En réaction à l’article paru dans la Tribune de Genève du 3 juillet 2017. Par Gabriel Salerno, doctorant à l’Institut de géographie et durabilité.
Au sud de la Birmanie dans les îles Mergui, le peuple des Moken est dans une situation critique. Ce peuple maritime nomade qui pratique une technique de pêche traditionnelle dépend de la mer pour sa subsistance. Or, les Moken se trouvent actuellement face à des enjeux majeurs qui mettent en danger la pérennité de leur mode de vie. La mondialisation et la déprédation des ressources marines les menacent au point que ce peuple est entré dans une phase de déclin. La situation fait écho à celle d’autres civilisations anciennes ou contemporaines qui se sont effondrées.
Dans son livre à succès Collapse : How Societies Choose to Fail or Succeed, le géographe et biologiste Jared Diamond montre par exemple avec originalité comment la dégradation de l’environnement sous les actions de l’homme peut avoir des effets boomerang sur l’organisation des sociétés, jusqu’à provoquer leur effondrement. L’auteur y met en évidence l’importance des interactions entre l’homme et son environnement à travers ses analyses des effondrements. Cette perspective est des plus pertinentes dans le cadre du changement climatique en cours et des dégradations croissantes de la biosphère à notre époque.
Elle l’est pour le peuple des Moken également, à la seule différence que nous sommes ici à une échelle régionale. En effet, toute société développe des modes de vie en lien avec son milieu naturel. Jared Diamond et d’autres auteurs ont montré que, lorsqu’une société vit au-delà des limites biophysiques (en d’autres termes lorsqu’elle n’a pas un mode de vie durable), elle se déstabilise et risque de se dégrader jusqu’à son déclin.
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Les Moken birmans semblent vivre une situation de cet ordre, même s’ils n’en sont pas responsables. Il était dans leur coutume de pêcher durant un mois et de laisser ensuite les ressources se reconstituer. Or aujourd’hui, les entreprises de pêche intensive qui sillonnent les mers de la région avec des chalutiers épuisent les ressources halieutiques. L’appauvrissement de ces stocks et la destruction de l’écosystème marin régional forcent ces anciens nomades à se sédentariser et à changer leur mode de vie. Exploités par les entreprises de pêche industrielle, et souvent empêtrés dans des problèmes de drogue, les Moken sont dans une situation de déclin pouvant entraîner leur disparition. Les mécanismes de l’économie de marché, où toute ressource vivante n’est prise en compte que comme ressource financière et où les sociétés traditionnelles sont perçues avec dédain, transforment l’ethnie Moken. Ceux-ci sont vraisemblablement en passe de devenir, à une échelle locale, un nouvel exemple malheureux d’effondrement moderne lié à la dégradation du milieu naturel.
Référence citée
- Jared Diamond, Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed, New York, Viking, 2005.