La pensée occidentale depuis les Lumières se nourrit de l’idée que l’Homme et la nature sont deux entités de nature différente, distinctes et autonomes. L’émergence des Parcs nationaux (dits aussi Parcs naturels) à la fin du 19e siècle aux USA découle d’ailleurs de cette idée. La séparation conceptuelle et territoriale de l’Homme et la nature est particulièrement présente dans la définition du Parc national suisse, au sein duquel « la nature est soustraite à toutes les interventions de l’homme et où, en particulier, l’ensemble de la faune et de la flore est laissé à son évolution naturelle » (Loi sur la Parc national suisse, 1980).
Dans ce contexte, le changement climatique remet fondamentalement en question l’existence de tel parc, mais également le dualisme moderne qui a vu émergé ces parcs. Premièrement, autant la faune que la flore protégées au sein des parcs ont tendance à migrer en suivant l’évolution des températures et ne se circonscrivent plus aux limites des parcs. La conception d’une nature que l’Homme peut contenir dans le temps et l’espace est mise à mal. Deuxièmement, les aléas climatiques nous rappellent plus que jamais notre lien à la nature, car c’est l’habitat même de l’Homme qui est touché. La conception de l’Homme moderne dans sa quête de domination de la nature s’écroule elle-aussi.
Face à ces limites du modèle occidental dans un tel contexte, l’interprétation japonaise des Parcs naturels est particulièrement éclairante. La conception japonaise de la nature, influencée entre autres par le Bouddhisme, est proche d’une conception cosmique : la nature est le Tout ultime, Hommes y compris. Dans cette impossibilité de penser la séparation Homme-Nature au Japon, les Parcs ont été investis comme de lieux privilégiés de rencontres, dans lesquels c’est moins la nature qui est protégée, qu’une certaine relation entre Homme et nature. L’idée est, qu’à travers une certaine expérience de la nature, l’Homme est incité à se réinscrire dans la dynamique naturelle. Autrement dit, après avoir expérimenté la nature extraordinaire des Parcs nationaux, il serait plus enclin à prendre soin de la nature ordinaire, quotidienne, locale. N’est-ce pas là une interprétation fertile à repenser autrement le rôle des Parcs nationaux dans cette période de changement ?
Leila Chakroun, Assistante doctorante à l’IGD (UNIL)
Sur la base du mémoire « Conception of nature underlying Japan’s natural parks » (2015)