Portrait de Harry Goldschmidt

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Harry Goldschmidt, °1910 – †1986

Né à Bâle de parents juifs allemands installés en Suisse – son père y devient, en 1905, le plus jeune directeur de banque du pays –, Harry Goldschmidt entreprend des études de musicologie (avec le Prof. Jacques Handschin), d’ethnologie et de psychologie. Elève du Conservatoire de la ville, il y obtient son diplôme de direction d’orchestre, avant de parfaire sa formation musicale à Königsberg (auprès de Herman Scherchen) et à Berlin. Il devient alors critique musical et est engagé, en 1933, au National-Zeitung, principal quotidien radical bâlois.

Engagement politique

Goldschmidt siège au Comité de l’association étudiante Freie Studentenschaft, classée à l’extrême-gauche. D’après le témoignage de sa femme Aenne1, tous deux prennent part à la fondation du Partei der Arbeit (PdA – Parti du travail) en 1944 – une affiliation qui leur vaut d’être fichés par la police bâloise. Goldschmidt rejoint ensuite l’organe du PdA, Vorwärts, où il signe sous le pseudonyme « Florestan », et s’engage activement dans le cadre de l’action culturelle et éducative du Parti. Il participe au lancement, au sein du syndicat Basler Gewerkschaftsbund, des Basler Volks-Sinfoniekonzerte (1943), une offre de concerts classiques avec des hôtes souvent prestigieux, initialement destinés à la classe ouvrière – et devenue aujourd’hui une formule à succès en Suisse alémanique, grâce à ses prix abordables. Goldschmidt en conçoit le programme, l’organisation, ainsi que les conférences afférentes, qu’il tient dans une optique d’éducation populaire. A la même époque, il représente le PdA au sein de la commission pour l’école primaire (Knabenprimar- und Sekondarschulkommission) et est secrétaire de la commission locale d’études sur la radio (Basler Studienkommission für Radiofragen, 1945-47).

Secrétaire des Archives cinématographiques suisses

Membre du Comité du ciné-club Le Bon Film depuis 1936, aux côtés, notamment, de Peter Bächlin et Georg Schmidt. En 1939, il est un des principaux artisans de la Internationale Filmwoche, festival organisé par le club. La même année, il esquisse avec Bächlin un premier projet d’archives du film, qui verront finalement le jour en 1943 sous le nom de Schweizerisches Filmarchiv. Sur proposition de Bächlin et de Schmidt, il devient alors membre du Comité de direction (Filmarchiv-Kommission), avant de prendre la suite de Bächlin au poste de secrétaire des Archives, en janvier 1947 : une nomination qui advient dans un contexte politiquement tendu de début de guerre froide, et malgré les critiques que ses activités politiques suscitent dans le camp libéral-radical.

Toutefois, les Archives font face à de multiples difficultés. Lorsque désormais, leur sort apparaît scellé, Goldschmidt prend les devants et démissionne (juillet 1948), quelques mois avant que leur tutelle, le Département de l’Instruction publique du Canton de Bâle-Ville, ne prononce la liquidation définitive. Le secrétaire sortant passe alors le témoin au Président de la Fédération suisse des guildes du film et des ciné-clubs, Claude Emery, qui prépare déjà le transfert de l’institution à Lausanne.

Musicologue éminent… en Allemagne de l’Est

Les époux Goldschmidt quittent alors Bâle en février-mars 1949 pour Berlin-Est – la ville est alors en plein blocus –, où Harry s’est vu proposer la direction musicale de la Berliner Rundfunk, radio placée sous contrôle soviétique. Selon l’historien Philipp Mäder, le couple fait partie de la quinzaine de citoyens helvétiques qui quittent alors le pays pour participer à la construction d’un nouvel Etat communiste, l’Allemagne de l’Est. Mais Harry est démis de ses fonctions tout juste un an plus tard, pour avoir, selon la presse, « américanisé » les ondes ! Cette mise à l’écart, qui fait les choux gras des journaux anti-communistes bâlois, serait due, selon Mäder, au climat de suspicion croissante envers les émigrés venus de l’Ouest et aux liens de Goldschmidt avec Noel Field, présumé espion américain au coeur des procès staliniens en cours à ce moment.

