Cette page présente les enseignements provisoires du projet (version du 27.10.2025). Il est à noter que des recommandations seront formulées à la fin du projet, prévue pour 2026.
I. Conceptions de la multifonctionnalité
- Le concept de multifonctionnalité de l’eau et des aménagements hydroélectriques est très récent en Suisse (première mention en 2012) et il n’existe pas une définition stabilisée du concept.
- Plusieurs visions de la multifonctionnalité de l’eau et des aménagements hydroélectriques cohabitent parmi les différents acteurs concernés. Elles influencent la perception qu’ont les acteurs de l’importance de la multifonctionnalité et des formes possibles de cette dernière. Les visions observées peuvent être classées en trois grandes catégories : « multifonctionnalité considérée comme peu nécessaire et coûteuse » ; « multifonctionnalité considérée comme un mode de gestion des barrages innovant et apte à répondre aux nouveaux enjeux socio-environnementaux » et « multifonctionnalité considérée comme un argument rhétorique pour améliorer l’image des barrages ».
- Deux approches de la multifonctionnalité co-existent : une approche top-down, plutôt théorique, qui considère la multifonctionnalité notamment comme un instrument d’adaptation au changement climatique, et une approche provenant du niveau local – bottom-up – où la multifonctionnalité répond essentiellement à des besoins concrets de coordination des usages.
Pour en savoir plus : télécharger le working paper 1
II. Analyse de la multifonctionnalité
- L’analyse conceptuelle de la notion de multi-usage de l’eau et des infrastructures hydroélectriques a permis d’identifier 9 fonctions et 41 usages différents.
- Les caractéristiques locales de la multifonctionnalité dépendent de la ressource (quantité, saisonnalité, disponibilité, ressource en eau et infrastructurelle, etc.) ainsi que des caractéristiques des différents types d’usage (usages directs de l’eau et/ou des infrastructures, usages immatériels et symboliques, usages soustractifs et non soustractifs de l’eau, etc.).
- La multifonctionnalité semble spécifique à chaque aménagement : la configuration et la diversité des usages varient d’un aménagement à un autre. Il en va de même de la configuration des (éventuelles) rivalités entre ces mêmes usages.
- A l’heure actuelle, il n’y a que peu, voire pas de rivalités entre usages, hormis dans certains cas la rivalité entre hydroélectricité et protection des systèmes aquatiques en aval des barrages (débits minimaux). Cela s’explique certainement par les faibles quantités d’eau utilisées pour les autres usages hors production d’énergie comparativement à l’eau turbinée pour la production hydroélectrique. Cumulés à l’échelle d’un canton ou de la Suisse, les volumes d’eau utilisés pour les usages non-hydroélectriques ne sont toutefois pas négligeables. Aucune estimation globale ne semble exister auprès des gestionnaires des infrastructures ou des autorités publiques, ni n’a été établie dans le cadre de cette étude.
Pour en savoir plus : télécharger le working paper 3 (fonctions et caractéristiques de la multifonctionnalité), le working paper 2 (multifonctionnalité dans le cas de Cleuson), le working paper 4 (multifonctionnalité dans le cas de l’Hongrin-Léman) et le working paper 5 (multifonctionnalité dans le cas de la Gougra ; publication prévue à l’automne 2025)
III. Régulations actuelles de la multifonctionnalité au niveau fédéral et cantonal
- De nombreux usages des aménagements hydroélectriques ne sont pas régulés par les bases légales fédérales et cantonales (étendue limitée du régime de régulation). C’est le cas par exemple des usages récréatifs des barrages ou de l’usage de l’eau pour l’enneigement artificiel.
- En général, les concessions actuellement en vigueur ne règlent que les usages hydroélectriques des aménagements, à l’exception des usages historiques d’irrigation ou d’exploitation de la force hydraulique par les moulins.
