Pauline Maillard, chercheuse post-doc en archéologie grecque et levantine

Spécialiste en coroplathie et chercheuse post-doc en archéologie grecque et levantine, Pauline Maillard évoque son parcours scientifique entre la Grèce, Chypre, la France et Lausanne, ses projets de recherche (notamment « Le paysage religieux du royaume de Salamine de Chypre », pour lequel elle vient d’obtenir une bourse Early Postdoc.Mobility) et son intérêt pour la médiation scientifique.

Comment décririez-vous votre domaine de recherche ?

Mon domaine de recherche est la coroplathie antique. Le terme – qui vient du grec korè « jeune fille » et de plastein « modeler » – désigne l’étude des figurines en terre cuite. On retrouve très souvent ces petites statuettes sur les chantiers archéologiques en Grèce, en particulier dans les fouilles de sanctuaires. Elles représentent souvent des êtres humains et en particulier des jeunes filles (d’où le nom donné à la science qui les étudie). Elles représentent parfois aussi des scènes de la vie courante : enfants jouant avec des animaux, écoliers, etc.

Je me suis formée à cette spécialité à l’École française d’Athènes, au Musée du Louvre et auprès de spécialistes en coroplathie hors de Suisse. Étudier ces figurines nécessite également des compétences en archéologie de la religion grecque – pour comprendre les pratiques et les gestes qui leur étaient associés en contexte religieux – et des connaissances techniques, pour reconstituer le geste de l’artisan.

Pourquoi avoir choisi ce domaine ?

C’est venu un peu au hasard de mon parcours. En 2009, j’ai fait mon premier stage d’études à l’École suisse d’archéologie en Grèce, sur le chantier d’Érétrie. J’étais alors stagiaire de Sandrine Huber, une archéologue aujourd’hui professeure à l’Université de Lille. Sandrine Huber étudiait le matériel retrouvé dans la fouille d’un sanctuaire d’Athéna. Pendant tout un hiver, j’ai classé, photographié et analysé les figurines retrouvées sur ce site. Sandrine Huber m’a alors proposé de consacrer mon mémoire de master à ce matériel encore inédit.

Pour ma thèse, j’avais envie de travailler sur la culture chypriote, à mi-chemin entre la Grèce et les royaumes orientaux environnants. J’ai approché Antoine Hermary, alors professeur à l’Université d’Aix-Marseille, et nous avons défini un sujet de thèse de coroplathie chypriote. Les figures trouvées à Chypre ont montré que les artisans chypriotes n’avaient pas la même pratique de l’argile, probablement parce qu’ils étaient héritiers d’autres traditions artisanales que celle attestée en Grèce. J’ai pu montrer qu’au IVe s. avant notre ère, ils utilisaient des moules grecs, mais qu’ils les adaptaient pour que les figurines qu’ils produisaient ressemblent aux divinités locales.

Quelles sont les étapes déterminantes de votre parcours ?

Ce sont d’abord des rencontres. J’ai toujours su que je voulais être archéologue, mais pas tout de suite dans quel domaine j’allais me spécialiser. Parmi ces rencontres, je mentionnerais celle (déjà évoquée) avec Sandrine Huber, en Grèce ; celle ensuite avec Karl Reber, qui a été mon directeur de thèse et m’a toujours laissée très libre de mes choix ; celle enfin avec Antoine Hermary, qui m’a confortée dans l’idée de travailler sur Chypre.

La communication de ma recherche à un large public m’a aussi beaucoup apporté. La médiation scientifique, qui n’est pas encore suffisamment valorisée, m’a non seulement conduite vers un public adulte de curieux, mais aussi au concours « Ma thèse en 180 secondes » (MT180), que j’ai remporté en 2017. Le concours m’a donné l’occasion, au contact avec les équipes de communication des universités qui nous ont préparé·e·s au concours, de pratiquer le storytelling, la mise en récit de ma recherche, indispensable pour communiquer efficacement les résultats.

