un fonds mondial pour aider les pays pauvres et qui financerait, lors de catastrophes affectant les pays pauvres, les pertes en vies humaines à hauteur de leur estimation dans nos pays (soit chez nous de 1 à 5 millions de CHF), afin de financer la prévention ? Ne devrait-on pas aussi créer une taxe pour notre confort et nos loisirs qui serait dédiée au développement ? Je verrais bien par exemple une action d’une grande enseigne (genre FNAC par exemple) qui taxerait tous ses produits (car il ne s’agit que de produits de loisirs) pour aider les pays pauvres. Ce type d’actions pourrait commencer par être volontaire pour les clients et petit à petit cette source de financement prendra de l’importance ; il resterait encore le problème d’utiliser ces fonds à bon escient et bien sûr puiserait dans notre portemonnaie plus qu’actuellement (il s’agirait évidemment de trouver un système équitable et tolérable pour les classes défavorisées de nos pays).
Ces dernières années ont vu diminuer la prévention par sécurisation – celle qui utilise des ouvrages de protection ou d’autres moyens de mitigation physiques (protection). Car ces mesures sont très coûteuses. En lieu et place de celles-ci, on se tourne de plus en plus vers des systèmes d’alerte. Il est en effet apparu que si l’on construit par exemple des digues pour protéger les personnes, le risque diminuait dans un premier temps. Mais par la suite, comme les collectivités concernées se sentent en sécurité, on s’installe de plus en plus dans ces zones protégées : la conséquence en est, finalement, que le risque augmente fortement en cas d’événement exceptionnel.
Alors que faut-il faire ? Où doit-on aller, au lieu que les chercheurs, dont je fais partie, se battent pour passer dans les médias ? Nous pouvons vivre avec les risques si ceux-ci sont partagés entre tous, que chacun ait sa responsabilité. Il faut bien sûr des décideurs qui coupent court aux débats stériles et aux conflits ; d’un côté nous sommes tous dans la même barque et de l’autre nous vivons dans une société qui à l’opposé glorifie l’individualisme : dès lors comment trouver chacun sa place ?
Pour cela, la recherche doit se poursuivre sur la compréhension et la prévision de ces phénomènes naturels avec lesquels l’homme interagit pour le meilleur et pour le pire, selon ses intentions et l’état de ses connaissances. Mais nous, chercheurs devons être aussi à l’écoute, partager nos connaissances et surtout nos doutes avec la société. Et rappelons que nous ne sommes en aucun cas des experts lorsque nous parlons à nos concitoyens, nous sommes citoyens parmi d’autres, amis peut-être, qui devons trouver un moyen de convaincre du bien-fondé de nos approches ; sans quoi nous disparaîtrons ; cela serait-il une catastrophe ?