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Dans le cadre de l’opération Inédits textes dramatiques, en collaboration avec le journal Le Courrier.
Un entretien autour de la pièce Dégueu (2023) / de Antoine Courvoisier / Plus d’infos.
Par Anna Chialva
Dégueu, une pièce « para-leçon »
Anna Chialva, pour l’Atelier critique : Pourquoi le thème de la sexualité ?
Antoine Courvoisier : On avait fait un spectacle avec la même équipe en 2019 sur sexualité, mais c’était pour adultes. La sexualité n’est pas un sujet souvent abordé car elle appartient au domaine du privé et quand elle est abordée c’est sous des formes parfois sérieuses. Pourtant, il y a quand même quelque chose d’assez comique dans le lien qu’on a avec ce tabou. On voulait donc faire un spectacle plutôt drôle là-dessus. En 2023, pour la version jeune public, tout le monde été assez d’accord pour dire que les premiers souvenirs des cours scolaires sur la sexualité sont souvent froids, c’est pourquoi on voulait proposer quelque chose d’amusant.
A. Chialva : Vous aviez déjà traité ce thème dans une représentation pour le public adulte, comment cette idée est-elle née ? Quelle était votre intention dans cette première représentation ? La prévention, l’information ou la formation ?
A. Courvoisier : Au début c’était une blague, c’était en discutant avec l’équipe : à force de se raconter des histoires toujours soit ridicules soit improbables ou décalées, il y avait beaucoup de choses qui nous ont fait rire en abordant ce sujet. Et comme le rire va très bien avec le théâtre, nous avons envisagé un spectacle drôle. Il y avait effectivement l’envie d’en rire mais aussi l’envie simplement de partager avec un public des idées, des théories, des hypothèses, des recherches, des choses qu’on avait lues sur le sujet. Ça commençait très sérieusement et petit à petit ça devenait un partage avec le public.
A. Chialva : L’adaptation pour le jeune public a été commandée par Joan Mompart le directeur du théâtre Am Stram Gram, si cela n’était pas le cas, vous auriez envisagé une adaptation de la pièce pour enfants ?
A. Courvoisier : La proposition m’a été faite par téléphone : c’était une très bonne idée, mais je n’aurais jamais osé prendre la décision tout seul. Si c’est le directeur qui le dit, travailler sur ce sujet pour les enfants est possible, donc on l’a fait.
A. Chialva : Quel est votre rapport avec le théâtre pour enfants ? Vous aviez déjà eu une telle expérience ?
A. Courvoisier : J’étais diplômé de l’École de Théâtre Serge Martin à 21 ans, très jeune : les premiers rôles que j’ai joués étaient souvent des enfants. En tant que comédien j’étais donc déjà assez proche de cet univers, mais avec Dégueu c’était la première fois que j’écrivais pour ce public. Ce qui est propre au fait de jouer devant des enfants c’est qu’il n’y a pas d’hypocrisie dans leur réaction ou en tout cas pas de politesses ; on sait tout de suite si ça plaît ou pas, les types d’enfants et les différents âges aussi. Tout est très clair, on le perçoit tout de suite. C’est donc dans un état d’éveil que l’on joue : on ne peut pas tricher car le public ne triche pas.
A. Chialva : Par où commence le travail d’adaptation ?
A. Courvoisier : J’ai repris le texte écrit à plusieurs en 2019 en voulant le modifier par des simples coupes ou des petits changements et finalement j’ai fini par presque tout enlever. J’ai gardé pourtant le même principe que la première version pour adultes où on avait imaginé une conférence qui débordait dans le rire, de même, la version pour enfants commence comme un cours qui se transforme en comédie.
A. Chialva : Comment doit-on parler aux enfants en 2024 ? Comment définiriez-vous votre style d’écriture ?
A. Courvoisier : Au début de la pièce, il y a un long moment où l’on parle très peu de sexualité, où l’on tourne un peu autour du pot pour que le public et les enfants soient à l’aise. Par la suite, on s’est rendu compte que plus on utilisait les mots précis, mieux ça passe, plutôt que d’utiliser des métaphores qui risquent de tomber dans la simplification ou la grossièreté. Je ne dirais pas que j’ai un style littéraire : je ne cherche pas la littérature, je cherche plutôt à créer un rythme qui ait un effet physique, c’est-à-dire le rire, un réflexe humain immédiat en réaction à certains gestes ou affirmations.
