Ernst Friedrich Schumacher

E.F. Schumacher est un économiste allemand et britannique qui a publié « Small is Beautiful« , un ouvrage majeur de l’économie alternative dans les années 1970. Il y propose une critique des mode de production industriel caractérisant l’Occident, et plaide en faveur d’une économie à échelle humaine, notamment basée sur les valeurs du bouddhisme et respectueuse de l’environnement.

Biographie

Ernst Friedrich « Fritz » Schumacher (né le 16 août 1911 à Bonn en Allemagne – mort le 4 septembre 1977, dans un train entre Genève et Lausanne) est un économiste britannique d’origine allemande. Fils d’un professeur d’économie, F. Schumacher grandit en Allemagne. Il étudie l’économie à Bonn, Londres, Oxford et New-York, sans toutefois obtenir de diplôme. Revenu en Allemagne, il fait des affaires dans l’import-export, mais est poussé à fuir le pays en raison de la montée du nazisme. Il se réfugie à Londres en 1937 où l’attend un emploi de conseiller en investissements. Soupçonné par les Anglais d’être un espion allemand, il est interné dans un camp de travail puis confiné dans une ferme où il travaille la terre pendant plusieurs mois. Ce travail agricole fera germer en lui une réflexion sur l’exode rural et les possibilités d’améliorer l’agriculture. Pendant cette période, il continue son travail intellectuel et entretient une correspondance avec John Maynard Keynes, qui s’est possiblement inspiré des écrits de Fritz dans son projet proposé à Bretton-Woods. A la fin de la guerre, naturalisé britannique, il participe à la reconstruction de l’Allemagne avec la British Control Commission, puis regagne l’Angleterre où il occupe le poste d’économiste en chef durant 20 ans au National Coal Board (Charbonnages britanniques).

Economiste reconnu et conférencier recherché, il réalise de nombreux voyages, en particulier dans le tiers-monde, un de ses centres d’intérêt. En 1955, il se rend en Birmanie comme conseiller économique des Nations-Unies et s’intéresse au Bouddhisme, ce qui l’amène à développer le concept d’économie bouddhiste. Il travaille aussi en Inde où il développe la notion de technologie intermédiaire. Ces expériences diversifiées ont nourri une réflexion globale sur la société, au coeur de laquelle se trouvent les besoins et aspirations de l’humain. Il aborde aussi le problème de l’utilisation des ressources naturelles. Une grande partie de sa pensée se trouve rassemblée dans le livre « Small is Beautiful« , publié en 1973, qui l’a rendu mondialement connu. A la fin de sa vie, il devient chrétien pratiquant et intègre des éléments de foi à ses écrits théoriques.

Oeuvre

Dans Small is Beautiful, son ouvrage le plus connu, Schumacher entend montrer l’importance de l’échelle humaine dans l’économie, mais il traite également de questions telles que la croissance, l’agriculture, le développement, l’épanouissement au travail, le décentralisme, l’environnement, etc.

Rôle de l’économie

Schumacher conteste l’influence dominante des économistes dans les activités et valeurs du monde moderne, dans la mesure où ils définissent les critères de ce qui est économique et de ce qui ne l’est pas. Il relève la confusion courante entre économie et profit monétaire pour les entrepreneurs. Il établit 4 catégories de biens essentiellement différentes les unes des autres (distinction que le marché ignore):

Biens Matières premières 1) Non renouvelables (ex: pétrole)
2) Renouvelables (ex: blé)
Produits dérivés 3) Produits manufacturés (ex: chaussures)
4) Services (ex: chambre d’hôtel)

Il critique le fait que pour le marché, le seul critère déterminant l’importance de ces différents produits est le taux de profit que l’on peut réaliser en les fournissant. D’où la pratique courante de favoriser telle catégorie de biens ou de supprimer telle autre, en fonction du taux de profit: « Si les catégories 3 et 4 entrainent de plus forts profits que les catégories 1 et 2, on considère ce résultat comme un « signe »: le signe qu’il est « rationnel » d’accorder des ressources supplémentaires aux catégories 3 et 4, et d’en supprimer à l’autre » (Schumacher, 1978, p.51).

