Thèse soutenue par Yoann Jaquet, le 11 novembre 2016, Institut des sciences de la Terre (ISTE)
Sur Terre, la croûte terrestre est divisée en plaques tectoniques « flottant » sur une couche appelée manteau, à l’instar de radeaux sur un océan. Ces plaques ne sont pas fixes et bougent continuellement à un rythme de quelques millimètres à plusieurs centimètres par an. Cependant, malgré ces faibles vitesses, le mouvement des plaques tectoniques une fois rapporté à l’échelle géologique est très important. Pour donner un exemple à taille humaine, en 2017 l’Australie va mettre à jour son système de coordonnées, le continent ayant bougé d’environ 1.5 m ces 20 dernières années. Ceci peut sembler minime mais si on le rapporte à une échelle géologique, ça représente 75 km par million d’années.
Lorsque les plaques bougent, elles peuvent glisser l’une contre l’autre (p.ex. la faille de San Andreas), s’éloigner l’une de l’autre pour créer des océans (p.ex. Rift Est-Africain, graben du Rhin, Islande) ou converger l’une vers l’autre et produire une chaîne de montagnes (p.ex. Alpes, Andes, Himalaya).
C’est ce dernier phénomène qui va nous intéresser. Lorsque deux plaques entrent en collision, elles vont former de grandes structures que l’on retrouve dans toutes les chaines de montagnes à travers le monde. L’évolution tectonique de ces chaînes montagneuses est décrite à l’aide du modèle de prisme orogénique. Les premiers modèles utilisèrent du sable comme analogie aux roches, cela impose de considérer que les roches se déforment de manière cassante ou frictionnelle.
Des études plus récentes utilisent des modèles numériques pour quantifier la déformation des roches et la formation des prismes d’accrétions. Cependant ces modèles numériques sont, pour la plupart, physiquement inconsistant c.-à-d. que la localisation de la déformation est contrainte ou que l’élasticité est ignorée.
Les mécanismes à l’origine de la formation des prismes, et en particulier ceux permettant la localisation de la déformation, sont toujours débattus. Des mécanismes tels que la réduction de la taille des minéraux, la présence de fluides, les réactions entre minéraux ou encore l’échauffement par cisaillement sont invoqués pour la génération d’une zone de déformation localisée. Naturellement, tous ces mécanismes agissent probablement ensemble et la question est de savoir dans quelle proportion.
Dans cette thèse, nous voulons modéliser et comprendre les mécanismes impliqués dans la localisation de la déformation conduisant à la formation d’un prisme orogénique. Ces prismes sont caractérisés par :
- leur forme,
- la présence d’une zone de cisaillement majeure,
- une séquence de zone de cisaillement de 2ème ordre dans la croûte supérieure,
- la distance entre ces zones de cisaillement de 2ème ordre,
- le temps d’activité des différentes zones de cisaillement,
- le déplacement relatif induit par les zones de cisaillement et
- l’épaisseur des zones de cisaillement.
Pour y arriver, nous utilisons un modèle numérique 2D basé sur la méthode des éléments finis. Le modèle prend en compte la déformation viscoelastoplastique et la rétroaction thermomécanique.
La thèse est divisée en 3 chapitres, écrits sous forme de publications scientifiques, accompagnés par une introduction générale (chapitre 1) et une conclusion (chapitre 5). Dans le chapitre 2, nous traitons le problème de l’élasticité de la lithosphère en compression. En effet, la plupart des modèles numériques utilisent des rhéologies visqueuses et, par définition, ignorent l’élasticité. Nous montrons cependant que lorsque l’on utilise des modèles thermomécaniques, l’élasticité joue un rôle fondamental, car elle permet de stocker une fraction du travail mécanique sous forme d’énergie élastique qui peut ensuite être relâchée lors la localisation de la déformation.
Dans le chapitre 3, nous démontrons qu’un modèle thermomécanique basique peut capter la formation spontanée d’un prisme orogénique. De plus, les caractéristiques de base d’un prisme sont analysées.
Dans le chapitre 4, nous nous focalisons sur l’évolution des zones de cisaillement et de leurs paramètres physiques tels que la température, les contraintes ou les taux de déformation.
Les caractéristiques des prismes évoquées ci-dessus sont toutes générées dans nos modèles numériques. Nous sommes capables de reproduire la forme générale des prismes à vergence simple ou double ainsi que leurs structures principales telles que la zone principale de cisaillement et celles de 2ème ordre. Les données de température, contraintes et taux de déformation sont en adéquation avec les données de terrain. L’espacement entre les zones de cisaillement de 2ème ordre est d’environ 50 km et leur temps d’activité varie de 2 à 5 Ma. Ces deux aspects sont en accord avec les estimations faites à partir des données de terrain. Par ailleurs, l’épaisseur des zones de cisaillement, d’environ 5 km, et le déplacement des nappes se formant dans le prisme, de 40 à 100 km, sont également en accord avec les observations faites dans les orogenèses telles que les Alpes.