Brocéliande

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Brocéliande

Conception et mise en scène par Julie Annen / Le Petit Théâtre (Lausanne) / Du 3 au 31 décembre 2025 / Critique par Laurie Boissenin.


3 décembre 2025

La magie à travers ses artifices

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© Philippe Pache

La compagnie Rupille 7 est de retour au Petit Théâtre de Lausanne avec une nouvelle création destinée aux enfants. Librement inspiré de l’univers féerique des légendes arthuriennes, le spectacle allie théâtre de marionnettes et prouesses cinématographiques pour révéler la magie que peut produire un travail de mise en scène méticuleux. Dans la forêt enchantée de Brocéliande, Arthur et Morgane sont encore enfants. À la recherche des origines de Morgane, le duo espiègle échappe à la surveillance de Merlin et Viviane et nous embarque dans une quête fantastique.

Dans ce nouveau spectacle, Julie Annen s’inspire de Brocéliande, forêt mythique et enchantée citée dans de nombreux récits arthuriens. La metteuse en scène suisse reprend les codes narratifs de ces légendes pour créer une atmosphère mystique au théâtre. Arthur et Morgane, deux orphelins en voie de devenir le roi et la sorcière que nous connaissons, sont sous la tutelle de Merlin et Viviane. L’action est d’abord organisée en épisodes éducatifs dans lesquels Arthur apprend à se battre avec humilité tandis que Morgane apprend à lancer des sortilèges et à préparer des potions. Agissant en figures parentales bienveillantes et exigeantes, Merlin et Viviane leur transmettent des valeurs comme la participation aux tâches ménagères, la ponctualité, l’abnégation ou encore la persévérance. Tout s’accélère lorsque les enfants se lient d’amitié et s’engagent dans une quête merveilleuse qui les mènera à affronter de nombreuses épreuves.

Arthur et Morgane sont représentés par des petites marionnettes en chiffon blanc, manipulées à quatre mains, tandis que les personnages adultes, Merlin et Viviane, sont incarnés directement par un comédien et une comédienne. Ces derniers sont intégrés au monde des marionnettes grâce à des effets de perspective prodigieux. Des jeux d’optique parviennent à donner l’impression que Viviane se bat à l’épée avec Arthur ou que Merlin vole aux côtés de Morgane. En effet, le spectacle brille surtout par son habilité technique et son inventivité scénographique : une équipe de comédiens et de techniciens monte un film d’animation qui est simultanément projeté sur un écran fixé à l’arrière de la scène. L’action est constamment filmée par deux caméras fixes et une caméra mobile qui suit les personnages. Sur scène, l’équipe est entièrement vêtue de noir, de manière à ce que les corps des comédiens se fondent dans le décor. Même leurs mains, cachées par des gants, deviennent quasiment imperceptibles. Lors d’une scène de repas partagé entre Arthur et Viviane, la comédienne s’agenouille de sorte à ce que son visage soit au niveau de la table. Comme par magie, le reste de son corps est invisible à l’écran, donnant l’impression qu’elle est assise à table avec Arthur. Cette illusion repose sur un cadrage astucieux, qui joue sur la perspective et les échelles pour rendre crédible la cohabitation entre la comédienne et la marionnette au sein du même univers fictionnel.

Les aventures d’Arthur et Morgane se jouent dans divers décors peints qui défilent à mesure que l’action progresse. Ces derniers sont montés sur des chariots à roulettes furtivement déplacés par l’équipe des comédiens, qui se relaient avec agilité dans une chorégraphie méticuleuse, afin de faire apparaître le bon décor, au bon endroit, au bon moment. Les décors sont construits de manière à prendre sens une fois cadrés et filmés : c’est à travers l’objectif de la caméra que ces décors, pourtant faits de simple carton, prennent vie comme au cinéma. Nos héros voyagent ainsi à travers des forêts enchantées, un château gardé par un redoutable dragon, des montagnes enneigées et bien d’autres lieux surnaturels. Par le prisme de la caméra, une simple orbe lumineuse qu’un comédien tient au-dessus de sa tête ressemble étrangement à la lune, permettant par ailleurs d’éclairer Arthur et Morgane lors d’une quête nocturne. D’autres trucages enchantants sont déployés, comme lorsque Morgane parvient à se métamorphoser en oiseau. Les lumières qui éclairent le plateau s’éteignent brièvement, afin que les comédiens puissent discrètement échanger la marionnette de Morgane par une figurine d’oiseau. Une fois les lumières rallumées, de la fumée apparaît mystérieusement, soulignant la magie de la transformation qui vient de s’effectuer sous les yeux du public.

Grâce à cette scénographie singulière, le spectateur a la liberté de choisir où il souhaite fixer son regard. Il peut regarder l’écran, là où les trucages disparaissent, ou bien la scène, là où les illusions d’optique se construisent. Cette transparence quant à la fabrication de la magie qui apparaît à l’écran a une fonction didactique. Elle permet de montrer aux enfants les coulisses du spectacle auquel ils sont en train d’assister.  Par ailleurs, ce procédé métathéâtral devient comique lorsqu’il se retrouve dans la bouche d’Arthur. Ce dernier, en pleine course, se plaint que son cœur bat trop vite, il est alors forcé de constater : « Je suis une marionnette, je n’ai pas de cœur ! » La metteuse en scène ne se gêne donc pas pour montrer les artifices du spectacle à son jeune public. Cette honnêteté radicale n’enlève pourtant rien à la magie de la représentation. Ici, la magie apparaît comme une création humaine. La magie, c’est la collaboration minutieusement chorégraphiée d’une équipe soudée, ce sont des décors peints à la main sur du carton, c’est un cadrage bien pensé – c’est quelque chose d’atteignable en dehors du monde de la fiction.

3 décembre 2025


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