A. Chialva : Comment situer la pièce par rapport à la production théâtrale contemporaine ?
A. Courvoisier : Ce que je vois en Suisse romande dans les écritures contemporaines, c’est beaucoup de recherche formelle. Depuis que je suis sorti de l’école, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de travail d’expérimentation. Dégueu est une pièce en soi assez classique.
A. Chialva : Comment la structure de la pièce est-elle née ?
A. Courvoisier : La structure de la pièce n’est pas compliquée, mais inhabituelle : on avait des idées assez claires sur le déroulement de la pièce, le début comme cours, les scènes de méta théâtre et la reprise du cours. Ce qui était vraiment très théâtral et qui débarque en plein milieu relève d’un travail de mise en scène : la solution était de ne pas faire de transitions.
A. Chialva : Peut-on définir Dégueu une comédie musicale ? Si oui, pourquoi le choix de la musique et quelle intention il y a dans les chansons ? Si non, comment la définiriez-vous ?
A. Courvoisier : Il n’y a pas assez de musique pour une comédie musicale. On devrait inventer une catégorie : une « pièce-leçon », peut-être, ou une « anti-leçon », ou même « para-leçon ». Je trouve que la musique est quelque chose de très efficace. Il y a deux chansons, une à la toute fin et une au milieu ; elles n’ont pas du tout le même rôle. La chanson finale est pour terminer en beauté avec quelque chose qui nous fait plaisir, celle du milieu est vraiment informative. C’était le passage que je trouvais plus compliqué à écrire ; pour éviter d’être trop technique et ennuyeux, j’ai préféré passer par une chanson.
A. Chialva : Comment aborder les différents préjugés liés à la sexualité ?
A. Courvoisier : Pour que ça marche, il faut toujours que les personnages parlent d’eux-mêmes : il y a cinq personnes sur scène qui parlent et témoignent. L’enjeu ce n’est pas de faire une théorie sur l’acte de faire l’amour, par exemple, mais de faire passer le bon message, pour cela il fallait que chaque personnage ait sa propre expérience, ce qui permet de ne pas tomber dans une idéologie et d’aborder différents thèmes sur le sujet.
A. Chialva : Quelle a été la réaction des parents ?
A. Courvoisier : Je n’ai pas eu de retours négatifs de la part des parents, ils riaient beaucoup. Je crois que les parents et les profs étaient rassurés de voir que tout était très détendu, qu’il n’y avait pas de raisons de se préoccuper de ce qu’on allait dire ou faire.
A. Chialva : Quel est le rôle du théâtre dans une société de plus en plus susceptible, parfois contraire à l’éducation sexuelle mais favorable aux informations des réseaux sociaux ?
A. Courvoisier : J’ai l’habitude des scènes de théâtre où tout est encore possible, où le retentissement n’est pas assez grand, où il n’y a que quelques dizaines ou quelques centaines de personnes par jour et dans un rapport direct de confiance. C’est plus facile de polémiser sur un écran que de polémiser sur une pièce de théâtre vue et vécue au théâtre. Il y a souvent des gens qui disent qu’aujourd’hui on a moins le droit de faire certaines choses au théâtre, mais je ne le pense pas.
A. Chialva : Après quelque mois de la première représentation, quelle est votre impression générale ? Êtes-vous satisfaits ?
A. Courvoisier : Nous sommes contents de l’avoir vécu et que le public l’ait apprécié. Après, est-ce que je suis complétement satisfait du travail ? Moi je dis oui mais j’ai regardé la vidéo et je sais déjà que pour les prochaines représentations je changerai de petits détails pour la rendre meilleure.
A. Chialva : Avez-vous joué la pièce dans d’autres théâtres ? Vous la jouerez prochainement ?
A. Courvoisier : Nous reprenons les représentations en 2025 à Genève, Fribourg, Gland, Bienne, Saint-Julien-en-Genevois et Yverdon. On a tenté de la proposer en France, notamment à Lyon et à Marseille, mais ce n’est que partie remise. Nous avons envisagé aussi de traduire la pièce en allemand ou de créer une pièce « suisse » avec des bouts en italien en français et en allemand. Pour l’instant, nous reprenons les représentations en Suisse romande, après on verra comment la pièce pourra évoluer.
Et voici le détail des prochaines représentations :
Am Stram Gram (Genève) : 14 au 30 mars 2025
Equilibre-Nuithonie (Fribourg) : 5-6 avril 2025
Grand-Champ (Gland) : 11-12 avril 2025
La Grenouille (Bienne) : 27-29 avril 2025
L’Arande (St-Julien-en-Genevois) : 13 mai 2025
Benno Besson (Yverdon) : 26-27 mai 2025