Jean Stoll [Jean-Georges Stoll-Hopkins1], °1906 – †1948
Né à Bâle, Jean Stoll sera fortement marqué par un long séjour à Londres dans sa jeunesse, où il effectue notamment son apprentissage de commerce.
Une carrière de distributeur
De retour dans sa ville natale, il n’a que 16 ans lorsqu’il est engagé à l’Eos-Film en 1922, où il fait ses classes avant de devenir un des piliers de la société. À cette époque, la production bâloise fondée à la veille du premier conflit mondial par Robert Rosenthal et Rudolf Fechter vient de s’ouvrir à la distribution, comme l’explique Hervé Dumont : « Parallèlement à son département de documentaires, l’Eos a ouvert en 1920 une agence de location de films […] qui s’avère très rapidement son département le plus lucratif, Rosenthal parvenant à se réserver l’exclusivité suisse de la Paramount (1921) et de la UFA (1926). La firme se place ainsi à la pointe de tous les organismes de distribution du pays »2. Stoll y prend la tête des laboratoires de développement, Eoscop AG. À la mort de Rosenthal en 1937, il lui succède à la direction de toute l’entreprise. Il la quitte au printemps 1946, deux ans avant que la société ne ferme ses portes à la suite de « maintes tribulations » (Dumont), et en particulier de l’échec d’Al canto del cucù d’August Kern, produit pendant la guerre3.
De la production à la promotion du cinéma anglais
Entretemps, Stoll aura fait sa propre incursion dans la production, s’associant au banquier Dietrich Sarasin-Dearth pour créer la C.C.Co-Production Cinématographique SA, destinée à relancer les studios Frobenius à Münchenstein (Bâle, septembre 1945)4. C’est une coproduction franco-suisse, Pétrus de Marc Allégret, avec Fernandel et Simone Simon, qui ouvre le bal (1946)5.
Mais l’opération est peu concluante. Stoll quitte l’aventure fin 1947, et la société, un temps reprise par Peter Bächlin et Serge Lang (1950/1951), fait long feu6.
À son départ d’Eos-Film, Stoll obtient de la prestigieuse Rank Organisation, major britannique qui a alors sous sa houlette des réalisateurs du calibre de David Lean ou de Powell et Pressburger, l’exclusivité de la distribution de ses films en Suisse via Victor-Film AG, lancée en octobre 1947. Le succès est au rendez-vous si l’on en croit Schweizer Film Suisse, qui écrit dans sa nécrologie : « La mort de Jean Stoll constitue une lourde perte pour la cause du cinéma anglais en Suisse »7.
Archives cinématographiques suisses
Nommé à la Chambre suisse du cinéma en mai 1942, sous la mandature du nouveau président Antoine Borel, en même temps qu’un autre Bâlois, Georg Schmidt, l’homme est décrit par l’organe de la profession comme un passionné de cinéma doté de « beaucoup de goût », et attentif aux « aspects esthétiques »8. Toutefois, c’est en sa qualité de vice-président de l’association faîtière des distributeurs suisses, la Schweizerischer Filmverleiher-verband qu’il se voit proposer d’entrer à la Commission du Schweizerisches Filmarchiv dès sa fondation en août 1943 – son nom est suggéré par Peter Bächlin, qui note avec pragmatisme : « Notamment pour des raisons pratiques et financières, il conviendrait de choisir un représentant de l’association des distributeurs qui soit domicilié à Bâle »9.?Toujours selon Schweizer Film Suisse, Stoll portait « un intérêt réel (et pas simplement platonique) » aux Archives, comme à la Filmwoche bâloise10.
De fait, il accompagne les destinées des Archives pendant toute leur activité (1943-1948), et s’investit dans divers dossiers importants. D’emblée, il se charge ainsi de négocier avec les producteurs américains – sans doute via la Motion Picture Association of America (MPAA) –, et avec des firmes anglaises et allemandes, un accord de principe en vue du dépôt de leurs films distribués en Suisse en fin d’exploitation, mettant y compris à profit un voyage aux États-Unis courant 1944. L’année suivante, il noue des contacts avec le MoMA pour mettre en place des échanges de films et de documentation. Plus tard, il participe, au sein de la sous-commission des finances, à la recherche de soutiens publics et privés11.
Filmwoche
Comme Heinrich Kuhn, Peter Bächlin, Heinrich Kienzle et Georg Schmidt, qu’il côtoiera dans les instances des Archives, Jean Stoll fait partie de la Direction de la Semaine du cinéma bâloise (Filmwoche) dès sa première édition organisée en octobre 1943 (sous le titre « 10 Tage des Films in Basel »), d’abord en tant que représentant de la production cinématographique, puis de l’association des distributeurs12. Il démissionne en mai 1947, suite à son départ de la Eos-Film.
Alessia Bottani
Notes
1. Selon Hervé Dumont, Histoire du cinéma suisse, Films de fiction 1896-1965, Lausanne : Cinémathèque suisse, 1987, §205, p.386.?
2. Hervé Dumont, ibid., § 52 [Le paradis dans la neige, de Georg Jacoby], p.74. Eos Film Rosenthal & Fechter est fondée en mai 1914, voir Paul Meier-Kern, Verbrecherschule oder Kulturfaktor?? Kino und Film in Basel, 1896-1916, Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 1992, cité par Pierre-Emmanuel Jaques in «Der Kluge reist im Zuge », Décadrages, nr.6, 2015, p.85-97, note 13.?
3. Voir Hervé Dumont, ibid., § 170 [Al canto del cucù], p.301-2.?
4. Lors de la fondation, Vasco Dos Santos (Zürich) figure comme troisième partenaire et René Guggenheim comme directeur. La société change de nom en janvier 1951 pour devenir C.C. Film AG. Voir Feuille officielle suisse du commerce, nr. 226, 27 septembre 1945, p. 2339 ; et nr. 25, du 31 janvier 1951, p. 269. ?
