Par José Amorim,
L’héritage du consumérisme sans lendemain, le fast-fashion et les mauvaises habitudes relatives à la manière d’acheter des vêtements comme quelque-chose de jetable voir même à usage unique, nous fait aujourd’hui nous poser des questions sur l’avenir de l’industrie de la mode. Devons-nous revenir à une époque où le costume du dimanche était la seule belle pièce de notre armoire, ou y-a-t-il d’autres alternatives ? C’est en cela que l’avenir (de la mode) est une machine à coudre. Elle permet non seulement de réutiliser les vêtements, de les réparer mais représente une prise de conscience de notre impact sur la planète.
Quand Charles Weisenthal, en 1755, rêva d’un système mécanique comportant une aiguille et qui permettait de coudre automatiquement des matières textiles, il ne pensait pas que 265 ans plus tard, son invention serait plus que jamais importante. Il venait d’inventer le principe de la machine à coudre. Nous sommes en 2020, et dans cette nouvelle décennie qui démarre, la machine à coudre devient un symbole de résistance à une industrie de la mode et du consumérisme qui se voit critiquée au plus haut point. Quand nous voyons la vitesse à laquelle les vêtements vont de la boutique à la poubelle, nous pouvons nous demander à quoi bon ? De là est né le concept de « Fast-Fashion ». Avec la prise de conscience de la société et l’impact individuel sur l’environnement, certaines pratiques deviennent réprimandables et peu porteuses d’avenir.
Notre vie comme un énorme rêve jetable
Le concept du jetable n’est pas nouveau. En 1901 l’entreprise American Safety Razor Company, devenue Gilette par la suite, présente et commercialise le premier objet jetable de l’histoire moderne : le rasoir jetable. En effet, pourquoi se raser avec un vieux rasoir si finalement c’est plus simple de se raser tous les jours avec un nouveau rasoir ? Et depuis ce temps le jetable a peuplé notre société. Nous avons connu les couche-culottes, le sac plastique, les assiettes, la lingette, le mouchoir en papier, l’appareil photo ou les stylos.
Il est important de constater qu’au départ. le jetable était un symbole fort de progrès technologique voir même d’évolution positive de la société. Il s’est développé à outrance et permettait aux entreprises de rivaliser d’ingéniosité technique et commerciale. Aujourd’hui, le jetable a mauvaise presse et est perçu comme un gaspillage et un problème pour la planète. Beaucoup d’économistes se sont intéressés à ce phénomène et a son impact dans la société d’aujourd’hui. Serge Latouche est un économiste Français rattaché à l’université de Paris-Sud. Il est une des voix principales de l’idéologie de la décroissance. Pour lui, le succès du jetable comporte une dimension anthropologique dans laquelle il y a une propension naturelle de l’homme à la dépense et au gaspillage.
Dans son ouvrage Le temps de la Décroissance, co-écrit avec Didier Harpagès, il critique le mode de vie actuel, toujours ponctué par le temps qui passe et le besoin de gagner de l’efficacité dans tout. Dans l’ouvrage on peut lire aussi comment le capitalisme offre un rêve de bonheur et comment la publicité incite les individus à dépenser de plus en plus. Sans vouloir tourner le discours ici comme une ode au marxisme, nous devons néanmoins constater que le modèle de consommation moderne, dont l’industrie de la mode est devenue le symbole ultime, abouti à un réel souci pour la planète. C’est une industrie qui a subi des bouleversements importants et une accélération des cycles sans précédent.
Le Fast-Fashion : de la boutique à la poubelle
Nous sommes passés de l’ère de la haute couture et ses deux collections par an, à son évolution vers le prêt-à-porter avec une multitude de collections et de techniques de distribution des produits. C’est probablement Zara qui initia des techniques de commercialisation de produits induisant un comportement compulsif d’achat chez les consommateurs. La marque Espagnole fut vite suivie par H&M, C&A, Peacocks, Xcel Brands et plus récemment Top Shop.
