Journées d’étude et colloques

Journées d’étude et colloques

« Praticiens et praticiennes de l’animation » – 15 avril 2025 (09:00 à 17:00, Amphimax, 412)

Depuis le milieu des années 1980, l’étude de l’animation comme champ académique a connu un développement important. Encouragé par l’avènement des « production studies » aux États-Unis et en Angleterre, ce mouvement propose de penser l’animation non plus simplement à travers les formes et les thématiques des films, mais en tant que pratique socio-économico-culturelle. Repenser l’animation comme une série de pratiques hétéroclites et propres à chaque studio – la notion de studio est ici conçue dans une définition élargie comprenant autant la pratique « solitaire » d’un Alexandre Athané, la conception en couple de Gisèle et Nag Ansorge, que les structures industrielles d’un Disney ou, à un niveau plus local, celles du studio Liechti (Genève) – implique un recentrement épistémologique autour de la figure du·de la praticien·ne.Cette journée d’étude propose d’interroger les différents modes de production (financements étatiques, commande, etc.), et les techniques (l’animation dans sa matérialité plus concrète) qui n’ont eu de cesse d’informer et de conditionner l’expérience des praticien·nes engagé·e·s dans la création. En positionnant la praxis au cœur de cette journée, la Section d’histoire et d’esthétique du cinéma de l’UNIL souhaite redonner sa place aux hommes et aux femmes qui ont participé de manière concrète et souvent invisible à l’histoire de l’animation. À travers diverses études de cas, elle entend ainsi proposer un cadre de réflexion permettant d’appréhender les dynamiques à l’œuvre au sein d’un large dispositif.

Cette journée est organisée par le groupe de recherche du projet « Histoire de l’animation suisse francophone » dans la cadre de la Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse, en partenariat avec le Service Données et Archives (D+A) de la Radio Télévision Suisse (RTS) et avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique, du Centre d’études cinématographiques et de la Section d’histoire et esthétique du cinéma de la Faculté des lettres de l’UNIL.

Le programme détaillé de la journée et un descriptif des interventions sont disponibles ci-dessous.

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Parcours professionnels en temps de « disette » : à propos de quelques praticiens et praticiennes de l’animation en France au tournant de l’industrialisation (1973-1984) 
Marie Pruvost-Delaspre

Tandis que le démantèlement de l’Office de radiotélévision française (ORTF) met en difficulté les personnes employées par son Service Animation, qui se trouvent sans emploi alors que sévit une phase de « disette » dans le secteur, quelques animateurs se regroupent en 1973 pour former une section au sein du Syndicat national des techniciens de la production cinématographique et de la télévision (SNTPCT). Préoccupés par leurs conditions de travail et d’emploi, mais surtout par la forte prévalence du chômage parmi les professionnels de l’animation, ils cherchent à rendre visibles ces difficultés et à poser un cadre plus clair à leurs métiers.
Nous proposons d’explorer, à partir d’entretiens menés auprès de ces praticiens et praticiennes ainsi que des éléments présents dans les archives syndicales qui éclairent leurs expériences et pratiques, les parcours professionnels des personnes impliquées dans cette section syndicale, décrivant des carrières marquées par des traits récurrents comme la difficulté d’entrer dans le milieu, les stratégies individuelles et collectives pour y trouver sa place, ou encore les enjeux liés au déficit chronique d’emploi.
Ce cas d’étude sera l’occasion d’interroger l’usage de certains outils méthodologiques et approches théoriques (histoire orale, prosopographie, données quantitatives, visualisation), à partir d’un terrain dont les spécificités donnent à penser autrement la pratique de l’animation en France au tournant de l’industrialisation, qui se met en place au début des années 1980 avec l’émergence de la production télévisée.   

Biographie
Marie Pruvost-Delaspre est maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’Université Paris 8. Ses travaux portent sur l’histoire de la production, des métiers et des techniques de l’animation, sur les terrains japonais et français. Elle a dirigé plusieurs ouvrages sur ces sujets et publié une monographie tirée de sa thèse, Aux sources de l’animation japonaise : le studio Toei Doga 1956-1972 (Presses universitaires de Rennes, 2021).    

Stratégies publicitaires et valorisation des studios d’animation : la communication promotionnelle des structures de production japonaises.
Alexis Chaloupka