Goldschmidt intègre ensuite, toujours à Berlin-Est, la toute nouvelle Ecole supérieure de musique (Deutsche Hochschule für Musik). C’est le début d’une prestigieuse carrière de professeur d’histoire de la musique, marquée par une reconnaissance de la part des plus hautes autorités de l’Etat, qui lui confient des missions prestigieuses (expositions pour les jubilés de Bach puis de Beethoven, tournée de conférences en Chine, organisation de congrès), tandis que sa femme, danseuse et chorégraphe, dirige le corps de ballet du Staatlichen Volkskunstensembles de RDA. De 1960 à 1965, Goldschmidt prend la tête de l’institut de recherche de la Société des compositeurs et musicologues est-allemands (Zentralinstitut für Musikforschung beim Verband der Komponisten und Musikwissenschaftler der DDR). Auteur prolifique, il s’affirme comme un expert renommé de Beethoven et de Schubert, auxquels il consacre des biographies (Schubert – ein Lebensbild, 1954, six rééditions – l’ouvrage est accepté comme thèse de doctorat à la Humboldt-Universität en 1959 ; Um die Unsterbliche Geliebte, 1977, une réédition et une traduction en anglais), tout en faisant oeuvre de vulgarisation auprès du grand public (livrets de disques, interventions à la radio et à la télévision, conférences). A la fin de sa vie, Goldschmidt consacre encore à Beethoven un « livre d’accompagnement pour un film imaginaire », publié sous pseudonyme (Titus Oliva, Es muß sein. Lesebuch zu einem imaginären Beethoven-Film, 1982).

Modèle pour les uns, espion pour les autres

Dès 1949, le journal Vorwärts rend compte à plusieurs reprises des succès professionnels de son ancien collaborateur passé à l’Est. Celui-ci conserve des liens étroits avec la Suisse où il retourne régulièrement en vacances auprès de sa famille. A ces occasions, il retrouve des compagnons de Parti, comme l’artiste Paul Camenisch, et tient des conférences dans le cadre de Peuple et Culture (Arbeit und Kultur), aussi bien sur la musique que sur la vie en RDA ou en Chine… le tout sous étroite surveillance de la police suisse, qui suspecte le couple d’espionnage, et en consigne les faits et gestes jusqu’au décès de Harry, en 1986.

Alessia Bottani

Notes

1. Son nom apparaît avec deux graphies différentes selon les sources : sur la fiche de police de son mari elle figure comme « Anna Luzia » (repris par le Dictionnaire historique de la Suisse).?

Sources

[Staatsarchiv Basel-Stadt : StABS]

-Fiche de la police bâloise sur « Le bon Film », 30.12.1948, Archives du Bon Film, Bâle.

-Dossier C.8.3000 Goldschmidt Harry 17 6 1910, Boîte E 4320 (B) 1978/ 121 Bd. 33, Archives fédérales.

-« Protokoll der Sitzung vom 25. August 1943 […] », StABS, ED-REG 1 359-9 1, Chemise 2 « Organisations-statut », p.7 (Goldschmidt proposé comme membre de la Commission du Schweizerisches Filmarchiv).

-« Vorschläge des Herrn Bächlin über die personelle Zusammensetzung der Archivkommission », 1 p. dactyl., sd [1943], StABS, ED-REG 1 359-9 1, Chemise 3 « Personelles ».

-« Protokoll der Sitzung der Schweiz. Filmarchivkommission von 20. November 1946 in Sitzungszimmer der Erziehungsdepartements », StABS, ED-REG 1 359-9-1, Chemise 8 « Protokolle und deren Begleitschreiben » (nomination comme secrétaire des Archives).

