Julie Bordet

La mère, son bébé et la nourriture : approche exploratoire multidisciplinaire

Julie Bordet a obtenu une licence de psychologie à la Faculté des Sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne et la Faculté de sciences humaines de l’Université de Dijon en 2010. Elle est actuellement responsable de recherche au CHUV. Elle a effectué sa thèse sous la direction du Prof. Hervé Bénony de l’Université de Bourgogne, de la Prof. Christiane Moro de l’institut de Psychologie de l’Université de Lausanne et du Dr Blaise Pierrehumbert, chargé de cours et privat docent  à la Faculté des Sciences sociales et politiques et MER à la Faculté de Biologie et médecine.

Ce travail de thèse a pour enjeu d’aborder une clinique de l’interaction mère-enfant appliquée au cadre alimentaire. Basée sur les nombreux travaux effectués sur les interactions globales mère-enfant, ainsi que les quelques références traitant des interactions alimentaires « normales » et « pathologiques », l’hypothèse principale est que même au sein d’une population de bébés sains, ne présentant pas de problème particulier, les variables individuelles de la mère et de l’enfant influenceront la qualité de leurs interactions lors de l’alimentation.

Soixante mères de langue française et leur enfant en bonne santé (âgés de un à deux ans)ont été filmés pendant quatre sessions de repas. En utilisant une démarche exploratoire et multidisciplinaire comprenant des approches socio-anthropologique, développementale et clinique, notre étude montre la complexité de l’investigation de l’alimentation et des interactions alimentaires entre les mères et leur enfant. L’utilisation d’échelles psychométriques (mesures de l’anxiété maternelle, du tempérament de l’enfant et de son niveau de développement psychomoteur) combinée à la conduite d’entretiens semi-directifs (sur les représentations maternelles de l’alimentation), ainsi que l’observation de la qualité des interactions durant les repas ont permis de constituer une riche base de données.

Nos résultats montrent que les représentations maternelles ainsi que leurs propres expériences (passées et présentes) autour de l’alimentation influencent non seulement leur volonté de transmettre des valeurs et habitudes alimentaires à leurs enfants, mais aussi leurs pratiques éducatives en matière d’alimentation. Ils montrent aussiqueles caractéristiques individuelles (de la mère et de l’enfant) influencent la qualité de leurs interactions alimentaires, y compris dans une population non clinique. Dans ce contexte, nous confirmons notre hypothèse principale en montrantl’influence de l’anxiété maternelle sur des comportements alimentaires spécifiques des enfants, et réitérons ainsi l’importance, pour le clinicien, de se positionner au niveau individuel pour décrire et comprendre une population dans sa globalité. De plus, dans notre échantillon d’enfants en bonne santé, certains enfants ont des mères à profil psychopathologique. Pour autant, leur alimentation ne pose pas de problème et la qualité de leurs interactions semble élevée. On peut alors se demander si certains facteurs modulateurs ou protecteurs favorisent l’établissement d’interactions de qualité « suffisante » entre la mère et l’enfant et permettent à ces enfants d’être toujours « sains ».

L’implication clinique principale que l’on peut tirer de nos résultats réside dans le fait que, dans le contexte alimentaire, il est important d’envisager les dyades mère-enfant (même si l’enfant ne présente pas de trouble particulier) comme étant potentiellement vulnérables de par l’expérience de relation à la nourriture et/ou la psychopathologie sous-jacente de la mère.