La conférence propose une immersion dans les départements de production des studios japonais – principalement des années 1950 et 1960, avec pour point de départ une problématique soulevée par la structure Otogi Pro de Yokoyama Ryûichi – examinant plusieurs aspects de leur stratégie marketing en comparant les modèles à l’origine de leur communication.
Les images promotionnelles des ateliers – qu’il s’agisse de structures importantes ou celles appartenant à des cinéastes indépendants – ont souvent été construites sur des mises en scènes auxquelles les praticiens de l’animation se sont volontiers prêtés. Aguerris aux techniques des spots publicitaires pour lesquels ils étaient périodiquement mandatés, les studios préparaient soigneusement ces photographies en recourant parfois à des représentations symboliques ne reflétant guère fidèlement leurs activités. En délivrant un message simplifié auprès du public, leur pratique contribuait à façonner ‘’la figure de l’artiste’’ participant au propre mythe de leurs équipes. Dans cette optique valorisant capacité et talent, les originaux filmiques initialement créés pour les besoins des tournages étaient détournés pour être présentés comme des œuvres d’art pouvant être, à l’égal de ces dernières, accrochées aux cimaises des musées. En toute contradiction avec ce discours, les studios procédaient à l’élimination des celluloïds et des fonds peints pour gagner de la place dans les locaux et diminuer les risques d’incendies. Les pièces subsistantes sont aujourd’hui très prisées. 
Après le survol de quelques cas significatifs, cette communication évoquera la situation des ateliers – notamment ceux de Toei Animation, Nippon Animation, Tatsunoko Productions – au tournant des années 2000, époque particulière où s’est opérée la transition des procédés de tournage, passant des montages de celluloïds aux outils informatiques. A quoi ressemblaient les studios alors ? Quelles étaient les conditions de travail au sein des ateliers ? Les constats réalisés sur place durant cette période correspondaient-ils à leur communication savamment orchestrée ? Reprenant quelques points de mes recherches doctorales en cours de finalisation, la communication s’appuiera sur une approche historiographique qui permettra de nuancer certaines idées courantes.  

Biographie  
Alexis Chaloupka est historien de l’art, il collabore avec les musées et enseigne la sémiologie à l’École d’arts appliqués de la Ville de La Chaux-de-Fonds. Spécialisé dans l’art moderne et le cinéma d’animation, il a effectué de nombreux voyages d’études dans les studios de production en République tchèque et au Japon pour rencontrer des personnalités de ce milieu. En 1997, il a reçu le titre d’Ambassadeur honorifique de la Ville de Matsue, préfecture de Shimanen, Japon. De 1999 à 2000, il a suivi l’enseignement du directeur artistique Kawamoto Shôhei (Maya l’abeille, Heidi) au studio Atelier Roku à Suginami, Tokyo, réalisant les décors filmiques. Au studio Ghibli, il s’est intéressé aux techniques d’animation. Dans le cadre d’exposition muséales, il a publié plusieurs contributions, notamment : « Le récit d’Aimé Humbert et l’animation nippone : regards croisés », in : Imagine Japan, Neuchâtel, MEN, 2015, et « Rencontre avec l’irréel : art et illusion dans le film d’animation japonais », in : La grande illusion, Neuchâtel, Musée d’art et d’histoire, 2001. Doctorant à la Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’UNIL, il achève en ce moment la rédaction d’une thèse qui porte sur les techniques et mécanismes de références des productions nippones de l’après-guerre, en particulier sous l’angle des stratégies filmiques de Yokoyama Ryûichi (1909-2002) et Tezuka Osamu (1928-1989).

Technical Constraints and Creative Freedom: Otogi Pro’s Animation Production and Aesthetics
Megumi Hayakawa

Renowned manga artist Ryūichi Yokoyama founded Otogi Pro, an independent animation studio, in 1956, starting in a small corner of his home. Initially an amateur group, the studio quickly attracted talented young individuals passionate about animation. In 1957, they produced the medium-length commercial colour animation film Fukusuke, a significant achievement when animated films in Japan were mainly short educational films. The film was highly acclaimed by critics for its unique style and beauty. Yokoyama’s recognition as an artist and his distinctive aesthetic style heightened both expectations and interest in Japanese animation, especially during a time when Walt Disney’s works were widely popular in Japan. In spite of vast differences in scale, budget, facilities, and staff size, Otogi Pro was positively compared in the media to Toei Doga, Japan’s largest animation studio, particularly for its aesthetics. While Otogi Pro was short-lived and remains relatively unknown in Japan today, its contributions profoundly impacted Japanese animation, influencing key figures like Osamu Tezuka, creator of Astro Boy (Tezuka/Kabuto 1963).
At Otogi Pro, Yokoyama was at the heart of the studio: he provided staff with living space and meals, fostering a close-knit environment where work and home were intertwined. He served as both creative director and hands-on practitioner. His inventive spirit and deep fascination with technology, combined with the necessity of self-manufacturing due to a limited budget, shaped the studio’s experimental approach and craftsmanship. In my presentation, I will examine how these production practices influenced the aesthetic qualities and reception of its works, drawing on archival materials like cels, backgrounds, and internal studio documents. Additionally, I will explore the studio’s facilities and organizational structure as key factors in defining its distinctive character.

Biographie
Megumi Hayakawa is a PhD student at the Department of Film Studies, University of Zurich. She works for the SNSF Project «Autonomous Film Colors in Animation and Digital Productions. An Intercultural Comparison». Her dissertation project focuses on the aesthetics and functions of shadows in historical colour animations from the USA, Germany and Japan.

