Les basaltes intra plaques: une fenêtre sur l’évolution de la Terre
La terre d’un rayon de 6370 km, est constituée d’enveloppes concentriques (Fig. 1). Au centre, le noyau, d’un rayon de 3470 km, constitué essentiellement de fer, nickel et soufre. Autour, le manteau (69% de la masse totale) composé principalement de minéraux silicatés (olivine, pyroxène, spinelle, grenat, perovskite et magnésiowüstite). La croûte sur laquelle nous vivons, avec une épaisseur comprise entre 10 et 100km, ne représente qu’une très faible partie de la masse totale de la Terre.
Si l’étude de la croûte continentale superficielle pose relativement peu de problème d’échantillonnage, il en va tout autrement de l’étude du manteau terrestre. Le forage le plus profond effectué sur la Terre a atteint la profondeur de 17 km, on reste donc très loin du manteau. Des informations directes sur la nature du manteau sont fournies par l’étude de fragments remontés par certaines laves lors de leur remontée vers la surface, ou parfois dans les chaînes de montagne au cours des collisions de continents.
Ces informations restent fragmentaires elles sont complétées par des données indirectes essentielles constituées:
- par des mesures géophysiques tel la sismique ou la gravimétrie,
- par l’étude de la géochimie des éléments en traces et des isotopes des basaltes et des minéraux qu’ils contiennent.
Etat physique et fusion du manteau
Dans les conditions normales, le manteau terrestre est à l’état solide. Dans certaines conditions de pression et de température ce manteau peut fondre partiellement et donner naissance aux magmas basaltiques sources des volcans. Ces conditions sont rencontrées dans trois environnements distincts (Fig. 2):
- au niveau des rides médio océaniques, zone de production des fonds océaniques (qui couvrent 70% de la surface terrestre;
- au niveau des zones de subduction qui donnent naissance au volcanisme d’arc insulaire observé dans les Andes ou au Japon, un mécanisme important de production de la croûte continentale;
- enfin, au niveau d’un volcanisme dit intra plaque dont les exemples les plus connus sont les îles d’Hawaï et de Polynésie. Ce dernier, généré à plus grande profondeur, serait lié à des instabilités thermiques (points chauds) prenant naissance à l’interface entre le noyau et le manteau inférieur. Témoins des processus les plus profonds, l’étude des laves intra-plaques revêt donc une grande importance. Les autres types de roches rencontrés dans les volcans (andésites, rhyolites, phonolites, etc) sont, presque toujours, les produits de l’évolution des basaltes par des processus divers dont le principal est la différentiation par fractionnement gravitaire des premiers cristaux formés (cristallisation fractionnée).
Les basaltes intra plaques: une fenêtre sur la composition du manteau
Les basaltes intra-plaques, produits directs de la fusion partielle du manteau, représentent une opportunité unique pour caractériser chimiquement et minéralogiquement le manteau. Ces basaltes présentent de très fortes hétérogénéités de composition d’un volcan à l’autre, mais aussi au sein d’un même édifice volcanique. Ces différences de composition s’expliquent par des mécanismes liés à la fusion du manteau, mais également par des variations de la composition chimique de ce manteau à l’échelle locale et à l’échelle globale. L’interprétation de ces hétérogénéités est un sujet qui retient l’attention des géologues depuis plus de 25 ans.
Une hypothèse s’est dégagée depuis une dizaine d’année grâce au développement des études géochimiques sur les isotopes (stables ou radiogéniques) ou les éléments en traces des roches mantelliques et des basaltes. Ces hétérogénéités seraient le résultat de la réintroduction au niveau des zones de subduction de la croûte océanique et d’une partie des sédiments déposés à sa surface. Si ce modèle présente une excellente cohérence interne, permettant d’expliquer les variations isotopiques et chimiques des basaltes intra plaques, il ne satisfait pas totalement d’autres contraintes rhéologiques ou géochimiques.
Le massif du Cantal: un exemple complet de volcanisme intra plaque
Les volcans intra plaques sont généralement localisés sur le fond des océans, ce qui pose des problèmes d’échantillonnage si l’on désire étudier l’ensemble des roches émises durant la vie du volcan. Pour contourner ce problème, nous avons choisi d’étudier le massif du Cantal situé dans le Massif Central français. Ce volcan, équivalent de l’Etna par sa taille, a été actif entre 13 et 3 millions d’années. La qualité d’affleurement, ainsi que la diversité des roches émises durant son activité en font un exemple idéal pour étudier les différents processus magmatiques influençant la composition des roches volcaniques (Fig. 3).
Les basaltes du Cantal se caractérisent par une importante évolution de leur composition chimique au cours du temps. L’intervalle de ces variations est comparable à celui observées pour l’ensemble des basaltes intra plaques connus à la surface de la Terre, ce qui fait de cet édifice volcanique un modèle unique. Les variations de composition chimique enregistrées peuvent être rattachées, grâce à des datations géochronologiques et à l’étude stratigraphique du massif, à une modification de leur source mantellique durant leur émission, c’est-à-dire dans une temps géologiquement très court de 3 à 4 millions d’années.
Sans entrer dans des détails trop complexes, ces variations affectent des éléments en proportions très faibles, mesurées en ppm (parties par million) mais caractéristiques de phénomènes de partages d’éléments entre des roches, des magmas ou des fluides de composition différente. Le niobium (Nb), le thorium (Th) et le tantale (Ta) et leurs rapports respectifs (Nb/Th, Ta/Th font partie des éléments clefs utilisés dans nos études. Les variations des teneurs en Nb par exemple vont de 60 à 150 ppm, celles du Th de 3 à 18 ppm. Ces variations de teneurs sont très grandes pour les géochimistes du magmatisme. La figure 4 montre ainsi la répartition des éléments traces des basaltes du Cantal par rapport aux basaltes du même type dans le monde. On y voit clairement le changement progressif de composition chimique entre les basaltes infra-cantaliens et supra-cantaliens traduisant les modifications de la composition du manteau sous-jacent durant l’édification du volcan.
Cette modification de la source ne peut pas s’expliquer par les mécanismes classiquement évoqués pour expliquer les variations de composition chimique dans le manteau. Un nouveau modèle de source mantellique hétérogène a été développé par Sébastien Pilet (Fig. 5).
Conclusion
Le modèle développé à partir des roches du Cantal propose une alternative aux modèles « classiques » de genèse des basaltes intra-plaques. Avant de généraliser le modèle il va être testé et affiné dans d?autres environnements géologiques. Un programme financé par le Fonds national de la recherche suisse va débuter sur des volcans du Maroc et en Islande. De telles études permettent ainsi de mieux contraindre les processus ayant lieu dans le manteau, et par la même de mieux comprendre l?évolution de la terre, de mieux maîtriser les caractéristiques des magmas parvenant à sa surface et par voie de conséquence l’impact du volcanisme sur l’environnement.