- La régulation des nouveaux usages émergents (multifonctionnalité) se fait majoritairement sur un mode bottom-up (d’abord au niveau local, puis éventuellement à d’autres échelons institutionnels) au travers de la mise en place de régulations ad hoc qui passent principalement par des contrats, conventions (volontaires) entre acteurs privés (i.e. sans intervention de l’Etat) ou de décisions politico-administratives locales (règlements communaux).
- Seuls les usages impliquant des enjeux économiques (débits réservés à l’irrigation, redevances hydrauliques), sécuritaires (protection des populations en aval du barrage) ou environnementaux (débits résiduels minimaux) sont (formellement) régulés par les politiques publiques (mais rarement repris dans les concessions).
- De nombreux usages (p.ex. usages récréatifs, prélèvements ponctuels) sont régulés de manière informelle, sans bases réglementaires particulières. L’avantage de telles solutions consiste dans leur facilité de mise en place et leur flexibilité. Le désavantage repose sur la relative faiblesse de telles régulations en cas de conflits ou de pénuries d’eau.
Pour en savoir plus : télécharger le working paper 3
IV. Évolution du régime de régulation
- Le développement de la multifonctionnalité fait évoluer le régime institutionnel de régulation des aménagements hydroélectriques d’un régime simple (peu d’usages, régulés de manière coordonnée) à un régime complexe (davantage d’usages, régulés de manière peu coordonnée) : l’extension de la régulation des usages provoque une baisse de l’intégration du régime (« piège de la complexité institutionnelle »).
- En l’état, les recherches effectuées montrent peu de signes concernant une évolution vers un régime intégré (où l’ensemble des usages sont régulés de manière coordonnée). Une éventuelle intégration du régime nécessite certainement une réarticulation entre politiques publiques (notamment de gestion de l’eau et de l’énergie) et concessions hydroélectriques. Une telle réarticulation implique probablement une adaptation de l’instrument des concessions (concessions dynamiques ; possibilités d’ajustement après une certaine durée, selon des conditions définies préalablement ; concessions plus courtes, etc.).
- La multifonctionnalité implique une redéfinition de la place et du rôle des exploitants hydroélectriques, avec le passage d’un rôle de producteur d’énergie à un rôle de gestionnaire de l’eau induit par la réponse à de nouvelles demandes en eau.
Pour en savoir plus : télécharger le working paper 3
V. La multifonctionnalité à l’échelle des aménagements
- Dans les trois cas étudiés (Cleuson, Hongrin-Léman, Gougra), il n’y a pas de stratégie globale de développement de la multifonctionnalité à l’échelle de l’aménagement, par exemple dans une logique d’adaptation au réchauffement climatique. Au contraire, le multiusage émerge graduellement et au cas par cas lorsque de nouveaux besoins apparaissent.
- La multifonctionnalité d’un aménagement dépend fortement des caractéristiques techniques de ce dernier, l’existence d’infrastructures (notamment des conduites) semblant favoriser le développement du multiusage.
- À Cleuson, le barrage est perçu comme un atout pour le territoire local en lien avec son caractère multifonctionnel (fourniture d’eau pour l’irrigation, l’approvisionnement en eau potable et l’enneigement artificiel) et la commune est l’interlocuteur privilégié de l’exploitant hydroélectrique (rôle de relais pour tous les usages non-énergétiques). Les associations de protection de l’environnement craignent que le développement de la multifonctionnalité ne se fasse au détriment des fonctions environnementales des cours d’eau, la question des débits résiduels minimaux n’étant pas encore totalement réglée.
- L’aménagement de l’Hongrin-Léman joue un rôle marginal dans les dynamiques de développement territorial local, mais il est intégré dans un territoire hydrosocial à l’échelle de la Suisse en raison de sa fonction de stabilisation du réseau électrique du pays. Cette faible intégration dans le territoire local est certainement renforcée par le régime de propriété cantonale des cours d’eau dans le canton de Vaud. Les usages non-énergétiques de l’eau sont très faibles, à l’exception des usages de loisirs.