Ces techniques proposent des nouveaux vêtements toutes les semaines dans les boutiques de ces marques. En distribuant des parties de collection différentes par région, puis en faisant des rotations entre boutiques, les marques de mode Fast-fashion réussissent à créer un engouement d’achat compulsif auprès de leurs client.e.s. Il y a deux éléments clés à la réussite de cette stratégie : la vitesse de la nouveauté et les prix peu élevés. Afin de garantir ces deux éléments, cela demande un flux tendu dans les processus de production ainsi que des coûts maitrisés au centime près. Il n’y a pas de miracle. Cela induit obligatoirement de bas salaires, des conditions de travail précaires et un impact environnemental énorme.
Lorsque l’on regarde les chiffres clés de la mode, nous nous rendons compte de l’ampleur du phénomène et surtout de l’impact de chaque décision. Voici quelques chiffres clés relatifs à l’industrie fast-fashion. Ces chiffres sont tirés d’une étude menée par Greenpeace en 2017.
- Les ventes de la Mode augmentent constamment chaque année. Elles vont passer de 1.8 trillions de dollars en 2015 à plus de 2.1 trillions de dollars en 2025. Cela représente une augmentation de plus de 16% en 10 ans.
- D’un point de vue matière textile, la consommation de l’industrie de la mode passera de 62 millions de tonnes aujourd’hui à 102 millions de tonnes en 2030.
- Cela veut dire qu’en moyenne les personnes achètent 62% de plus de vêtements qu’il y a 15 ans mais les gardent deux fois moins longtemps.
- Les États-Unis est le pays le plus consommateur de textiles, avec 37kg de vêtements par an et par personne. En comparaison, La Suisse consommerait 6kg de vêtements par an et par personne.
- Moins de 1% des matériaux utilisés pour produire des vêtements seront réutilisés dans d’autres fibres et textiles. 99% sont jetés à la poubelle et incinérés.
- On a besoin de 2’720 litres d’eau pour produire un t-shirt et 10’000 litres d’eau pour produire une paire de jeans.
- D’ici 2030, il est estimé que 148 millions de tonnes de vêtements seront jetés à la poubelle. Cela représente 17.5kg de vêtements par habitant de la planète.
L’avenir pourrait sembler assez noir, en tous cas aussi noir que la fumée d’incinération des textiles, mais l’être humain s’adapte et certaines choses changent car elles n’ont plus de sens. Jeter un vêtement à la poubelle représente aujourd’hui un acte lourd de conséquences. En effet, il y a d’autres manières de recycler ses vêtements afin de leur donner une deuxième, troisième voire quatrième vie. Un des faits marquants de ce début de décennie est le retour des machines à coudre. C’est un engouement nouveau et significatif qui ravi les marques historiques qui ont su évoluer avec leur temps.
La machine à coudre, de la personnalisation à l’acte de résistance activiste
Qui n’a pas eu une grand-maman ou une tante qui n’avait pas la fameuse machine à coudre Bernina ou Singer ? Nous sommes nombreux à se souvenir du bruit de la courroie d’entrainement de l’aiguille et des ourlets faits mains. Alors que cela s’est un peu perdu d’une génération à l’autre, l’industrie de la mode en a profité pour proposer des solutions simples et peu onéreuses pour combler son besoin de vêtements.
Or on constate un retour des ventes de machines à coudre. A noter qu’elles ont bien évolué et la pédale de pied de l’époque a disparu des planches des concepteurs de ces machines depuis très longtemps. Aujourd’hui ces machines sont connectées à internet, des motifs sont téléchargeables sur internet et le manque de talent ou expertise en couture est largement comblé par une bonne machine à coudre.
Mais qui achète ces machines ? Il y a aujourd’hui une double audience. Les clients plus jeunes cherchent la personnalisation des vêtements et le côté unique des détails apposés aux vêtements standards achetés. Le « Do-it-yourself » est une tendance lourde depuis une dizaine d’années ce qui connecte la jeune génération à l’idée de recycler, raccommoder et de créer des choses soi-même. La clientèle plus âgée recherche une approche moins « mode » mais plus de durabilité. Réparer ses vêtements en leur donnant une seconde vie devient quelque chose d’important. D’après une enquête de France Inter, les ventes de machines à coudre augmentent de 10% tous les ans en Europe et en Asie.