Réseaux d’acteurs et conditions du développement de l’animation en volume en Suisse romande des années 1990 à aujourd’hui.
Chloé Hofmann 

Dans les années 1990 et 2000, des films américains et britanniques, comme L’Étrange Noël de Monsieur Jack (Henry Selik, 1993) et Chicken Run (Peter Lord et Nick Park, 2000), mettent l’animation en volume sur le devant de la scène. En Suisse, de jeunes cinéastes et animateurs, les jumeaux Samuel et Frédéric Guillaume, Claude Barras et Cédric Louis, ou plus récemment Elie Chapuis, manifestent un intérêt pour cette technique et participent à son renouveau. Après avoir réalisé un ou plusieurs courts métrages d’animation en stop motion, ils initient et prennent activement part à des coproductions majoritaires helvétiques de grande envergure – Max & Co (Guillaume, 2007), Ma vie de Courgette (Barras, 2016) et Sauvages (Barras, 2024). Accompagnés par leurs producteurs, ces acteurs du champ ont ainsi contribué à positionner la Suisse romande parmi les rares pôles dans le monde spécialisés en animation en volume, aux côtés de Rennes (studios Vivement lundi ! et JPL Films), de Bristol (studios Aardman) ou encore de Portland (studios Laika).
Cette communication vise à analyser les facteurs socio-techniques ayant favorisé l’émergence de films d’animation en stop motion en Suisse romande, en examinant le travail d’un noyau de cinéastes et de techniciens, afin de mettre au jour l’évolution des savoir-faire et les mutations structurelles impliquées par le passage du court au long métrage. Le changement d’échelle de production a notamment entraîné des transformations des processus de fabrication des marionnettes (matériaux, outils, chaîne de fabrication) ainsi que de la composition des équipes. Il s’agira ici d’interroger des dynamiques humaines et le mouvement de spécialisation qui sous-tendent ces évolutions afin de montrer comment une expertise à l’échelle locale s’est progressivement développée, stimulée par l’émergence d’un nouveau modèle de production, lui-même rendu possible par l’instauration de soutiens étatiques réservés au secteur de l’animation.

Biographie
Chloé Hofmann a consacré sa thèse de doctorat au cinéma d’animation de sable. En s’appuyant sur des méthodes développées par des anthropologues et des poïéticiens, elle propose dans ce travail d’éclairer les dynamiques à l’œuvre au cours du processus de fabrication de films d’animation de sable afin d’interroger leur dimension matérielle, technique et formelle. Elle est actuellement chercheuse post-doc au sein du projet « Histoire de l’animation suisse francophone » dirigé par Maria Toartajada à l’Université de Lausanne. Dans ce cadre, elle s’intéresse aux multiples conditions et aux acteurs qui participent à l’émergence du long métrage d’animation en Suisse. Elle est membre du comité de rédaction de la revue scientifique Décadrages – Cinéma, à travers champs et est l’autrice de différents articles portant sur le cinéma d’animation ainsi que du livre Gisèle Ansorge, la caméra, le pinceau et la plume (Infolio, 2024). 

Les relations de l’archive cinématographique et des praticiens et praticiennes du cinéma : comment la Cinémathèque suisse contribue à documenter et valoriser les savoirs et les pratiques de l’animation
Caroline Fournier  

Les archives cinématographiques se sont longtemps limitées à conserver les œuvres achevées du cinéma d’animation, c’est-à-dire les éléments de laboratoire et les copies des films. Cependant, la relation étroite des institutions avec des créateurs et créatrices ou des praticiens et praticiennes a fait apparaître la nécessité de conserver les informations sur les savoirs techniques et le contexte de production. Des rencontres comme celles qui ont eu lieu à la Cinémathèque suisse avec Nag et Gisèle Ansorge, les animateurs du studio GDS, Robi Engler et plus récemment les frères Guillaume, Claude Barras ou les membres de Rita Productions ont permis de recueillir leur témoignage et d’acquérir des documents préparatoires, décors, marionnettes, cellulos etc., en vue de documenter et de préserver la pratique elle-même.
Le dialogue qui se poursuit informe les collections pour répondre à l’une des missions fondamentales de la Cinémathèque suisse : l’acquisition, la conservation et la valorisation des savoirs et des techniques cinématographiques. Ainsi, grâce à la constitution d’une collection raisonnée d’artefacts qui permettent de mieux comprendre et valoriser contextes et pratiques, il s’agit pour l’archive de redonner corps à l’histoire de la fabrique de l’animation au-delà des œuvres projetées.

Biographie
Après avoir été en charge du secteur conservation/restauration et des collections Films à la Cinémathèque suisse, Caroline Fournier est désormais directrice du Patrimoine depuis 2024. En 2014, elle a soutenu avec succès une thèse de doctorat sur les versions multiples dans le cinéma espagnol à l’Université Paris III. Elle est membre de la Commission technique et du Comité exécutif de la FIAF. Très attachée à l’étude du cinéma d’animation, elle a eu l’opportunité d’enseigner à l’UNIL sur le sujet.