Noémie Verdon, maître-assistante Ambizione à la Section de langues et civilisations slaves et de l’Asie du Sud

Maître-assistante Ambizione à la Section de langues et civilisations slaves et de l’Asie du Sud, évoque son parcours et son projet de recherche actuel.

Comment décririez-vous votre domaine de recherche ?

Je suis historienne de l’Inde ancienne et médiévale. J’étudie l’histoire culturelle et sociale, ainsi que les interactions entre les cultures (arabes et indiennes) dans le Gandhāra et le Panjab, une région située au Sud de la chaîne himalayenne sur les territoires de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Inde actuels, entre le VIIe et le XIe siècle de notre ère.

Pourquoi avoir choisi ce domaine ?

Mon intérêt pour cette région remonte à mon doctorat, consacré aux écoles philosophiques du Yoga et du Sāṅkhya. Mes sources incluaient les traductions en arabe par al-Bīrūnī (vers 973-1050) de deux textes sanskrits de philosophie indienne. Contemporain de la deuxième vague d’islamisation du Nord du territoire indien, ce polymathe musulman, originaire de l’Ouzbékistan actuel, est l’auteur d’une monographie « ethnographique » sur l’Inde. Son travail montre l’importance des contacts entre les différentes cultures dans la région que j’étudie. Mon idée initiale était d’étudier le passé proche des cultures décrites par al-Bīrūnī. Je me suis toutefois rapidement rendu compte que l’histoire de cette région à la période qui m’intéresse était mal connue. Les compétences que j’ai pu acquérir durant mes études – en sanskrit, arabe, archéologie et ethnologie – constituent autant d’outils pour mener ce projet de recherche à bien.

Quelles sont les étapes déterminantes de votre parcours ?

Ma manière d’appréhender la recherche a été fortement marquée par un séjour ethnoarchéologique au Népal. Sur place, l’équipe à laquelle j’appartenais a documenté des sites sacrés, des maisons, des grottes et interrogé les gens du lieu. Cette expérience m’a fait réaliser qu’il était possible d’appréhender une recherche historique autrement qu’en bibliothèque et en archives.

Une autre étape importante a été la réalisation d’un documentaire sur al-Bīrūnī. Quand j’écrivais mon doctorat, on disposait de peu d’information sur la vie de ce polymathe et sur les sites dans lesquels il avait vécu. Avec un ami cinéaste, je suis donc partie sur ses traces. Pendant un mois, entre l’Ouzbékistan, l’Iran et le Pakistan, nous avons visité des sites, interrogé des chercheur·euse·s et des historien·ne·s, mais aussi des gens locaux. Visiter les lieux m’a permis non seulement d’ancrer mon discours de chercheuse dans une réalité plus concrète, mais aussi de découvrir l’ampleur et la diversité des sites archéologiques liés aux deux dynasties des Šāhis turcs et hindous, sur lesquelles porte mon projet Ambizione.

En quoi consiste le projet soutenu par le Fonds national suisse ?

Il s’agit d’une étude des contacts interculturels dans le Gandhāra et le Panjab, sous les dynasties des Šāhis turcs et hindous, entre le VIIe et le XIe siècle de notre ère, au travers des textes, des sites archéologiques et des inscriptions (cf. Projet de recherche). Les sources textuelles conservées (arabes, persanes et sanskrites) sont fragmentaires et inégalement réparties sur le territoire. Il s’est donc avéré nécessaire d’intégrer les témoignages de l’archéologie, en particulier des inscriptions.

Mes questions de recherche dépendront beaucoup des informations que les sources me fourniront. J’avais initialement prévu d’étudier l’histoire connectée du bouddhisme, de l’hindouisme et de l’islam. En Afghanistan, dans les premiers siècles de notre ère, le bouddhisme est très présent. À partir des VIIe-VIIIe siècles, les objets montrent la pénétration de l’hindouisme dans la société. À cela s’ajoute l’arrivée de l’islam par vagues successives entre le VIIe et le XIe siècle. Les sources arabes documentent surtout la progression de la conquête militaire. Sur les interactions quotidiennes entre l’islam et les religions déjà présentes, elles sont moins disertes. Les contacts entre bouddhisme et hindouisme ne sont pas non plus bien documentés. Comme les connaissances sur les dynasties des Šāhis sont encore très lacunaires, j’établis maintenant les bases de l’étude initialement prévue.