Schumacher appelle méta-économie la discipline qui, en amont, gouverne l’économie, et dont dérive toute analyse économique. Elle permettrait la distinction entre ces différentes catégories de biens, mais aussi l’identification de « biens » inexistants sur le marché (air, eau, sol, soit l’environnement naturel vivant), non reconnus par les économistes. Il attire l’attention sur le caractère destructible du cadre de l’activité économique, ce qui remet en question la méthodologie de la discipline économique, devenue limitée et fragmentaire par rapport à la complexité de l’ensemble (1978, p.52).

Schumacher remet en question le choix sociétal de la croissance à tout prix, qui ne tient pas compte des aspirations et besoins réels des êtres humains, mais qui s’est imposée à partir du moment où les moyens techniques ont été disponibles. L’excès d’attention accordé par l’économie moderne aux moyens (technologies) par rapport aux fins empêche la liberté et la recherche des fins réellement désirées. « L’économie tend à absorber l’éthique dans son ensemble et à l’emporter sur toute autre considération humaine » (1978, p.69).

Le système d’économie bouddhiste

Si la base méta-économique du matérialisme occidental est remplacée par l’enseignement du bouddhisme, les lois économiques et les définitions des concepts « économique » et « non-économique » sont transformées (1978, p.52). Lors de son séjour en Birmanie, Schumacher a vite réalisé que le peuple birman n’avait pas besoin d’un développement économique calqué sur le modèle occidental, mais d’une économie adaptée à sa culture et son mode de vie, une « voie intermédiaire » entre le modèle occidental (qui cherche à accroître ses biens matériels et sa consommation par une production mécanisée) et le modèle bouddhiste (qui cherche à satisfaire les besoins humains fondamentaux à travers un travail digne, purifiant le caractère de l’homme et consistant en une offrande spirituelle). Les outils de l’économie devraient être adaptés aux besoins et aux valeurs des êtres humains et non l’inverse. Le travail et son produit sont considérés comme une consécration pour ceux qui le réalisent à condition d’être effectués dans la dignité et la liberté humaine (1978, p.55). Contrairement aux occidentaux qui visent la richesse, les bouddhistes recherchent la libération (de l’attachement à la richesse). En ce qui concerne les ressources naturelles, leur emploi est soumis à un respect de tous les êtres sensibles et des arbres. Les ressources non renouvelables ne doivent être utilisées qu’en cas de nécessité. Aussi, les notions de simplicité et de non-violence sont fondamentales dans l’économie bouddhiste.

Energie

Schumacher a pressenti l’épuisement des ressources fossiles. Lorsqu’il travaillait aux Charbonnages britanniques (en forte baisse d’activité avec alors 800’000 employés) Schumacher pensait que l’industrie du charbon devait être à tout prix préservée, même au ralenti, afin de pouvoir être redémarrée plus tard, lorsque une crise du pétrole se présenterait. Il défendait l’idée qu’une dépendance excessive des pays occidentaux à l’égard des producteurs de pétrole du Moyen-Orient devait être évitée. Il échoua à convaincre les décideurs politiques dans ces deux domaines.

En ce qui concerne l’industrie nucléaire « aucun degré de prospérité ne saurait justifier que l’on accumule de grandes quantités de substances hautement toxiques […] qui font planer un danger inestimable sur la création tout entière, pour des temps historiques, ou mêmes géologiques. Agir ainsi, c’est transgresser la vie elle-même […] Cela revient à conduire les affaires économiques de l’humanité comme si les hommes n’avaient aucune importance » (1978, p.151).