5. Voir Hervé Dumont, ibid., « Les frontières s’ouvrent : Fernandel et Allégret tournent à Bâle », §205, p.386.?
6. Stoll, démissionnaire, est remplacé au conseil d’administration par René Guggenheim, voir Feuille officielle suisse du commerce du 31 décembre 1947, nr. 305, p. 3849.?
7. « Der Tod von Jean Stoll bedeutet für die Sache des englischen Films in der Schweiz einen schwerwiegenden Verlust ». K.E., Nécrologie, Schweizer Film Suisse, XIII. Jahrgang, nr.5, 01.02.1949, p.7.?
8. « Jean Stoll war nicht nur ein Filmverleiher ; Film war ihm nicht bloss Geschäft, sondern eine Leidenschaft. Obwohl er ein richtiges “Flair” für Publikumsreaktionen besass, traf er seine Auswahl nie allein nach diesen Gesichtpunkten, sondern zog auch immer, und zwar mit grossem Geschmack, die künstlerischen Aspekte eines Films in Betracht », ibid.?
9. « Auch aus praktischen und finanziellen Gründen sollte ein Vertreter des Filmverleihersverbandes gewählt werden, der sein Domizil in Basel hat ». « Vorschläge des Herrn Bächlin über die personelle Zusammensetzung der Archivkommission », sd., StABS, ED-REG 1 359-9 1, Chemise 3 « Personelles ».?
10. « sein starkes (nicht nur platonisches) Interesse für das Schweizer Filmarchiv und für die baslerischen Filmwochen ». K.E., Nécrologie, Schweizer Film Suisse, op.cit.?
11. Le « Finanzkomitee », créé en juillet 1946, réunit Heinrich Kuhn, Jean Stoll et Emil Vogt. Voir StABS, ED-REG 1 359-9 1, Chemise 5 Finanzierung.?
12. Plus précisément, Kuhn, Bächlin et Stoll figurent au Comité d’organisation de la Filmwoche, tandis que Kienzle et Schmidt assurent la direction de l’exposition « Der Film gestern und heute » associée à la manifestation. Voir « 10 Tage des Films in Basel (1. Schweizerische Filmwoche) 1.-10. Oktober 1943. General-Programm », StABS, ED REG 1 672.?
Sources
StABS = Staatsarchiv Basel-Stadt
-« Bâle-Ville. Les morts », Brève, Gazette de Lausanne, 3 mars 1937, p.2 [décès de Robert Rosenthal].
–Feuille fédérale, 13 mai 1942, p.369 [composition de la Chambre suisse du cinéma].
–Feuille officielle suisse du commerce : nr. 226, 27 septembre 1945, p. 2339 ; nr. 305, 31 décembre 1947, p. 3849 ; nr. 25, du 31 janvier 1951, p. 269.
-Peter Bächlin, « Vorschläge betreffend die personelle Zusammensetzung der Archiv-Kommission », 30 juillet 1943, StABS, ED-REG 1 359-9 1, Chemise 2 « Organisations-Statut ».
-« 10 Tage des Films in Basel (1. Schweizerische Filmwoche) 1.-10. Oktober 1943. General-Programm », StABS, ED REG 1 672.
-« Protokoll der Sitzung vom 25. August 1943 […] zur Besprechung des Entwurfes zu einem “Organisationsstatut für das Schweizerische Filmarchiv », StABS, ED-REG 1 359-9 1, Chemise 2 « Organisations-Statut ».
-N., « Führung durch das Schweizerische Filmarchiv in Basel », Schweizer Film Suisse, n° 8, 4 mai 1944, p. 7.
-« Protokoll der Sitzung der Schweiz. Filmarchivkommission vom 17. Februar 1944 […]», StABS, ED-REG 1 359-9 1, Chemise 8 « Protokolle und deren Begleitschreiben ».
-« Protokoll der Sitzung der Schweiz. Filmarchivkommission vom 17. November 1944 […]», ibid.
-« Protokoll der Sitzung der Schweiz. Filmarchivkommission vom 3. März 1945 […]», ibid.
-« FILM. Internationale Filmwoche. Internationaler Filmkongress. Basel 1945. 30. August – 8. September. Generalprogramm », StABS, ED REG 1 672.
-Gesellschaft Internationale Filmwoche, organigramme, sd. [06.07.1946], StABS, ED REG 1 672.
-Lettre d’Emil Vogt à Carl Miville, 05.05.1947, StABS, ED REG 1 672 [démission de Jean Stoll du Comité de la Filmwoche].
-« Grave accident d’auto près de Bellach » [brève], Journal de Genève, 31.12.1948-02.01.1949, p.2 [décès de Jean Stoll].
-E., Nécrologie, Die Tat, 05.01.1949, p.4.
-K.E., Nécrologie, Schweizer Film Suisse, XIII. Jahrgang, nr.5, 01.02.1949, p.7.
-Hervé Dumont, Histoire du cinéma suisse. Films de fiction 1896-1965, Lausanne : Cinémathèque suisse, 1987.
Illustration
-Portrait de Jean Stoll illustrant la nécrologie parue dans Schweizer Film Suisse, XIII. Jahrgang, nr.5, 01.02.1949, sans mention du photographe.
Référence
Alessia Bottani, « Portrait de Jean Stoll », in Frédéric Maire et Maria Tortajada (dir.), site Web La Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse, www.unil-cinematheque.ch, juin 2018.
Droits d’auteur
© Alessia Bottani/Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse.