Michela Canevascini

Le suicide comme langage de l’oppression.
Ethnographie d’un service d’urgences psychiatriques

Michela Canevascini a travaillé comme assistante diplômée en anthropologie de la santé à l’Université de Lausanne entre 2006 et 2011. En février 2012, elle a soutenu sa thèse de doctorat en sciences sociales, réalisée sous la direction du prof. Ilario Rossi. 

Ce travail s’intéresse à la problématique du suicide à partir de l’émergence en Suisse, vers la fin des années 90, de la prévention du suicide comme préoccupation sociale et politique. Ce sont tout d’abord les milieux associatifs qui ont soulevé cette question en percevant le suicide comme le reflet d’une souffrance d’origine sociale. Par la suite, la prévention du suicide est progressivement devenue un problème de santé publique, appréhendé essentiellement sous le registre médical et considéré comme le symptôme d’une pathologie psychiatrique.

Après une première partie consacrée aux processus sociopolitiques et aux transformations morales touchant le suicide et sa prévention, ce travail se centre, au travers d’un terrain ethnographique, sur la prise en charge de personnes présentant des problématiques suicidaires au sein d’un service d’urgences psychiatriques. Malgré une approche que les soignants veulent biopsychosociale, l’analyse des discours et des pratiques soignantes montre que la dimension sociale est largement négligée et conduit à une médicalisation de situations de détresse qui sont principalement de nature sociale. En effet, parmi la population qui fréquente le service, on observe une surreprésentation de personnes issues des classes sociales défavorisées et présentant souvent des trajectoires biographiques particulièrement difficiles. Au fil des entretiens avec les patients, l’analyse envisage la souffrance psychique et la prise en charge psychiatrique comme une manière d’obtenir une reconnaissance sociale et symbolique.

Les problématiques suicidaires peuvent ainsi être interprétées comme une forme d’expression, un langage au travers duquel s’exprime la position sociale défavorisée. En adoptant une posture militante construite à partir de la réalité ethnographique, ce travail analyse les problématiques suicidaires comme l’expression d’une condition d’oppression liée à un cadre social et économique de plus en plus contraignant, à des rapports de pouvoir inégaux ainsi qu’à une lecture individualisante, médicalisante et pathologisante des problèmes sociaux.