-Commentaire signé « Io » suivant l’article de Peter Bächlin, « Reorganisiertes Filmarchiv ? », Basler Nachrichten, 19.11.1946, StABS, PD-REG 4a 11.01.03 (attaque politique à la veille de sa nomination comme secrétaire des Archives).

-« PROTOKOLL der Komissionssitzung des Schweiz. Filmarchivs vom 29. Juni 1948 in den Räumen des Schweiz. Filmarchivs in Basel », StABS, ED-REG 1 359-9-1, Chemise 8 « Protokolle und deren Begleitschreiben » (démission du poste de secrétaire des Archives).

-« Harry Goldschmidts neuer Wirkungskreis », Vorwärts, 08.02.1949, nr.32.

-« Vom Wirken Harry Goldschmidts », Vorwärts, 13.1.1950, nr.10.

-« Basler Pedeast im Sowjet-Berlin entlassen », National-Zeitung, 09.03.1950, nr.112.

-« Harry Goldschmidt am Berliner Radio entlassen », Arbeiter Zeitung, 09.03.1950, nr.58.

-« Eine Ausstellung für Auge und Ohr. Harry Goldschmidt schuf die Bach-Ausstellung in Leipzig », Vorwärts, 07.08.1950, nr.180.

-« Musiker eines neuen Typus. Harry Goldschmidt, Professor der neuen Musikhochschule Berlin », Vorwärts, 14.08.1950, nr.186.

-« Nachruf auf den verstorbenen Genossen Goldschmidt », Vorwärts, 27.11.86.

Sources secondaires

Fiche du Dictionnaire historique de la Suisse, consultée le 20.04.2016.

Fiche biographique de la Staatsbibliothek zu Berlin, consultée le 14.04.2016.

Page Wikipedia sur Harry Goldschmidt, version allemande , consultée le 14.04.2016.

Page Wikipedia sur Aenne Goldschmidt, version allemande , consultée le 22.04.2016.

-« DDR-Schweizerin Aenne Goldschmidt: “Ein Traum ist zerbrochen”», Beobachter, 22/1999, 22.10.1999 [consulté en ligne le 22.04.2016].

-Max Bächlin, « Harry Goldschmidts Einsatz für die Basler Volks-Sinfoniekonzerte 1943-1948 », in Hanns-Werner Heister (Hrsg.), Kunstwerk und Biographie : Gedenkschrift Harry Goldschmidt, Berlin : Weidler, 2002, pp. 221-236.

-Petra Galle, RIAS Berlin und Berliner Rundfunk 1943-1949. Die Entwicklung ihrer Profile in Programm, Personal und Organisation vor dem Hintergrund des Kalten Krieges, Münster 2003.

-Hanns-Werner Heister, Harmzt Lück (Hrsg.), Musik, Deutung, Bedeutung : Festschrift für Harry Goldschmidt zum 75. Geburtstag, Dortmund : Edition V im Verlag Pläne, 1986.

-Hanns-Werner Heister (Hrsg.), Kunstwerk und Biographie : Gedenkschrift Harry Goldschmidt, Berlin : Weidler, 2002.

-Philip Mäder, « Zwichen allen Stühlen », Taz.de, 19.10.2002 [consulté en ligne le 22.04.2016].

-Sigfried Schibli, « Harry Goldschmidt – Basler, Marxist, Musikologe », Basler Zeitung, 30.10.2002, nr. 253, p. 43.

Note : Une longue bibliographie de et sur Harry Goldschmidt est publiée sur la page allemande de Wikipedia qui lui est consacrée. Ses archives sont déposées à la Staatsbibliothek de Berlin.

Illustration

Portrait de Harry Goldschmidt, 1951.
© Tous droits réservés/archives de la famille Goldschmidt.

Référence

Alessia Bottani, « Portrait de Harry Goldschmidt », in Frédéric Maire et Maria Tortajada (dir.), site Web La Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse, www.unil-cinematheque.ch, avril 2016.

Droits d’auteur

© Alessia Bottani/Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse.