Francesca Dell’Oro, prof. boursière en Section de linguistique et des sciences de l’information

Chercheuse en linguistique historique ayant passé par Zürich et Harvard, la Dr. Francesca Dell’Oro a été récemment nommée professeure boursière FNS pour la période de 2019 à 2023. L’occasion de découvrir son parcours et ses recherches.

Quelles sont les étapes déterminantes de votre parcours ?

J’ai débuté mon parcours en Italie, avec une licence à l’Université de Milan puis un doctorat en linguistique historique à l’Université de Chieti-Pescara, avec un séjour à l’Université de Zurich. Pendant les presque 10 années que j’ai ensuite passées à Zurich, j’ai été employée comme assistante et collaboratrice scientifique et ai reçu un soutien pour des études post-doctorales sur le dialecte eubéen. J’y ai développé mes projets de recherche, y ai enseigné et ai noué des collaborations stables avec l’étranger, notamment avec Leipzig et Oxford. C’est probablement le moment le plus important de ma carrière. Une deuxième étape a été une expérience de plusieurs années en France, à l’Université de Grenoble-Alpes, où j’ai été enseignante-chercheuse. Je me suis confrontée avec un système d’enseignement et de recherche très différent de la Suisse alémanique et de l’Italie. J’ai enseigné énormément, à des étudiants autant spécialisés que non-spécialisés dans le domaine de la linguistique et des langues anciennes. La troisième étape a été un séjour de recherche aux USA, au Center for Hellenic Studies à Washington DC, un centre rattaché à l’université d’Harvard avec lequel j’ai gardé contact après mon année de bourse en 2017-2018. Je suis à présent chercheuse affiliée auprès de ce centre. Cette étape s’est avérée très importante, car elle m’a permis de mieux connaître le monde universitaire américain et de développer mes projets de recherche dans un environnement stimulant.

Comment décririez-vous votre domaine de recherche et quels résultats avez-vous déjà obtenus ?

Il s’agit principalement de l’étude du changement linguistique en diachronie, de l’évolution des langues, avec une focalisation sur les langues indo-européennes, et parmi celles-ci, le grec et le latin (avec une attention aussi au sanskrit et à l’avestique). En plus de nombreux articles déjà publiés, je suis en train de préparer deux ouvrages : l’édition d’un corpus de tablettes en plomb provenant de Styra (Eubée, Ve siècle avant notre ère) et une monographie sur la différenciation géographique et le changement diachronique du dialecte eubéen du VIIIe siècle au IVe siècle avant notre ère.

Pourquoi avoir choisi ce domaine ?

J’ai toujours été intéressée par les langues, leur fonctionnement et variété, mais surtout, d’un côté, par leur changement dans le temps, et de l’autre, par la sémantique. Évidemment connaître comment les langues ont évolué nous aide à développer une plus grande conscience de la langue que nous parlons et de nous-mêmes. Dans mon nouveau projet financé par le Fonds National Suisse, je suis arrivée à combiner les deux aspects. Je m’occuperai en fait de sémantique en diachronie. D’expérience, il y a plus de travaux de sémantique effectués d’un point de vue synchronique : il reste donc beaucoup de travail à accomplir d’un point de vue diachronique.

En quoi consiste le projet soutenu par le Fonds National Suisse ?

Intitulé « A World of Possibilities : Modal Pathways on the Extra-long Period of Time : the Diachrony of Modality in the Latin Language », et prévu pour une période de 2019-2023, ce projet portera sur l’évolution sémantique de plusieurs marqueurs modaux lexicaux, communiquant par exemple des nuances de possibilité, d’obligation ou de probabilité. On peut penser à la polysémie du verbe « devoir » qui exprime souvent une nécessité ou une obligation mais aussi une forte probabilité (comme dans l’expression «Marc doit être parti en vélo», si soudainement je ne vois plus ni Marc ni son vélo). J’analyserai la co-occurrence ainsi que la concurrence de certains marqueurs modaux sur une période d’un millénaire, allant du troisième siècle avant notre ère au septième de notre ère. Le corpus sera hétérogène et c’est pour cette raison que j’ai choisi la langue latine : celle-ci permet un choix de textes très divers (allant de comédies à des textes techniques, philosophiques, lettres qui nous sont conservées par une tradition indirecte, en plus d’attestations épigraphiques etc.) étalés sur une longue période de composition. Je prévois aussi la réalisation d’une base de données en accès-libre pour mettre en dialogue chercheuses et chercheurs intéressés au thème de la modalité dans des autres langues. D’une manière plus générale, l’aspect numérique et l’informatique constitueront une partie importante du projet.

Pourquoi avoir opté pour la Faculté des lettres de l’UNIL ? Quelles collaborations pensez-vous y développer ?

Cela fait de nombreuses années que je suis en contact avec l’UNIL. Dès mes recherches post-doctorales, je suis entrée en lien avec l’École Suisse d’Archéologie en Grèce qui a son siège ici à l’UNIL. J’ai suivi avec un grand intérêt les résultats des fouilles en Eubée, en particulier les découvertes épigraphiques. Le projet que je vais développer bénéficiera de deux unités de la Faculté des lettres : la Section des sciences du langage et de l’information et le Centre de linguistique et des sciences du langage. La SLI est le seul endroit de Suisse romande disposant encore d’une chaire de linguistique historique, et sa perspective interdisciplinaire (linguistique générale, linguistique historique et informatique) sera particulièrement précieuse pour le développement de mon projet. J’ai d’ailleurs déjà un projet de table ronde sur la théorie et l’encodage informatique de la modalité, probablement au printemps 2019 (organisée avec D. Picca). Le centre de linguistique, quant à lui, développe une importante réflexion sur les relations entre langage et société, ce qui reste pour moi une priorité. Cette année encore, il y aura un cycle de conférences (« les Rencontres de Linguistique du jeudi ») ayant pour thème l’apprentissage des langues de l’Antiquité à nos jours.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées sur votre parcours ?

La difficulté principale a été la conciliation entre la carrière académique et la famille : d’un côté, parce que j’ai eu une interruption de carrière suite à des problèmes familiaux et qu’il est difficile pour quelqu’un qui n’a de poste fixe de s’éloigner de l’université et d’y revenir. Par ailleurs, même si j’ai rencontré plusieurs succès de ce côté, il est difficile d’aller de projet en projet, car dans la durée même d’un projet, il faut déjà réfléchir à la suite.

Quels conseils donneriez-vous à un chercheur débutant sa carrière ?

Si la mobilité n’est pas absolument essentielle, elle est toujours très enrichissante, et il est surtout très important de développer et cultiver des échanges scientifiques au-delà de sa propre université. Cela permet plus tard de développer un réseau et des projets de collaborations. Par ailleurs, l’ouverture interdisciplinaire me paraît cruciale aujourd’hui, afin d’anticiper les changements profonds que l’université est en train de vivre.

Et à plus long terme ?

Je souhaite continuer à faire de la recherche, collaborer avec des autres chercheurs et développer des contacts avec les étudiants. Disposant d’une expérience importante du contexte suisse, continuer ma carrière en Suisse serait tout à fait idéal.

Souhaitez-vous ajouter des éléments ?

Oui, je souhaite remercier vivement les personnes du réseau de soutien au chercheur de l’Université de Lausanne, notamment le consultant recherche de la Faculté des lettres, le consultant en Data Management, la Direction du centre de linguistique et les membres de la SLI, ainsi que les services centraux de l’Université et le DaSCH. Je me suis sentie soutenue dans le dépôt de mon projet et cela a été vraiment utile !

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