FNS : quel avenir pour la politique de la relève et du financement de la recherche en Suisse ?

Au cours de l’année académique écoulée, la politique du Fonds national suisse (FNS) en matière de soutien à la relève, de libre accès, et de révision de ses statuts a suscité de vifs débats et réactions au sein de la communauté universitaire de l’UNIL et de la Faculté des SSP, tout comme ailleurs en Suisse.

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Suppression de Doc.ch. Le FNS a décidé, pour la période 2025-2028, de se concentrer sur l’encouragement par projet et sur les carrières au niveau postdoctoral en ne reconduisant pas le programme Doc.CH dès 2025. Ce précieux instrument permettait à des jeunes chercheur·euse·s prometteur·euse·s de solliciter eux·elles-mêmes le financement pour un doctorat en sciences humaines et sociales. Au sein de SSP, Doc.CH a été particulièrement sollicité et salué. Il a permis à de nombreux·se·s doctorant·e·s de mener une recherche de manière indépendante, de susciter des questionnements innovants et d’acquérir promptement l’autonomie scientifique indispensable pour une future carrière (voir les portraits de Maia Müller et Loïs Fournier).  

Financement de revues « prédatrices ». Dans le cadre de sa politique Open Access, le FNS œuvre pour le partage du savoir scientifique, en rappelant que les résultats de recherche financée par des fonds de l’État constituent un bien public. A cette fin, il prend en charge les frais de publication liés aux articles et ouvrages en libre accès. Toutefois, des éditeurs scientifiques, telles que MDPI et, dans une moindre mesure Frontiers, sont aujourd’hui identifiés comme profitant de façon abusive de ces financements publics pour générer des profits colossaux au seul bénéfice de leurs actionnaires : c’est à ce titre que des revues de ce type sont considérées comme « prédatrices ». En 2022, le FNS a consacré environ un tiers du budget total alloué au soutien des publications scientifiques (selon le principe « gold road ») à ces deux éditeurs, soit un montant de quelque 900’000 CHF. Soutenir par de l’argent public le recours en très grande augmentation à ces revues est problématique car il porte atteinte à l’intégrité, à la qualité et à la crédibilité scientifiques.

Révision des statuts du FNS. Le FNS a également entrepris la révision de ses statuts, qui a été approuvée le 16 juin 2023 par le Conseil Fédéral. Ces nouveaux statuts entreront en vigueur le 1er janvier 2024. Les changements comprennent notamment les points suivants :

  • La création de l’Assemblée des délégués, un nouvel organe composé de 40 membres au maximum et dont l’objectif sera de représenter les intérêts des hautes écoles et des bénéficiaires de contributions ;
  • Le renforcement des fonctions de direction du Conseil de fondation et du Conseil de la recherche ;
  • Le Conseil de la recherche sera désormais l’unique organe responsable de l’élaboration des instruments et des mesures d’encouragement.

Lors des consultations sur la révision des statuts du FNS, la Direction de l’UNIL a exprimé des réserves, notamment sur les dispositions relatives à l’élection des membres du Conseil de fondation, la taille du Conseil de la recherche, ainsi que sur les compétences du Conseil académique exécutif et celles de l’Assemblée des délégués.

Face aux inquiétudes que soulèvent ces questions pour l’avenir de la recherche en Suisse, la Direction de l’UNIL, appuyée par le Décanat SSP, tout comme celui d’autres facultés, a joué un rôle majeur dans les démarches entreprises par Swissuniversities auprès du FNS. Ces efforts conjoints ont aussi été menés au niveau politique  par de multiples contacts, en apportant une expertise pour trois interpellations parlementaires déposées avec le même titre lors de la récente session d’été 2023 au Conseil National « FNS : incohérences dans la politique de la relève et du financement de la recherche en Suisse ? ».

Notre collègue, Prof. Stefanie Prezioso (IEP), en tant que conseillère nationale et membre de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture (CSEC), s’est coordonnée avec Fabien Fivaz, conseiller national neuchâtelois et Emmanuel Amoos, conseiller national valaisan, ainsi que comme co-signataires les conseiller·e·s nationaux·ales Samuel Bendahan, MER à la Faculté des HEC, et Valentine Python, docteure en sciences environnementales de l’EPFL. Ces interventions chargent le Conseil Fédéral de répondre – en principe lors de la prochaine session – à un ensemble de questions, notamment :

– Pourquoi le FNS a-t-il décidé de supprimer Doc.CH, alors qu’un rapport interne du FNS relève justement l’indéniable utilité de cet instrument et les réels besoins en termes de financement qu’il couvre ?

Doc.CH étant un instrument très majoritairement utilisé par des femmes, comment le FNS compte-t-il soutenir spécifiquement la relève féminine au niveau doctoral ?

Dans l’optique d’une meilleure utilisation de l’argent du FNS, ne serait-il pas plus judicieux d’utiliser l’argent économisé [auprès de revues prédatrices] pour maintenir la série d’instruments de soutien à la recherche (dont Doc.CH) que le FNS souhaite supprimer et de soutenir concrètement la relève académique et les scientifiques plutôt que des consortiums aux pratiques critiquées ?

Sur le plan cantonal, Hadrien Buclin, chargé de recherche à l’IEP et membre du Grand Conseil Vaudois, a également déposé une interpellation parlementaire lors de la séance du Grand Conseil du mardi 21 mars 2023 au sujet de la suppression de l’instrument Doc.CH dans le prolongement des critiques faites par plusieurs associations engagées dans le soutien aux sciences humaines et sociales. M. Buclin a souligné que cette décision « revient à reporter sur les universités elles-mêmes le financement des doctorats menés hors poste d’assistant·e·s ou hors projets de recherche de professeur·e » (Buclin, Interpellation Grand Conseil, 2023)

Faire et valoriser de la recherche au sein de la Faculté des SSP dépend d’un environnement institutionnel complexe et non dénué d’intérêts marchands. Les réformes en cours demeurent des questions vives sur lesquelles la Faculté cherche à avoir prise afin de continuer à offrir un soutien de qualité à la recherche.

Prof. Jean-Christophe Graz, Vice-doyen Recherche, Ethique et Ecoles doctorales