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Dans le cadre de l’opération Inédits textes dramatiques, en collaboration avec le journal Le Courrier.
Un entretien réalisé le 1 décembre 2021 à Genève autour de la pièce Demolition Party / De Olivia Csiky Trnka
Par Brian Aubert
Brian Aubert : Pourriez-vous résumer en une phrase ce qui vous tient à cœur dans cette pièce ?
Olivia Csiky Trnka : Comment avons-nous pu oublier que nous sommes profondément lié.e.s à la Nature ? Les métamorphoses de l’anthropocène sont et fascinantes et terrifiantes. Nous ne reconnaissons plus le monde qui nous a vu naître et que nous avons terriblement exploité. Or celui- ci vient se venge: l’enjeu est clair. Mais, au début, j’ai commencé par rendre hommage à la relation singulière entre ma mère et son jardin ; en tant que peintre, elle l’a cultivé comme une œuvre d’art vivante. J’en ai profité sans me rendre compte de cette richesse. Or, chaque jardin est un point de contact précieux avec l’écosystème. Sentir à quel point on perd le lien avec le vivant nous fait souffrir. Évidemment, l’analogie entre ma mère et la Mère Nature n’est pas innocente. C’est aussi cette splendeur à la fois vorace et tendre que je voulais interroger.
B.A : Pourriez-vous dire quelques mots sur le processus de création ?
O.C-T. : En préparation, j’ai une démarche très théorique, issue de mes études ; en répétition je penche à l’inverse. Pour moi, le théâtre est un outil pour réfléchir le futur. Nous parlions d’un backclash de la Nature, or la fiction était devenue réalité ! Si toute création de plateau est perméable au contexte, nous ne voulions cependant pas parler de la pandémie mais en interroger les origines. Le théâtre est un outil pour réfléchir le futur. Je remercie mon équipe qui s’est lancée dans cette aventure au milieu de l’effroi collectif ! Pour créer un vocabulaire commun, les interprètes se sont emparé.e.s du dispositif : peinture en live, musique et projection-vidéo. Nous voulions envahir l’espace pour littéralement englober le public. Heureusement, le re-enactement du Jardin offrait beaucoup de liberté. Je savais aussi qu’il y aurait une cérémonie, des rituels, une transe finale. Nous avons fait de longues improvisations dirigées en convoquant des sensations, des souvenirs, des archétypes… Ensuite je fais du montage. Je crée des correspondances entre récit et scénographie évolutive, chorégraphies et lumière. J’aime déployer des rouages invisibles. Notre dramaturgie fonctionne comme une fugue à la fois tenue et insistante, inédite et pourtant reconnaissable. Enfin, au Centre Culturel Suisse à Paris, la pièce s’est reposée ; on l’a réduite de 10 minutes. Il y a un travail de polissage qui nécessite un temps incompressible. Celui-ci manque le plus souvent. La Première est le début de l’expérience…
B.A : Comment justifierez-vous l’emploi de plusieurs langues dans vos pièces ?
O.C-T. : Le métissage est la richesse de nos identités. Je parle plusieurs langues au quotidien. Or le langage organise notre pensée. Parler/entendre de multiples langues décloisonne le rapport au monde et le complexifie. D’ailleurs, les sonorités nous parlent aussi… Cette hybridité me fascine. Elle me donne la sensation d’appartenir au monde et non pas à une nation.
B.A. : Quels ont été les retours sur Demolition Party ?
O.C-T. : « Si on va au théâtre et que l’on choppe le COVID, il faut que la pièce en ait valu la peine » cette boutade de Claude Ratzé, le directeur de la Bâtie, m’avait marquée. Je suis persuadée que le public désire des enjeux forts pour se faire emporter. Nombre de gens, connus et inconnus, se sont reconnu.e.s dans cette quête du Jardin comme Paradis Perdu. Par ailleurs, inviter sa mère sur scène, c’est déjà un défi. Mais lorsque celle-ci est aussi une artiste, cela devient un pari sur la Grace… Alors assister à ce type de rapport intime est rare, cela touche. Enfin, voir évoluer une émigrée plus âgée sans misérabilisme fait aussi du bien. On m’en parle encore ! A Paris, les gens sont revenus voir. C’est beau de les voir ainsi hanté.e.s par ce miroir joyeux et grondant. Je m’inscris dans du théâtre contemporain, pluridisciplinaire ; mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Du point de vue des professionnel.le.s, il y avait quelque chose d’hybride qui interrogeait. Sans doute est-ce la marque de mes créations : quelque chose de populaire avec une base théorique et plastique très forte.
B.A : Comment qualifierez-vous vos créations ?
O.C-T. : Il faut toujours aller au plus loin dans ce qu’on désire. Lorsqu’on s’engage profondément dans une expérience scénique, c’est à dire de manière intime, physique et intellectuelle, le public suit, que ce soit la Grand-Mère aux étudiant.e.x.s des Beaux-arts. Ce vertige fonctionne comme un appel. Depuis mes études, je travaille avec le concept du sublime, mais c’est toujours une aventure à construire ! J’essaie d’utiliser des langages qui sont frontaux mais se répondent de manière complexe entre récit, scénographie et chorégraphie. Le théâtre est une expérience qui augmente la réalité. Voilà la jouissance !