Mon directeur de thèse m’a ensuite proposé de m’associer au projet AGORA « Amarynthos – À la recherche du temple perdu » qu’il s’apprêtait à déposer. J’y ai vu l’occasion de rendre quelque chose à l’École suisse d’archéologie en Grèce, qui m’avait beaucoup apporté durant mes études, et de valoriser la recherche qui se fait à l’Université de Lausanne.

Quelles compétences vous servent-elles dans vos activités de médiation scientifique et en particulier dans le projet « Amarynthos » ?

C’est un travail très différent de celui de la thèse de doctorat. En tant que coordinatrice du projet, j’ai appris à collaborer et à communiquer avec des interlocuteur·trice·s très varié·e·s. Dans ce type de projets, j’apporte mon expérience de chercheuse et je collabore avec des spécialistes de la médiation scientifique, qui savent adapter le discours scientifique à différents publics.

Nous travaillons beaucoup avec les écoles, mais j’avais vraiment envie d’aller à la rencontre pas seulement des petit·e·s, habituellement visé·e·s par ces projets parce qu’elles et ils étudient l’Antiquité au programme, mais aussi des plus grand·e·s élèves, pour leur donner le goût de s’intéresser à cette période, même lorsqu’elles et ils ne font pas de grec ou de latin. L’idée du projet est de mettre à la disposition des enseignant·e·s d’histoire (Secondaire I et II) de la matière pour proposer des cours sur l’Antiquité à partir de l’actualité de l’archéologie grecque. Nous avons également développé des activités avec des publics adultes, en partenariat par exemple avec le Service culture et médiation scientifique ou le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire.

Tout le monde n’est pas fait pour la médiation scientifique. Cela nécessite un lien direct avec l’actualité de la recherche. Les bon·ne·s médiateur·trice·s sont aussi de bon·ne·s scientifiques. Les chercheur·euse·s, en retour, ont une responsabilité par rapport à la communication, qui ne devrait ni être méprisée, ni être laissée à des non-spécialistes qui, parfois, simplifie excessivement le propos. Il est important que la communication permette de garder une substance.

En quoi consiste le projet soutenu par le Fonds National Suisse pour lequel vous venez d’obtenir une bourse Early Postdoc.Mobility ?

Une fois que le projet AGORA était lancé, j’avais envie de revenir à la recherche et à Chypre. J’ai déposé un projet au FNS pour rejoindre la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (Lyon), qui dispose d’un excellent pôle de recherche sur Chypre. Ce pôle est dirigé par Sabine Fourrier, avec qui j’ai travaillé sur plusieurs chantiers, notamment à Kition. Mon projet porte sur le royaume de Salamine. Ce royaume – probablement le plus grand royaume chypriote de l’Antiquité en termes d’extension territoriale – est relativement mal connu parce qu’il se trouve dans la partie de l’île actuellement occupée par l’État turc. Les archéologues en ayant été chassé·e·s, la recherche sur ce royaume a été délaissée.

Ce projet prévoit la réalisation de la première carte archéologique du royaume de Salamine, à partir des importantes archives de fouilles conservées à Lyon (archives d’une mission lyonnaise de 10 ans à Salamine) et à Nicosie (prospections du Département des Antiquités chypriote), qui n’ont pas encore été beaucoup exploitées. Ce travail comprendra également une direction de terrain sous la forme d’une prospection d’une zone de l’ancien royaume qui se trouve dans l’actuelle République de Chypre.

Quels sont vos projets à plus long terme ?

