En réponse à l’article Climat : 2016 bat un record de chaleur, la planète entre en « territoire inconnu », écrit par Stéphane Foucart et publié le 21 mars 2017 par Le Monde.
Commentaires de Dominique Bourg,
professeur ordinaire à l’Institut de géographie et durabilité
Je commencerai par un hommage à l’auteur de l’article, Stéphane Foucart, qui avec un autre journaliste français, Sylvestre Huet, que nous avions invités ensemble à la FGSE il y a quelques années, honorent leur profession. Ils assurent depuis des années un suivi scrupuleux et solide de l’évolution de la recherche scientifique en matière climatique notamment, et réalisent de ce fait un travail de médiation de la connaissance fondamental au sein d’une démocratie, et ce d’autant plus dans cette époque où des forces diverses organisent la diffusion de fake news.
2016 : année record
Il se passe effectivement quelque chose sur le plan du climat. 2016 est la troisième année record en termes de hausse de la température moyenne, avec un décuplement du rythme d’augmentation de la température ces trois dernières années, et un début de 2017 (janvier – février) à l’unisson. Les sciences du climat n’ont jamais prétendu que les effets du changement de la composition chimique de l’atmosphère devaient être, en termes d’élévation de la température, réguliers ; mais de là à constater une telle accélération, c’est autre chose. Cela constitue bel et bien une surprise, comme celles auxquelles nous a il est vrai habitués la saga des problèmes environnementaux depuis la seconde moitié du 20e siècle.
Cette surprise tend à donner du crédit à un récent papier de James Hansen, qui aura été la grande figure de la recherche climatique, et qui tend à démontrer que le seuil des 2° est trop élevé pour éviter un changement climatique par trop dangereux pour l’humanité : Hansen et alii, « Ice melt, sea level rise and superstorms : evidence from paleoclimate data, climate modeling, and modern observations that 2°C global warming could be dangerous » (Atmos. Chem. Phys., 16, 3761–3812, 2016, doi:10.5194/acp-16-3761-2016).
Parmi la litanie des conséquences délétères du changement climatique, mentionnons au premier chef la fragilisation de nos capacités de production alimentaire sur laquelle se multiplient les études. Lors des vagues de chaleur les plantes ferment leurs stomates : elles captent ainsi moins d’énergie, laquelle va plutôt vers l’allongement des racines pour faire aussi face au stress hydrique que vers le développement de fruits ou graines. Risquons cette analogie, il en va de la température moyenne pour la biosphère comme de la température pour la santé du corps humain. Les petites variations comptent et le système ne se maintient en l’état (en vie) qu’au sein d’une fourchette donnée.
Réduction des émissions
Le public ne parvient pas à comprendre pleinement le caractère dangereux de la situation où nous sommes avec le climat, comme avec d’autres sujets environnementaux. A cette difficulté s’ajoute l’effet délétère des fake news et de leurs porteurs, de ceux qui veulent dissuader les autorités et les citoyens de prendre le taureau par les cornes. Rappelons que ne pas dépasser les 2° à la fin du siècle signifierait atteindre le maximum des émissions mondiales en 2020, puis zéro émissions en 2050, et des émissions négatives dans la seconde moitié du siècle. Rappelons aussi que ce qu’on appelle la géoingénierie permettrait au mieux d’écrêter le phénomène avec une prise de risque additionnelle quasi inconnue. L’effort de réduction de nos émissions dès aujourd’hui est donc capital, et tenter de persuader la population de l’inverse, criminel. Et d’ailleurs des signes encourageants existent concernant tout particulièrement la capacité de production d’électricité renouvelable désormais installée annuellement, avec même une forme de découplage absolu, limitée mais réelle, entre activités économiques et émissions de carbone.
Du côté des humanités environnementales, notre tâche est de nous tenir scrupuleusement au courant de l’évolution des connaissances scientifiques, de chercher à comprendre les raisons ou les obstacles à leur compréhension, de faciliter cette dernière, et de déployer les conséquences, pour l’organisation de la société, de la prévention et de la réalisation du changement climatique, notamment.