Par Nathalie Chèvre,
Ce post sera un peu différent de mes posts habituels. Il résume mes réflexions pendant cette période particulière que nous impose la lutte contre le Covid-19.
En effet, si il y a encore quelques mois, nombres d’articles de presse ou de journaux spécialisés parlaient de pollution environnementale et de ses conséquences sur l’homme et la biodiversité, vous avez certainement constaté, comme moi, que les propos actuels focalisent quasi-exclusivement sur le Covid-19.
Or la pollution n’a pas diminué. On détecte toujours des pesticides, cosmétiques et médicaments dans les eaux de surface. Des perturbateurs hormonaux sont toujours présents dans les plastiques, et des additifs, comme le dioxyde de titane, sont toujours sur la sellette concernant le danger qu’ils représentent pour notre santé, particulièrement celles de nos enfants.
Mais ce n’est plus une priorité
Comment, donc, continuer à parler du risque que présentent ces substances pour l’environnement et pour l’homme, alors que l’attention du public et du politique est focalisée ailleurs? Avec des inquiétudes liées à sa santé, celle de ses proches, mais également liées aux incertitudes économiques de l’après confinement.
Est-ce que mon propos va sembler déplacé? Comme lorsque j’ai mentionné l’utilisation des désinfectants dans les rues en Chine et ailleurs, qui me semble poser plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Ou est-ce que mes propos sur les effets des substances chimiques vont paraître futiles comparés aux effets du Covid-19?
Et surtout comment continuer à convaincre qu’il faut agir?
On l’a lu, le président américain a décidé de suspendre les contrôles environnementaux (pollution de l’air, pollution de l’eau) pendant la pandémie et au delà.
Nous ne sommes pas aux USA, mais de nombreuses personnes s’inquiètent que la reprise économique se fasse au détriment de l’environnement. Le Monde soulignait ainsi que de fortes pressions s’exercent à Bruxelles pour réduire les ambitions du Green Deal européen sur le climat, les transports ou l’agriculture.
Prenons l’exemple des plastiques. Depuis quelques années, nous nous émouvons des continents de plastiques que l’on trouve dans les océans. Au point que de nombreux pays ont interdits les plastiques jetables. De mêmes certaines villes suisses les ont bannis comme Neuchâtel ou Genève. Le “Zéro déchets” est en vogue et on ne compte plus livres et blogs sur le sujet.
Qu’en reste-t-il après deux mois de pandémie?
Le plastique jetable revient en force. Près de 30% de production en plus pour les emballages selon un article de Futura Planète. Et avec le jetable reviennent également les décharges sauvages.
Peut-être en avez-vous fait l’expérience d’ailleurs?
J’ai pour ma part commandé un repas par internet, pour soutenir les restaurants locaux (et aussi parce que j’en avais un peu marre de cuisiner midi et soir). Tout est arrivé sur-emballé. J’ai rempli la moitié de ma poubelle en un soir.
Exit donc la question des déchets plastiques.
Redeviendra-t-elle d’actualité après la pandémie. Je l’espère. Mais rien n’est gagné!
Autre exemple, la question des médicaments dans les eaux.
Mon premier post fût sur la qualité de l’eau potable au robinet. En effet, ces dernières années, de nombreuses études ont montré qu’on y détectait des résidus de pesticides et de médicaments.
Même si, sur la base des connaissances actuelles, des effets sur la santé ne sont pas attendus à ces concentrations-là, il est questionnant, voir inquiétant pour beaucoup de personnes, que notre eau ne soit pas pure.
Avec la pandémie actuelle, de nombreux médicaments ont été utilisés, à l’hôpital, mais aussi chez les particuliers. Parfois de nouveaux médicaments comme la chloroquine qui est utilisée normalement contre le paludisme.
De même des produits désinfectants ont été utilisés par le personnel soignant, mais également dans les magasins et à la maison, ce qui n’est pas habituel. Et cette tendance va perdurer avec le dé-confinement.
Attention, je ne remets pas en cause que l’on doive se protéger et soigner les malades!
Cependant est-ce que l’on retrouve ces médicaments et certains biocides désinfectants dans les eaux usées? Et en quantité plus importante que d’habitude? Comme pendant la période hivernale où les antibiotiques sont plus présents?
Il n’y a pour l’instant pas d’études sur le sujet. La recherche est à l’arrêt. Et d’aucuns diront que cela n’est pas une priorité.
Cependant les médicaments se retrouvent ensuite, dans nos eaux de surface. Avec des effets potentiels sur la faune et la flore, et sur la qualité de l’eau de pompage pour l’eau potable.
En Suisse, nous avons fait le choix d’équiper nos stations d’épurations pour traiter les substances chimiques. Ce choix a un coût, certes, qui a souvent été débattu. Mais au vu de la situation actuelle, il semble judicieux d’avancer dans cette direction.
Pour moi, il est clair que l’exposition à de nombreuses de substances chimiques fait courir un risque à l’être humain et à l’environnement. Je pense l’avoir mis en évidence dans mes différents posts.
Mais c’est un risque à long-terme. Les effets sont observés après plusieurs années, comme la baisse de la fertilité, la puberté précoce, certains cancers ou maladies dégénératives ou encore l’obésité. Le lien de cause à effet est donc très difficile à démontrer, d’autant que les substances chimiques sont certainement un des facteurs jouant un rôle dans ces pathologies.
Cependant beaucoup de ces maladies sont des facteurs aggravants pour le Covid-19, comme l’obésité.
Il me paraît donc crucial de continuer à se préoccuper des substances chimiques qui nous entourent, et de continuer à en parler. Et surtout de continuer à agir pour réduire notre exposition et celle de l’environnement.
Nathalie Chèvre est maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,…) pour l’environnement.
En référence, l’article américain How toxic chemicals contribute to COVID-19 deaths: Frederick vom Saal, Aly Cohen
Article initialement publié le 17 avril 2020 sur le site du journal Le Temps. Également publié sur VIRAL, les multiples vies du Covid-19.