Les résultats du projet feront l’objet de publications, mais il me tient également à cœur de les faire connaître à un plus large public par le biais d’un film documentaire.

Pourquoi avoir opté pour la Faculté des lettres de l’UNIL ? Quelles collaborations pensez-vous y développer ?

J’ai effectué ma thèse entre Lausanne et Delhi (où j’ai passé deux ans). J’ai ensuite enseigné pendant une année et demie à la Nalanda University (Inde), avant de partir à Kyoto pour un post-doc. Dans mon champ d’études, peu d’universités comptent des unités comparables à la Section de langues et civilisations slaves et de l’Asie du Sud de l’UNIL. À l’échelle mondiale, seuls deux autres centres sont spécialisés dans mon domaine : l’un se trouve à Vienne, l’autre à Kyoto. À Lausanne, Ingo Strauch s’intéresse à la même région que moi, à une époque plus ancienne, et Blain Auer étudie une période plus récente, également sous l’angle des interconnexions entre l’islam et l’Inde. Je peux donc à la fois bénéficier de leur expertise et apporter mes compétences sur une période peu représentée à la Section.

Avez-vous déjà obtenu des résultats par rapport à la recherche menée à l’UNIL ?

J’ai pu remettre l’hindouisme sur la carte des interactions entre les religions dans la région que j’étudie. L’historiographie opposait souvent le bouddhisme à l’islam, affirmant que le second avait supplanté le premier. J’ai commencé à mettre en évidence que, non seulement l’islam avait cohabité pendant longtemps avec les religions déjà en place, mais aussi que les gens ne voyaient aucune contradiction à suivre en parallèle les cultes de plusieurs religions. Par endroits, des rois bouddhistes ont aussi adopté l’hindouisme (comme en témoignent certains sites archéologiques) et certains autres rois l’ont institutionnalisé au détriment du bouddhisme. Les sources montrent donc une situation plus dynamique que ne le suggérait l’historiographie.

Mes recherches m’ont également montré l’importance de prendre en considération l’échelon régional. La religion des élites politiques ne correspond pas toujours aux pratiques de la population, susceptibles de varier d’une région à l’autre.

Quels sont vos projets à plus long terme ?

J’ai deux projets principaux. L’un est d’obtenir un poste de professeure (boursière ou titulaire) et de poursuivre dans la recherche, l’autre de m’engager plus activement dans la vulgarisation. J’ai déjà commencé à le faire en réalisant des documentaires. Je continue dans cette voie en écrivant un livre sur l’histoire du tantrisme, un sujet qui intéresse un large public. Je donne également des conférences et cours dans des espaces non académiques, notamment dans le cadre de formations et stages de yoga.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre parcours ?

Pour continuer à faire ce que l’on aime, il faut trouver un poste stable. Or, le parcours postdoctoral est très compétitif. Dans mon domaine de recherche, les postes spécialisés sont rares et les situations souvent précaires. Après mon assistanat, j’ai trouvé des solutions de courte durée (1-2 ans). À présent, la bourse du FNS couvre un projet de 4 ans. Il faut également composer avec les hauts et les bas de la vie de chercheur·euse : parfois de nouveaux résultats redonnent la motivation, parfois on a l’impression de stagner. J’essaie de transformer ces difficultés en opportunités de développement personnel, en occasions de me questionner sur moi-même.

Quels conseils donneriez-vous à un·e chercheur·euse débutant sa carrière ?

Je lui conseillerais de ne pas trop se soucier des débouchés lors du choix de son domaine de recherche. Choisir un sujet auquel on croit permet de surmonter les moments de doutes, les refus de candidatures ou la précarité de sa situation personnelle. Considérer la recherche comme un jeu, dans lequel les pièces du puzzle viennent compléter l’image, m’a également été utile.

Pour plus d’information

Site personnel de Noémie Verdon
www.noemieverdon.net

Film documentaire Biruni, the Quill of the Invaders (2003, EN/FR)
https://youtu.be/RitLwPQhzWY