Après les 18 mois de ma bourse FNS, je rentrerai en Suisse pour travailler avec Véronique Dasen, professeure à l’Université de Fribourg. Véronique Dasen préparait un projet FNS sur les « poupées » antiques et cherchait une spécialiste en coroplathie. J’ai contribué à l’élaboration scientifique du projet. Nous étudierons un corpus peu connu de fragments de poupées grecques qui provient de l’Agora d’Athènes. Pour cette zone de production, on possède non seulement des fragments, mais aussi des rebuts d’atelier (anciens moules, figurines ratées et mises au rebut, etc.). Cette zone a été bien fouillée par des équipes américaines dans les années 30. Je retournerai à Athènes étudier l’ensemble de ce corpus artisanal sous l’angle des techniques et des gestes de production. Souvent, étudier la manière dont les objets ont été façonnés permet d’apporter des hypothèses quant à leurs fonctions.

À plus long terme, j’espère rester dans le monde de la recherche, en déposant des projets FNS jusqu’à obtenir un poste de professeure. Pour moi, l’obtention d’un poste n’est pas une fin en soi. J’ai besoin de pouvoir me sentir bien dans ce que je fais. Or, on sait que, dans le monde académique, il existe des luttes de pouvoir, il n’y a pas de la place pour tout le monde et les nominations ne dépendent pas toujours des compétences. Pour l’instant, j’ai envie de faire de la recherche, mais il n’est pas impossible que, dans le futur, je cherche davantage de stabilité. Je préfère ne pas faire de plans sur la comète.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre parcours ?

Organiser une carrière de chercheuse quand on a une famille à charge n’est pas toujours simple. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur la compréhension de mon mari, mais la mobilité et la disponibilité qu’implique une telle vie est parfois difficile à concilier avec une vie de famille. C’est pour cette raison aussi que je trouve juste que de le FNS propose des instruments comme PRIMA, spécifiquement destinés aux chercheuses. Partir à Lyon pour un projet de mobilité sur 18 mois alors que j’ai un petit garçon scolarisé, c’est une grosse logistique et un souci en plus.

Le monde académique n’est pas tendre non plus. Je me suis parfois retrouvée dans des situations compliquées sur le plan éthique. La compétition entre les chercheur·euse·s peut mener à de grandes tensions, notamment dans la compétition sur des postes. C’est une chose à laquelle les chercheur·euse·s ne sont pas toujours bien préparé·e·s. On a accès à du conseil dans la gestion de notre carrière ou dans les projets de mobilité, mais il pourrait y avoir une meilleure prise en charge dans le domaine des relations humaines entre la hiérarchie et les jeunes chercheur·euse·s. Plusieurs de mes collègues se sont, à un moment ou à un autre, senti·e·s broyé·e·s par la hiérarchie sans pouvoir toujours être entendu·e·s.

Enfin, sans toutefois noircir le tableau, être une femme en archéologie peut être une difficulté, en particulier parce que, dans le cadre des fouilles, on est régulièrement en contact avec le monde très masculin du chantier. Le sexisme dont les personnes autour de moi ont été victimes était souvent lié au cadre du chantier. Dans ce milieu, le travail d’une femme n’est pas perçu comme valable lorsqu’il engage la force. On y rabâche le cliché qu’une femme est moins efficace sur un chantier de fouille. Lors d’un de mes premiers chantiers, je travaillais sous la direction d’un étudiant de master, qui avait beaucoup de peine à me considérer comme fouilleuse et même à m’adresser la parole. Cependant, je ne peux pas dire que j’ai personnellement souffert de sexisme. Sur ce sujet, je suis contente de voir que les choses évoluent, qu’il est désormais possible d’en parler (comme en témoigne notamment l’exposition « Archéo-Sexisme »). Il serait toutefois important que les questions de harcèlement et de pressions hiérarchiques puissent être traitées par une plateforme externe à l’université, dans laquelle il serait possible de trouver de l’écoute et du conseil. Lorsque les tensions se règlent à l’interne, la crainte des représailles n’est jamais tout à fait absente.

Pour plus d’information

Site du projet AGORA « Amarynthos – À la recherche du temple perdu » :
https://www.esag.swiss/fr/amarynthos/agora-project/

Site de la mission archéologique française de Kition et Salamine :
https://chypre.mom.fr/KitionSalamine/home