Thèse soutenue par Federico Galster le 1er mai 2015, Institut des sciences de la Terre (ISTE)
La zone d’Ivrea et la zone de Strona-Ceneri, en Italie nord-occidentale et Suisse méridionale, offrent la possibilité d’étudier la croute continentale des Alpes du Sud. En raison du haut degré métamorphique et l’abondance d’intrusions mafiques d’âge Permo-Carbonifère (Complexe Mafique), la zone d’Ivrea est interprétée classiquement comme de la croute inférieure permienne, alors que pour la même période la zone de Strona- Ceneri est plutôt considérée comme de la croute moyenne à supérieure. Plusieurs questions d’ordre géologique demeurent irrésolues, comme par exemple les relations génétiques entre ces deux terrains ou l’âge et le contexte d’incorporation de la zone d’Ivrea dans la croute inférieure. D’autres questions plus spécifiques restent aussi seulement vaguement précisées, comme les relations entre le metamorphisme et la mise en place des intrusions mafiques, ou les dynamiques d’emplacement de ces volumineux magmas à l’interface croute-manteau.
Nous avons étudié des bandes metasédimentaires (septa) incorporées dans les magmas mafiques lors de l’intrusion. En particulier nous nous sommes focalisés sur les minéraux accessoires (rutile et zircon) et la chimie des septa. Les informations récoltées nous ont permis de répondre plus précisément aux questions ci-dessus, ainsi que d’explorer certaines questionnes de base concernant les rutiles et les zircons.
Les septa forment une bande irrégulière qui coupe obliquement le Complexe Mafique du bas (N) vers le haut (S). Nous avons pu montrer que la chimie des septa évolue du bas vers le haut, avec les septa les plus profondes rassemblant chimiquement (U, Th, Rb, K, Si, Al) les roches de plus haut degré métamorphique (faciès granulite) dans les metasédiments encaissantes l’intrusion. Alors que les septa les moins profondes, malgré une paragenèse granulitique (métamorphisme de contact), gardent une chimie proche des metasédiments de plus faible degré métamorphique (faciès amphibolite) dans la partie moins profonde de la zone d’Ivrea. Cette relation suggère que le degré d’appauvrissement chimique des septa a été établit principalement lors d’un évènement métamorphique régional avant leur incorporation dans les gabbros. De plus l’incorporation dans les gabbros n’a pas perturbée la distribution stratigraphique originelle des septa. Ces deux observations impliquent que le métamorphisme dans la roche encaissante précède la mise en place du gabbro et que cette dernière ne se fait pas selon le modèle classique (« gabbro glacier » de Quick et al., 1992, 1994), mais se fait plutôt par injections répétées de sills à différentes profondeurs. Dans ce contexte les septa ne sont pas des xenolithes coulissantes dans un gabbro visqueux (e.g. Sinigoi et al., 1995), mais sont des bandes de roche encaissante préservée relativement en place.
L’analyse des éléments traces des différents domaines de croissance des zircons et leur datation a pu confirmer ces hypothèses. Nous avons pu dater le métamorphisme régionale à 330-320Ma, alors que les les premiers sills dans la partie profonde du Mafic Complex s’injectens à ~300Ma. Le magmatisme mafique atteigne des niveaux supérieurs à 285Ma et continue localemet jusqu’à 270Ma, Les âges des coeurs détritiques des zircons permettent de fixer l’âge minimale de sédimentation à ~370Ma ce qui correspond donc à l’âge maximale de l’incorporation de la zone d’Ivrea dans la croute inférieur. Nous proposons donc que celle ci a été accrété à la croute inférieur lors de l’orogenèse hercynienne et nous esquissons son contexte paléogéographique. L’analyse des âges des zircons détritiques nous incite à proposer que les terraines sources pour la zone d’Ivrea et les terraines de la zone Strona-Ceneri ont une histoire Paléozoïque complètement différente. En s’appuyant sur nos données et sur la littérature, nous proposons que le couplage approximative entre ces zones a commencé seulement après ~310Ma et c’est terminé au tour de 290Ma.
La teneur en titan du zircon est utilisée comme thermomètre (Ferry and Watson, 2007). L’analyse systématique des zircons nous a permit de mettre en évidence que la teneur en titan des différents domaines de croissance a des comportements contrastants en fonction du contexte texturale. Nous montrons que uniquement avec une étude approfondit, impliquant plusieurs élément traces (U, Th, HREE, Nb et Ta) et les images en cathodo-luminescence, les températures calculées peuvent être utilisées pour estimer les conditions de formation. Nous proposons que dans certains cas est possible d’estimer les températures de recristallisation.
L’analyse systématique des rutiles, nous a permit de montrer l’existence de plusieurs générations qui ont une répartition texturale et une chimie différente, même à l’échelle de la lame mince avec de grandes implications pour l’analyse des températures à partir du thermomètre Zr-in-Rutile. Une génération se forme lors de l’évènement UHT dans les restites et les liquides plus riches en titan, une autre génération se forme dans les liquides lors du refroidissement, au même temps qu’une partie de la première génération se rééquilibre au niveau du Zr. Nous montrons comment distinguer entre les grains qui se rééquilibrent, ceux qui préservent leur teneur original et ceux qui appartiennent à la deuxième génération. Localement la deuxième génération peut former des surcroissances autour de la première génération. Dans ces cas, des fortes différences en uranium entre les deux générations ont des importantes implications pour la datation U-Pb sur rutile. Classiquement les ratios Pb/U dans le rutile sont interprétés comme indiquant l’âges du refroidissement du minéral sous une température à la quelle la diffusion du Pb dans le minéral n’est plus détectable et la diffusion à plus hautes températures est assumée se faire par « volume diffusion » dans le grain (Mezger et al., 1989). Par des datations ID-TIMS (sur grain entier) et LA-ICPMS (in-situ) et une analyse texturale (MEB) approfondie nous montrons que cette supposition est trop simpliste et que le rutile est repartie en sous-domaines. Chacun de ces domaines a ça propre longueur ou chemin de diffusion spécifique. Nous proposons donc une nouvelle approche plus cohérente pour l’interprétation des âges U-Pb sur rutile.
L’application de cette nouvelle approche aux rutiles de la zone d’Ivrea nous a permit, contrairement à d’autres études, de mettre en évidence une relation entre l’âge mesuré et la paléo-profondeur de l’échantillon. La gamme d’âges obtenue (185-155Ma) s’insère dans l’évolution paléo-tectonique des Alpes Méridionales et Austroalpines au cours du rifting alpin et peut être corrélée avec des précis évènements marqueurs mis en évidences par l’évolution stratigraphique des bassins sédimentaires, les âges des extrusions basaltiques et le paléomagnétisme.