Thèse soutenue par Claudia Baumgartner-Mora, le 15 juillet 2016, Institut des sciences de la Terre (ISTE)
Le groupe des grands foraminifères benthiques (GFB) sont des organismes unicellulaires à squelette minéralisé que l’on trouve dans les mers tropicales chaudes. Ils hébergent des algues microscopiques et construisent de véritables « serres », coquilles très élaborées en carbonate de calcium, de taille parfois pluri-centimétrique. Les GFB ont une histoire géologique longue de 350 millions d’années. Leurs coquilles fossiles constituent une partie importante des calcaires de mer peu profonde de l’Amérique Centrale et du bassin des Caraïbes datés du Crétacé supérieur au Cénozoïque.
En général, ces organismes à symbiontes photosynthétiques préfèrent les eaux marines claires à faible taux de nutriments, semblables aux conditions requises pour les récifs coralliens. Durant les derniers 80 millions d’années, ces conditions ne furent guère souvent atteintes du fait du contexte de limites de plaques actives à volcanisme intense, au sein de l’Amérique Centrale ou encore du basin Caraïbes. Les fonds océaniques, tels que les plateaux basaltiques et les proto-arcs volcaniques, n’atteignent pas la zone photique en équilibre isostatique, à moins qu’un évènement tectonique ou volcanique produise un soulèvement.
La présence des GFB peut donc servir de repère pour ces événements tectoniques et ainsi aider à la reconstitution de l’histoire du mouvement des plaques. D’autre part, la prolifération des GFB est limitée à des lieux et/ou des périodes caractérisés par un apport détritique faible (soit de cendres volcaniques, soit d’argiles issues de l’altération terrestre).
Dans ces circonstances, les conditions favorables au développement des GFB restent éphémères et discontinues dans le temps et dans l’espace, à l’opposé des grandes plateformes associées aux marges continentales passives à soubassement continental (p. ex. Yucatan, Bahamas). Comme conséquence de ces discontinuités, les assemblages de GFB sont souvent particuliers et peu diverses.
Ce travail présente un nouveau modèle, appelé « paléo-environnements carbonatés ponctués » en s’inspirant du modèle des équilibres ponctués de l’évolution du vivant, formulé pas Eldredge et Gould en 1972. Ce modèle met en relation les réponses biotiques et sédimentaires rapides préservés dans les bancs calcaires avec des processus endogéniques, tels que les soulèvements ou affaissements tectoniques, ou encore les fluctuations de l’activité volcanique de l’arc, les deux liés au fonctionnement de l’ « usine de subduction » des plaques océaniques. Les variations paléo-climatiques et eustatiques du niveau marin restent au second plan en ce qui concerne leur influence sur le développement des bancs à GFB.
Dans ce travail, on présente des exemples de paléo-environnements à GFB qui vont de l’Aptien/Albien du nord-est du Nicaragua, à l’Oligo-Miocène du Darien au Panama oriental, et incluent des exemples cénozoïques des Antilles. L’âge des premiers bancs calcaires peu profonds est en étroite relation avec l’âge et l’histoire tectonique des soubassements. La remontée du pont peu profond de l’Amérique Centrale se fait progressivement du nord-ouest au sud-est.
Des calcaires de plateforme de l’Aptien-Albien à orbitolines reposent alors sur un complexe de subduction d’âge fini-Jurassique au NE du Nicaragua. Au N du Costa Rica des biostromes à rudistes et sulcoperculines du Campanien-Maastrichtien reposent quant à eux directement sur des soubassements océaniques soulevés lors de la collision du Complexe de Nicoya avec la marge occidentale de la Plaque Caraïbe. Une plateforme peu profonde du Paléocène supérieur à Ranikothalia gr. catenula et Neodiscocyclina spp. s’est établie sur un haut fond érodé.
Des bancs carbonatés peu profonds paléocènes se trouvent également sur des plateaux/îles océaniques accrétés. L’île océanique de Quepos se formait alors dans la région du Galapagos hot spot à plus de 1000 km de la marge centraméricaine, contenant des assemblages de GFB qui pourraient être transitionnels entre les paléo-bioprovinces américaine et indopacifique.
Les conditions peu profondes propices aux GFB se généralisent à l’Eocène moyensupérieur, soit sur des haut-fonds tectoniques de l’avant-arc, soit autour de l’arc volcanique mature qui devient émergeant, soit encore sur des iles océaniques accrétées. Les assemblages de GFB sont très diverses : on y trouve comme genres dominants des nummulites, operculines, héterostegines, lépidocyclines, orthophragmines, etc. Des bancs carbonatés de l’Oligocène supérieur représentent le premier sédiment peu profond de la région de Darien (Panama oriental), conséquence du soulèvement lié à la collision de l’arc centraméricain avec la marge active de l’Amérique du sud. Ils sont constitués principalement de lépidocyclines.
Ces bancs seraient les premiers témoins de l’émersion finale du pont terrestre de l’Amérique Centrale. Pour les périodes de changements globaux majeurs au Paléogène, tels que le Paléocène inférieur et l’Eocène inférieur, pratiquement aucun enregistrement de GFB n’est connu. Les assemblages de ces bancs carbonatés éphémères de la façade pacifique sont souvent moins divers que ceux des grandes plateformes caribéennes. Le temps de leur existence fut sûrement trop court pour permettre le développement d’écosystèmes complexes. Cependant, ils pourraient représenter des pierres de gué pour la migration des GFB entre la bio-province américaine et celle de l’indopacifique.