Aux vues d’un tel engouement pour les machines à coudre, la résistance s’organise ! Les blogs et les différents tutoriels sur « comment utiliser une machine à coudre » fleurissent. C’est le cas du blog suisse superprof.ch qui propose une revue très complète sur le sujet. Les fabricants de machines aussi redoublent d’effort pour proposer des espaces de partage et de création. C’est le cas de la marque Suisse Bernina qui a créé toute une section de leur site internet récoltant des exemples de projets. Ils les classifient par difficulté et temps passé. Cela devient une mine d’inspiration pour tous ceux désirant effectuer des travaux textiles. La machine à coudre passe du statut « has been » au statut « symbole de militantisme pour le climat ». Finalement certains choix du passé ont du bon.
L’industrie de la mode s’organise et une nouvelle vague responsable se met en place
Nous pourrions croire que l’industrie de la mode est complètement à la dérive mais ce n’est pas le cas. Leur clientèle prend une certaine conscience des choses et si une marque ne fait rien, elle aura pour conséquence la perte graduelle de ses client.e.s. Alors l’industrie s’organise et surtout prend des engagements. Durant la COP24, il y a eu la création de la Charte de la Mode pour la Planète – The Fashion Industry Charter for Climate Action. Le contrat passé demande une réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030 de 30% et une émission nette de zéro d’ici 2050. Cela peut sembler peu ambitieux mais il y a une réalité économique et sociale que nul peut ignorer.
Voici quelques marques qui ont signé la charte : Adidas, American Eagle Outfitters, Burberry, Chanel, Décathlon, El Corte Inglés, Esprit, Gant, Gap, G-Starr Raw, Groupe Rossignol, Guess, H&M, Hugo Boss, Kering Group, Levi Strauss & Co, Loomstate, New Balance, Nike, Puma, Ralph Lauren ou Stella McCartney. Il y a aussi des organisations qui soutiennent la mode : CondéNast, China National Textile And Apparel Council, WWF et plusieurs institutions de gestion de la mode au Bangladesh, en Inde, etc. A noter l’absence du groupe LVMH de cette liste. En effet le groupe de Bernard Arnault a refusé pour l’instant de signer la charte car il posséderait d’ores et déjà leur propre charte interne dont les objectifs seraient aussi, voire plus ambitieux que la charte des Nations Unis.
Notons l’arrivée d’une nouvelle génération de stylistes et de marques, qui intègrent dès le départ une forte conscience écologique. Ceci devient une source d’innovation, de créativité nouvelle et de différentiation commerciale tout en préservant la planète. Voici quelques marques intéressantes : Thought Clothing (UK), Pact (USA), Alternative Apparel (USA), People Tree (UK), Tentree (Canada), Organic Basis (Danemark) ou encore la marque Suisse Where is Marlo qui apporte un soin tout particulier à son flux de production, origine des matériaux et l’écoresponsabilité de ses partenaires.
En somme…
L’avenir est incertain, disait l’économiste Anglais J.M. Keynes. Trouver la bonne équation entre des objectifs impactants pour le climat mais aussi réalistes semble difficile. Dans un contexte économique où le capitalisme semble avoir trouvé ses limites, tout changement commence par un premier pas en avant. Celui-ci pourrait être aussi simple qu’une machine à coudre.
Sources :
http://ismacs.net/sewing_machine_history.html
https://www.toutvert.fr/breve-histoire-du-jetable/
https://www.trustedclothes.com/Problem.shtml
https://textilebeat.com/aussies-send-85-of-textiles-to-landfill/
http://www.wrap.org.uk/sites/files/wrap/VoC%20FINAL%20online%202012%2007%2011.pdf
http://globalfashionagenda.com/wp-content/uploads/2017/05/Pulse-of-the-Fashion-Industry_2017.pdf
https://www.franceinter.fr/emissions/l-eco-du-matin/l-eco-du-matin-18-novembre-2013
https://www.superprof.ch/blog/comment-se-servir-d-une-machine-a-coudre/
https://www.bernina.com/fr-CH/Learn-Create-fr-CH/Projets-telechargements
José Amorim est rédacteur en chef du webzine basé à Lausanne LuxuryActivist.com qui traite de l’actualité lifestyle internationale. Travaillant dans l’industrie du luxe depuis plus de 20 ans, il a développé un certain regard critique sur certains sujets comme la mode, la beauté, les voyages ou encore l’horlogerie.
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