Technologie intermédiaire

La technologie intermédiaire (ou de niveau moyen, ou appropriée) est une technologie située entre les techniques traditionnelles et les technologies de pointe des riches. « Elle est plus productive, supérieure à la technologie primitive des siècles passés tout en étant plus simple, plus économique et plus indépendante que la super-technologie des riches : une technologie à laquelle tout le monde peut accéder et qui n’est pas réservée à ceux qui sont déjà riches et puissants » (1978, p.161).

Schumacher a fondé le groupe de travail Intermediate Technology Development Group (Groupe pour le développement d’une technologie intermédiaire), ONG ayant pour but d’étudier les différentes façons d’aider les gens à se tirer d’affaire (de la pauvreté) par leurs propres moyens. De même, il s’engage dans la Soil Association en faveur d’une agriculture biologique, ce qui était novateur à cette période. Il fournit une assistance technique au tiers-monde, mais les résultats de ses recherches intéressent aussi les pays riches. Ce type de technologie, à visage humain réintègre l’être humain dans le processus de production. C’est une technologie « à la vraie mesure de l’homme » (1978, p.166) qui permet aussi de revivifier économiquement des régions qui risquent d’être vidées par l’exode rural. Comme exemples de technologie intermédiaire, on peut citer l’agriculture préservant un environnement sain, à petite échelle, biologique, l’éolien à petite échelle, les cuisinières améliorées économisant les combustibles, le bio-gaz, l’énergie hydraulique, les micro-industries, etc.

Théorie de la grande organisation

Le travail à la tête des Charbonnages britanniques (800’000 employés) a amené Schumacher à penser que les grandes organisations étaient destructrices. Il a développé une théorie de la grande organisation dans laquelle un équilibre est indispensable entre le centralisme (qui met en exergue l’ordre) et la décentralisation (qui valorise la liberté). Pour Schumacher, ces deux pôles sont nécessaires, mais de façon équilibrée. Il faut laisser aux groupements d’ordres inférieurs les fonctions qu’ils sont en mesure de faire eux-mêmes (ils le feront bien et cela préserve leur dignité) (1978, p.252). Par ailleurs, les niveaux supérieurs doivent avoir l’obligation de rendre compte de leurs actions (Dembovski, 2003).

Impact

Les idées de Schumacher n’ont pas été suivies dans les politiques nationales. Le tiers-monde n’a pas souhaité être exclu des technologies de pointe et l’avènement des néolibéraux Thatcher et Reagan a mis un point final aux tentatives de mise en pratique (fin des subventions pour les technologies intermédiaires en Californie par ex.). Les communications de Schumacher comportaient aussi des éléments ayant des résonnances missionnaires (références à la Bible par ex.) et donc peu académiques (Dembowski, 2003).

Bibliographie commentée

Schumacher, E. F. (1978). Small is beautiful: Une société à la mesure de l’homme. Paris: Contretemps / Le Seuil.

Ce recueil d’essais publié en 1973 (année du choc pétrolier), a eu un succès retentissant dans le monde entier. Critiquant le modèle occidental de croissance industrielle à tout prix, Schumacher y prône une économie basée sur le local, respectueuse à la fois de l’humain et de l’environnement.

Références

Brittain, D., Howells, B., & Kiefer, D. (1978). Small Is Beautiful: Impressions of Fritz Schumacher. Consulté à l’adresse http://www.nfb.ca/film/small_is_beautiful/

Dembowski, H. (2003). E.F. Schumacher (1911-1977) An early prophet of sustainability. D+C, Magazine for Development and Cooperation, (11).

Schumacher, D. (2011). Who Was Fritz Schumacher? The Ghandi Foundation. Consulté à l’adresse http://gandhifoundation.org/2011/11/25/who-was-fritz-schumacher-by-diana-schumacher/

Wood, B. (1995). Fritz Schumacher: précurseur d’une économie non-violente. Barret-Le-Bas: Le Souffle d’Or.

Projets de recherche

Les savoirs locaux et leurs relations avec les pratiques de développement

OGM: panacée ou désastre pour les pays en développement?

Quelles théories économiques pour quels contextes?