- L’aménagement de la Gougra est caractérisé par la présence de deux bassins versants d’alimentation du lac de Moiry (Navizence, Turtmänna via le barrage de Tourtemagne). Bien que les aménagements soient situés principalement dans le Val d’Anniviers, la vallée de Tourtemagne joue un rôle essentiel en termes de ressources en eau. Comme dans le cas de Cleuson, les usages non-énergétiques de l’aménagement de la Gougra sont diversifiés (irrigation, enneigement artificiel, protection contre les crues, loisirs), et la commune d’Anniviers – comme celle de Nendaz – joue un rôle central, mais plutôt en termes d’entité spécialiste de la production d’énergie.
- Les trois études de cas réalisées soulignent le caractère unique de chaque aménagement hydroélectrique en matière de multifonctionnalité. Les enseignements observés représentent donc davantage des pistes de réflexion ou points de comparaison pour l’analyse d’autres aménagements que des conclusions générales.
Pour en savoir plus : télécharger le working paper 2 (Cleuson), le working paper 4 (Hongrin-Léman) et le working paper 5 (Gougra ; publication prévue à l’automne 2025)
VI. La gouvernance à l’échelle des aménagements
- Les trois études de cas réalisées (Cleuson, Hongrin-Léman, Gougra) ont permis de constater que la plupart des usages non réglementés par les bases légales fédérales et cantonales le sont au final par des arrangements locaux entre les acteurs concernés (conventions, contrats, accords informels). Si cette manière de faire correspond aux besoins des acteurs, elle aboutit fréquemment à une diminution globale de l’intégration du régime de gouvernance de l’aménagement, notamment puisqu’elle considère chaque usage individuellement, sans mécanisme de priorisation entre les différentes utilisations des aménagements. De même, la fourniture d’eau à des acteurs tiers par les exploitants hydroélectriques (qui disposent de la force de l’eau, mais pas de l’eau en général) entre en contradiction avec l’esprit de la concession hydraulique.
- L’échéance de la concession semble constituer un moment crucial pour un éventuel renforcement de l’intégration du régime de gouvernance de la multifonctionnalité. En effet, nous formulons l’hypothèse qu’une base solide définie dans la nouvelle concession et établissant certains principes de coordination – p.ex. via une priorisation des usages, en réservant certains volumes d’eau pour d’éventuels besoins futurs dans la concession ou encore en prévoyant une renégociation de certaines clauses en cas de réalisation d’un scénario préétabli (p.ex. manque durable d’eau potable pour la communauté concédante) – permettrait de garantir une certaine intégration du régime pour toute la durée de la nouvelle concession. Cette base – et les consignes qu’elle contient – permettrait ensuite de développer des arrangements locaux coordonnés entre eux et ne débouchant pas sur des conflits d’application.
- Même si un acte formel concerne un nouvel usage, il ne traite généralement pas directement de la multifonctionnalité (p.ex. en traitant de la thématique de la priorisation du nouvel usage par rapport aux usages préexistants), mais davantage de ses modalités techniques et juridiques (p.ex. de la propriété des conduites prélevant l’eau pour l’enneigement artificiel et de la responsabilité si ces conduites venaient à endommager les infrastructures pour la production hydroélectrique).
- Dans le cas de la Gougra, la plupart des usages non énergétiques sont régulés par des actes formels (convention, etc.) signés par l’exploitant hydroélectrique et l’usager (remontées mécaniques, etc.). Dans le cas de Cleuson, ces mêmes actes sont signés par l’exploitant et la commune, qui fait le lien avec les usagers. Les caractéristiques techniques de l’aménagement, et notamment la présence d’un réservoir d’eau de la commune de Nendaz à proximité du barrage de Cleuson, pourraient expliquer cette différence.
- Les études de cas de Cleuson et de la Gougra ont permis de mettre en lumière des différences dans l’appréhension des aménagements hydroélectriques par les acteurs du périmètre : alors que certains riverains voient dans le barrage une opportunité d’accéder à l’eau pour leurs besoins, d’autres estiment au contraire que c’est une affaire réservée aux hydroélectriciens.
Pour en savoir plus : télécharger le working paper 6
VII. Enseignements internationaux
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