Première assistante à la Section d’histoire et esthétique du cinéma, Anne-Katrin Weber revient sur son parcours d’historienne de la télévision et dresse un bilan du projet AGORA qu’elle a codirigé.
Comment décririez-vous votre domaine de recherche ?
Je suis historienne de la télévision. Mes recherches s’inscrivent dans le domaine de l’archéologie des médias. Plutôt qu’au service public, je m’intéresse actuellement à une histoire des usages de la télévision en dehors de l’espace domestique et aux nombreuses formes d’applications télévisuelles dans des contextes variés. En effet, dès les années 1940, la télévision est employée dans des espaces militaires et industriels : la « télévision en circuit fermé », bien moins étudiée par l’historiographie, est développée en Europe et aux États-Unis d’abord par l’armée, puis dans le champ civil. Ses applications englobent les drones téléguidés, l’automatisation de processus de fabrication industrielle, la gestion du trafic ou encore la surveillance d’objets et de personnes. Une autre utilisation prônée dès les années 1960 est le « télé-enseignement », censé notamment combler un manque d’enseignant·e·s (spécialisé·e·s), et dont l’histoire évoque directement les nouvelles formes d’enseignement à distance.
Pourquoi avoir choisi ce domaine ?
Deux éléments ont joué un rôle important : le cadre scientifique de l’UNIL et les rencontres nouées au fil des années. La Section d’histoire et esthétique du cinéma, tout d’abord, s’intéresse depuis longtemps au cinéma au sens large du terme. Des recherches y sont menées sur les dispositifs de vision et d’audition, couvrant des champs aussi divers que le jeu vidéo, la photographie et les expositions. Une recherche dans le domaine des television studies y trouvait donc naturellement sa place. Cela dit, je n’aurais pas pu commencer mes recherches sur la télévision sans la curiosité et l’appui de mon directeur de thèse, Olivier Lugon. D’autres rencontres, avec Andreas Fickers, en particulier, historien de la télévision et co-directeur de ma thèse, puis, par la suite, avec François Vallotton (Section d’histoire), ont été centrales pour mon travail. La rencontre avec François Vallotton s’est avérée particulièrement stimulante pour mes projets postdoc : nous avons notamment développé le projet Au-delà du service public : pour une histoire élargie de la télévision en Suisse, 1960 à 2000, dont le site web vient d’être récompensé par le Prix Memoriav 2020.
Quelles sont les étapes déterminantes de votre parcours ?
Mon parcours se caractérise à la fois par un fort attachement à la Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’UNIL – où j’ai fait mes études et où je travaille actuellement – et par une envie de découvrir d’autres horizons. Durant et après ma thèse, j’ai effectué des séjours à l’étranger qui m’ont familiarisée avec des histoires et des contextes nationaux différents, tout en me faisant découvrir d’autres cultures universitaires et des chercheuses et chercheurs avec qui je collabore aujourd’hui. J’ai notamment été amenée à travailler dans des Départements d’histoire : ces séjours ont donc également nourri mes réflexions méthodologiques. Ma collaboration récente avec le Seminar für Medienwissenschaft de l’Université de Bâle représente aussi une étape importante dans ma carrière. Enfin, je viens d’obtenir une bourse Tremplin de l’UNIL qui me permettra de me concentrer sur mes recherches au semestre de printemps 2021.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant votre parcours ?
Les difficultés que j’ai rencontrées sont celles de beaucoup de chercheuses et chercheurs postdoc. Une fois la thèse achevée, la question de l’orientation de la carrière et des opportunités devient particulièrement prégnante. On se retrouve rapidement à devenir l’entrepreneur·e de sa propre carrière. À cela s’ajoute le fait que, le domaine dans lequel je travaille n’étant pas très vaste, les postes sont relativement peu nombreux.
Quels sont vos projets à plus long terme ?
Je vais déposer un projet Eccellenza pour travailler à l’Université de Bâle, où j’ai pu développer des contacts l’année dernière. À plus long terme, lorsque la RTS sera installée sur le campus lausannois, j’aimerais beaucoup revenir à Lausanne pour développer des collaborations entre l’UNIL et la radio et la télévision du service public.
Vous avez codirigé le projet AGORA Le Syndic, la vache et le verre de blanc. Un siècle de Comptoir suisse à Lausanne. Quel bilan tirez-vous de l’activité de médiation scientifique réalisé dans ce cadre ?
Claire-Lise Debluë et moi-même avions depuis longtemps l’idée d’organiser quelque chose autour du 100e anniversaire du Comptoir suisse. L’instrument AGORA du FNS nous paraissait le bon moyen de la concrétiser. Nous souhaitions valoriser les magnifiques archives photographiques du Comptoir et utiliser la foire comme point de départ pour réfléchir plus largement à certains enjeux propres au métier de l’historien·ne : comment faire de l’histoire à partir de sources visuelles ? Comment utiliser de manière critique les outils numériques ? Et surtout, comment intégrer un public non-spécialiste à cette réflexion ?
Ce type de projets présente plusieurs intérêts. Tout d’abord, il nous incite à réévaluer la manière dont nous pensons nos objets d’étude. Le public auquel nous nous adressons n’est pas notre public habituel, ce qui amène à renoncer en partie au langage académique. Un tel projet apporte également de nombreuses compétences en termes de gestion de projet et d’équipe, ainsi que de négociation avec différent·e·s acteur·rice·s non-universitaires.
Un projet AGORA représente toutefois aussi quelques difficultés. Il est très chronophage et le temps consacré à la communication scientifique est pris sur celui de la recherche. Par ailleurs, il nous a fallu chercher par nous-mêmes les appuis et les bon·ne·s interlocuteur·rice·s au sein de l’UNIL. Comme il n’existe pas de mémoire des projets déjà réalisés, il nous a semblé que chacun·e repartait de zéro. Il aurait été utile de pouvoir capitaliser sur les expériences de précédents projets AGORA.
Globalement, je suis très contente du projet, qui m’a permis de développer de nouveaux contacts, ainsi que des compétences désormais nécessaires pour poursuivre une carrière académique.
Quels conseils donneriez-vous à un·e chercheur·euse débutant sa carrière ?
Il est important de poursuivre ses intérêts intellectuels, de nourrir une curiosité pour des sujets connexes à ses propres recherches et de développer un réseau de personnes avec lesquelles le débat est enrichissant. Concernant les séjours à l’étranger, je conseillerais de partir relativement tôt, non seulement parce qu’une expérience de mobilité durant le doctorat devient une exigence, mais aussi parce que, pendant le doctorat, on est souvent plus mobile. Aujourd’hui, j’ai deux enfants en bas âge : la perspective de déménager régulièrement devient moins attrayante.
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