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Dans le cadre de l’opération Inédits textes dramatiques, en collaboration avec le journal Le Courrier.
Un entretien autour du texte de la pièce :
H.S., Tragédies Ordinaires / Du Collectif sur un Malentendu / Plus d’infos (Le Courrier)
« S’amuser montre toujours la bonne direction »
Par Cloé Bensai
Entretien Zoom du 21/12/2020 avec Emilie Blaser, Pierre-Antoine Dubey, Cédric Leproust et Nora Steinig du Collectif sur un Malentendu. (NB : le Collectif Sur un malentendu est également composé de Claire Deutsch et Cédric Djedje.)
C.B. : Pourquoi la forme théâtrale pour parler des violences scolaires ?
P.-A. Dubey : On s’est rendu compte que le thème des violences en milieu scolaire était beaucoup débattu, mais toujours de manière très théorique. La forme théâtrale peut amener de la force aux témoignages, en provoquant l’empathie tout en montrant l’urgence de la situation. Il s’agissait aussi de rentrer en dialogue d’une autre manière avec les jeunes concernant ce thème qui les touche de près.
C.B. : Pourquoi le spectacle s’appelle-t-il H.S. ?
P.-A. Dubey : Au début, on voulait reprendre le titre entier de la pièce de Yann Verburgh, de laquelle est tiré notre spectacle : H.S : Tragédies Ordinaires. Finalement, notre collaboration avec des scientifiques comme Caroline Dayer nous a éloignés de ce terme d’« ordinaire » : il nous importait de ne pas normaliser ces violences. On a gardé « H.S », car on aimait bien la polysémie du sigle. Pour les élèves que nous avons rencontrés, il appelait une multitude de significations allant du classique « hors-service », en passant par « hors-sujet », « harcèlement scolaire », « harcèlement sexuel » et allant même jusqu’à des choses plus originales comme « haute surveillance ». On a décidé de ne pas choisir une interprétation particulière mais de garder ce titre qui ouvre sur plusieurs idées.
N. Steinig : J’ajouterais que comme on ne jouait pas la pièce de Verburgh dans sa version originale, il nous semblait juste de ne pas garder exactement le même titre.
C.B. : Votre texte, vous l’avez rappelé, est adapté d’une pièce de Yann Verburgh datant de 2019. Pourriez-vous expliquer les divergences et convergences de votre adaptation avec le texte original ? Quel a été le rôle de Verburgh dans la mise en place du spectacle lui-même ?
N. Steinig : En ce qui concerne les divergences, la principale est que le spectacle de Verburgh est fictionnel. Le nôtre l’est en partie aussi, mais on a essayé de l’insérer dans une réalité scolaire dans le sens où l’on vient faire une conférence. On entre dans la fiction par ces personnages, qui servent principalement à illustrer les idées discutées en conférence.
C. Leproust : Yann nous a accompagnés dans ces modifications et a coécrit avec nous. Cette collaboration a été très riche, puisqu’on avait en plus de sa vision artistique un apport au niveau de son expérience de terrain car il avait interrogé beaucoup d’élèves français.
C.B. : Tout au long du spectacle, on observe une vraie volonté de vulgarisation de votre part. C’est en effet une création destinée à un public scolaire. Qu’est-ce que cela implique en termes de contraintes, tant matérielles que thématiques ?
N. Steinig : Du point de vue matériel, nous avons clairement dû adapter notre scénographie pour ne pas avoir à transporter trop d’affaires.
E. Blaser : Au niveau thématique, on a mis un point d’honneur à s’informer : il fallait maîtriser les concepts pour être clairs face aux élèves, ne pas provoquer de confusion et éviter des maladresses sur ce sujet sensible. Par exemple, on parle à tort de harcèlement scolaire au lieu de souligner qu’il s’agit de harcèlement en milieu scolaire. Ce qui fait la différence.
N. Steinig : Caroline Dayer et l’unité PSPS du canton de Vaud (unité de Promotion de la Santé et de Prévention en milieu Scolaire) nous ont beaucoup aidés, bien que l’apport scientifique était aussi pourvoyeur de contraintes.
C. Leproust : La vulgarisation a été utile autant pour la compréhension du spectacle que pour son élaboration. En sachant cerner la violence, on pouvait injecter autant de légèreté pour contrebalancer.
C.B. : Certaines scènes représentent l’intériorité des enfants victimes de souffrances. Pour représenter ces scènes d’intériorité, vous êtes-vous basés sur des témoignages issus des ateliers que vous avez organisés dans les écoles ? Comment se déroulaient ces ateliers ?
E. Blaser : L’idée n’était pas de proposer un atelier de théâtre – on ne jouait pas avec les élèves – mais bien d’aiguiser l’exactitude de notre proposition. Ils assistaient à nos filages et nous offraient un retour pour qu’on puisse ensuite retravailler la même scène devant eux.
C. Leproust : Ils évaluaient le degré de violence de ce qui était représenté et le comparaient avec ce qu’ils expérimentent dans la vraie vie : parfois, ils nous disaient que l’on n’était pas assez violents par rapport à la réalité des choses. On n’a en revanche pas voulu demander aux élèves de témoigner, car c’est très compliqué à faire émotionnellement. En revanche, on a ouvert la discussion entre nous, en se soumettant à l’exercice du témoignage, nous-mêmes, au sein du Collectif, pour revenir sur ce qu’on vivait, adolescents.
C.B. : Les personnages des enfants victimes sont joués par des adultes – vous-mêmes. Pourquoi ce choix de positionner devant les enfants des acteurs adultes qui jouent des enfants, et qu’est-ce que cela implique en termes d’identification, ou au contraire, de distanciation ?
C. Leproust : On reste sur une pièce de théâtre, qui est tout de même un objet artistique. Et c’est vrai que le fait de jouer des ados en tant qu’adultes leur permet de mettre de la distance. Les élèves projettent un regard différent sur leur situation et cela permet à l’effet cathartique du théâtre de jouer son rôle. Sur scène, on ne surjouait pas les ados, ce qui aurait rendu le message hermétique et provoqué beaucoup moins d’adhésion de leur part. On voulait montrer que le nœud du problème était dans la violence : que les personnes concernées soient adultes ou ados, cela importait peu.
C.B. : On voit dans les personnages des parents, de la principale ou bien du prof raciste que les adultes ne sont pas toujours en mesure d’être proactifs pour le bien-être des jeunes. A un moment donné du spectacle, en revanche, Pierre-Antoine répond « je comprends » au garçon invisible qui lui fait part de son angoisse, et se montre rassurant. Comment vouliez-vous représenter ces adultes ?
C. Leproust : C’est effectivement un autre élément divergent entre notre pièce et celle de Yann. Dans son texte, le regard porté sur les adultes est assez désabusé, négatif et dur. Dans notre démarche, l’idée était plutôt de montrer aux enfants qu’il était important de s’ouvrir quant aux violences, ce qui nous a motivés à présenter certains adultes sous un meilleur jour, pour donner confiance.
P.-A. Dubey : On a vu avec nos conseillers scientifiques qu’il existe dans chaque établissement des structures dédiées à la lutte contre les violences, mises en place par des adultes de confiance qui favorisent le dialogue. Présenter les adultes comme indignes de confiance, c’était démonter le travail de ces personnes, le nier, ce qui allait à l’encontre de notre volonté.
E. Blaser : En travaillant avec PSPS, on s’est rendu compte que le projet devait également être préparé en tenant compte des destinataires professeurs.
N. Steinig : Ils nous ont expliqué que si le thème de la violence entre élèves était connu, celui de la violence entre profs ou bien de prof à élève est encore assez tu. C’était l’un des points forts de notre projet que d’aborder ces questions.
C.B. : Vous semblez défendre, à travers tout le texte, la notion d’identité choisie, qu’elle soit générique, sexuelle, religieuse, esthétique. Qu’est ce qui devrait changer aujourd’hui dans la perception des gens sur la construction de leur identité ? Comment le communiquez-vous sur scène ?
E. Blaser : Le théâtre nous permet de combattre la stigmatisation : ne pas jouer les sexes ni les couleurs de peau est une manière de le faire. Pierre-Antoine [qui est blond] joue un arabe, je joue un garçon, Cédric Djedje qui est noir de peau ne se retrouve pas dans le rôle du marginalisé, etc. Au lieu d’énoncer frontalement des principes d’ouverture, on les suggère par le jeu.
N. Steinig : Chacun de nous a dans le spectacle des rôles différents et éloignés les uns des autres : parfois cibles, parfois bourreaux, parfois témoins, on navigue entre les positions, qui fluctuent comme dans la vraie vie. Caroline Dayer a porté à notre attention qu’une victime de violences en milieu scolaire a tendance à avoir du mal à se projeter dans un rôle différent. Sans forcer la projection, on voulait tout de même suggérer par le théâtre que ces positions ne sont pas inscrites dans le marbre.
C.B. : Dans votre démarche, jeu scénique et conférence scientifique se côtoient. Comment interagissent ces deux dynamiques (jeu et non jeu) tout au long du spectacle ?
E. Blaser : Les moments de conférence permettaient des moments de légèreté bienvenus.
C. Leproust : et conservaient la dynamique de dialogue avec les jeunes.
P.-A. Dubey : Un des enjeux était aussi de ne pas rentrer dans un schéma pédagogique trop répétitif de type théorie-illustration. Les moments de conférence devaient avoir une raison d’être à chaque fois et éclairer un point particulier, tout en nous permettant une transition ou rebondissement vers un autre aspect de la thématique.
C.B. : En termes d’environnement sonore, quels bruits et quelles musiques viennent accompagner les visuels ?
C. Leproust : Au début, on ouvre avec une musique qui pulse, style émission de télé, pour commencer la conférence. Sinon, beaucoup de musiques d’ambiance, pour colorer les différentes scènes. Nos micros HF ont aussi leur importance : ils donnent une vraie qualité aux moments « conférence » de la création.
C.B. : Pour finir, j’aimerais en savoir plus sur le Collectif. Quel est votre mode de fonctionnement ? Et pourquoi êtes-vous un collectif dit « sur un malentendu » ?
Rires complices de la part des comédiens entre eux.
C. Leproust : Tu veux la vraie anecdote ou la version officielle ? On a mis du temps à se trouver un nom, jusqu’à ce qu’un soir, au théâtre de l’Arsenic, une amie nous en propose un, en signifiant qu’il pouvait marcher « sur un malentendu », comme le disait Jean-Claude Dusse dans Les Bronzés, ce qui nous a beaucoup amusés.
P.-A. Dubey : Et puis il faut dire que la création de ce groupe n’était pas du tout prévue.
N. Steinig : Pour ce qui est de notre fonctionnement, on a tous la même place dans ce groupe qui n’est pas hiérarchisé. On essaie de ne pas faire de mise en scène, mais de trouver entre nous des concepts moteurs qui vont nous faire jouer et nous amuser. S’amuser montre toujours la bonne direction.